le futur de l’erreur: biais cognitifs & dérives des idées

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Rien ne déterminera davantage le futur que les évolutions de la pensée dominante, ce qui engage à examiner celles qui pourraient la pousser vers l’erreur.

Cette question ayant été abordée sous différents éclairages dans de nombreux billets, est-il possible d’avancer vers une présynthèse dans ce domaine? On retrouvera, dans la deuxième partie de ce billet, une sélection de liens vers de précédents articles consacrés à des points particuliers de cette problématique.

 


anatomie de l’erreur


En quoi consiste une fake news? À l’évidence à substituer du faux à du vrai. Ce qui suppose une situation où le vrai puisse être formellement identifié. Cette condition est remplie sur les questions strictement factuelles. Mais ce ne sont pas les controverses de ce type qui vont influencer le futur. Les erreurs qui posent problème sont celles qui s’appliquent aux modes de raisonnements, et qui pour diverses raisons, sont susceptibles d’être largement partagées.
La différence fondamentale est, qu’attachée au développement d’une analyse plutôt qu’à un fait, l’erreur ne se présente plus comme… le contraire du “vrai”.
(* ) Se tromper c’est se fourvoyer. C’est être dans l’incorrect plutôt que simplement dans le faux.
Que signifie alors “ne pas se fourvoyer”? C’est développer une analyse qui soit perçue comme conforme à la norme sociale de raisonnement du moment. Elle fut longtemps imprégnée de religion avant de se reconstruire autour de la logique et de la rationalité.

l’hypothèse d’une érosion de la rationalité


ses causes principales

On les retrouvera développées dans les billets mentionnés ci-dessous. Résumons-les.
  • Érosion des références intellectuelles faisant autorité. La sphère scientifique, garante supposée de la rationalité, vit désormais sous l’emprise du recueil massif de données qui induit les suprématies de la corrélation et de la probabilité en lieu et place des relations de cause à effet. Les positions scientifiques, mêmes opposées, ont en commun ces caractères qu’elles véhiculent dans les médias.
    • Dérives de la corrélation vers “l’évidence”
    • Dérives de la probabilité vers la simple “possibilité”
  • Culte du simple, de l’évidence et des positions extrêmes qui n’appellent pas de constructions rationnelles élaborées
  • Essor du discours de type militant sur tous les sujets
  • Dérives de la pensée analogique
  • Dictature de la validation médiatique
  • Affaiblissement global de l’intelligence humaine
  • Inaptitude croissante à envisager la complexité

ses effets principaux

Le rationnel est la référence par rapport à laquelle se définit l’erreur (voir ci-dessus). L’érosion de la rationalité amène donc à l’indétermination de l’idée même d’erreur. Dès lors toutes les positions sur un sujet tendent à se valoir.
  • Privé du recours au rationnel, il devient impossible de “convaincre”
    • d’où primauté du rapport de forces… sur le modèle religieux
    • ou de l’indifférence … sur le modèle communautariste… voire sectaire
  • Fusion de la connaissance et de l’ignorance, d’où prééminences:
    • des croyances préétablies
    • du “savoir parler” (la forme, et son impact immédiat, primant dès lors sur le fond devenu inaccessible à l’analyse)

l’approche par les biais cognitifs

La problématique de l’erreur est abordée depuis le début des années soixante-dix par des chercheurs en psychologie cognitive qui ont progressivement dressé un catalogue de biais cognitifs établi sur la base de batteries de tests et d’expériences.
(*) Le terme biais fait référence à une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité.

Cependant, ces recherches en psychologie cognitive nous renseignent sur la fréquence des biais dans une situation de test donnée, mais très peu sur leur diffusion dans la pensée collective et sur l’influence plus globale qu’ils pourraient avoir sur celle-ci. Dans cette optique, les hypothèses exprimées ci-dessus amènent à considérer plus particulièrement quatre biais cognitifs répertoriés:

En tout premier lieu, les biais affectant la lecture des probabilités et des corrélations:
L’oubli de la fréquence de base (aussi connue sous le nom de négligence de la taille de l’échantillon) est un biais cognitif lié aux lois statistiques, qui se manifeste par le fait que les gens oublient souvent de considérer la fréquence de base de l’occurrence d’un événement lorsqu’ils cherchent à en évaluer une probabilité. Le plus souvent, cela conduit à surestimer cette probabilité. (voir aussi)
La corrélation illusoire est classiquement considérée comme un biais cognitif qui conduit des personnes à associer deux informations objectivement indépendantes ou à surestimer la liaison entre deux informations en réalité faiblement associées.
Et plus globalement:
Le biais de la tache aveugle est un métabiais puisqu’il se rapporte à un mode de raisonnement erroné dans l’examen des biais cognitifs …/… Les individus ont tendance à penser que leurs propres croyances sont justes et que leurs sources sont sûres, mais que ceux qui tiennent des positions différentes sont affectés par des biais et que leurs sources ne sont pas fiables.
Le biais de confirmation est une erreur dans le processus de réflexion, qui nous conduit à rechercher la confirmation de nos opinions au lieu de chercher la vérité …/… Notre tendance à ne voir que ce qui nous arrange s’applique à la recherche de preuves, aux souvenirs ou à l’interprétation.
On le voit, les dérives de la pensée dominante postulées ci-dessus pourraient tout à fait se développer – voire se généraliser – à partir de mécanismes connus de production d’erreur.

BILLETS PRÉCÉDENTS EN CONVERGENCE SUR LE SUJET


Les corrélations constituent la seule façon de donner du sens à une grande masse de données, en amont, où elles se substituent aux causes, les probabilités la seule façon d’en donner, en aval, où elles modulent les effets.
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Au-delà d’une masse critique, plus on a de données… moins on sait .
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Au niveau général, il est permis de voir là une bonne représentation de l’autorégulation d’une tendance, quand c’est la propre logique d’un renforcement qui, au final, produit un affaiblissement… car peut-on imaginer, en l’état de l’idéologie actuelle, que l’antidote aux insuffisances de la science puisse être autre chose… qu’un recueil encore plus important de données… etc…
On peut donc s’attendre à un renouveau de l’attitude intellectuelle démissionnaire qui de tout temps a permis de rendre compatibles l’incertitude totale et la croyance fanatique: l’attitude religieuse.
Toute corrélation établie par un traitement massif de données bénéficie donc très rapidement de la double validation requise pour devenir une évidence… et ce, en dehors de toute compréhension réelle des phénomènes… et cela est vrai pour tous les domaines d’analyse.
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La corrélation « tous azimuts » est « l’âme » du big data, mais il faut se souvenir qu’elle est également l’âme… de la superstition.
Un régime totalitaire soumet principalement par la contrainte, une démocratie soumet principalement par la persuasion …/… L’idée d’un futur démocratique amènerait donc à s’interroger sur le futur de la persuasion.
Ceci a, pour notre propos, deux conséquences déterminantes: 1/ Plus personne n’est en mesure de réellement comprendre l’ensemble du processus sous tous ses aspects 2/ Est mis en échec un principe très important de l’apprentissage et de la compréhension: la pensée analogique …/… Deux scénarios s’offrent alors pour le futur de la pensée analogique:
• Impuissance et donc disparition progressive en tant que principe d’accès à la complexité, une complexité assumée, élitiste et peu démocratique
• Récupération de cet outil extrêmement efficace de persuasion pour forcer l’adhésion à des visions hyper-simplificatrices du monde.
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L’évaluation rationnelle a besoin de se conclure, mais elle est privée de cet aboutissement par la question des effets secondaires qui, sans même la contredire, sans même la sortir de sa problématique, la font glisser en dehors de ses capacités de traitement.
On tend, au bout du compte, à ne retenir de la “probabilité chiffrée” que l’expression d’une “possibilité”. Sur la base d’une simple “possibilité”, tous les risques tendent à être perçus comme équivalents.
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On le voit la dynamique à l’œuvre autour de la prise en compte des effets collatéraux va être difficile à contrarier. Née de la pensée complexe, elle alimente aujourd’hui nombre d’idéologies imprégnées de simplisme, parmi lesquelles la technophobie sur laquelle nous allons réfléchir dans le prochain billet.
La seule manière d’obtenir un ordre dans la contradiction systématique est d’opposer les extrêmes sur l’ensemble des questions, car celles-ci représentent les seuls états stables dans l’environnement perpétuellement changeant des points de vue intermédiaires.
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«L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit». Ainsi parlait Aristote. De nos jours, l’ignorant affirme, le savant aussi. Quelle position intermédiaire reste-t-il au sage?
L’intelligence, définie comme une aptitude à gérer le doute, apparaitrait donc indissociable… de la possibilité de se tromper.
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À l’instar de la nature qui a horreur du vide, l’humain a horreur du doute qu’il a besoin d’essayer de réduire en permanence.
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On le voit dans cette expérience, la métacognition est un composant fondamental de la gestion du doute. Un ordinateur ne sait reconnaître que les conditions techniques qui lui permettent ou non de mener à son terme la routine pour laquelle il a été programmé. Il ignore ce qu’il sait et ce dont il est capable.
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On admet pour l’humain que le simple ne donne pas linéairement accès au complexe.
La “délégation” se substitue ainsi à la prise en charge autonome des problèmes. Elle ne sollicite plus l’intelligence ni du consommateur devenu passif ni du prestataire devenu spécialisé. Inaction pour l’un, routine pour l’autre. Ce phénomène de “délégation de prestations” tend à se généraliser dans le domaine intellectuel… voir à s’y imposer presque par la force. La construction d’une opinion personnelle ne dispose plus ni des ressources ni du temps nécessaire pour exister face à la réactivité, l’omniprésence et le savoir-faire des médias dans la fabrication du “prêt à penser”.
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Sur le modèle de la perte des compétences physique, on peut prévoir un repli amplifié de nos intellects sur « le moindre effort ».
Une intelligence qui s’affaiblit est de moins en moins apte à accéder à la complexité. Elle tend à se rabattre sur le simple, qui lui-même la sollicite de moins en moins, renforçant par là son affaiblissement … à l’image de l’activité physique où “moins on en fait, moins on est porté à en faire”… parce que c’est de plus en plus difficile. En dehors de l’influence délétère régulièrement évoquée des réseaux sociaux, l’autoamplification du phénomène s’opère directement par le biais du langage: raccourcissement des messages, information par l’image, suraccumulation de l’un et de l’autre… et métamorphose du langage lui-même.
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Ainsi, l’intelligence consistant en la capacité de gérer le doute, on peut s’inquiéter de la multitude de canaux par lesquels s’installent les évidences.
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La perception du simple peut être la même pour tout le monde: ce cas de figure correspond à nos totalitarismes de référence. Mais le simple peut aussi s’atomiser en de multiples évidences, supports de dérives sectaires pour de multiples communautés, inaptes à toute communication.
Enfin, une large mobilisation suppose une intense activité militante. Celle-ci visant à élargir l’audience se trouve acculée à faire “flou” et “simple” pour satisfaire aux exigences du consensus (manifester “pour le climat” ou “pour l’indépendance”)… tout en cohabitant avec une forme de radicalisation pour s’inscrire dans la dynamique de “l’événement”. Ces impasses de l’argumentaire existent dans les médias comme à l’échelle de la cellule de militants. Or les phénomènes qui justifieraient une mobilisation importante sont malheureusement de plus en plus complexes. En faisant simple, on tend à mobiliser sur du faux. Ce qui questionne dramatiquement le militantisme: sans lui on ne produit rien, avec lui on marche vers l’erreur… et radicaliser du simple, cela s’appelle le totalitarisme.
«Le cynisme consiste à voir les choses telles qu’elles sont et non telles qu’elles devraient être». Par cet aphorisme, Oscar Wilde posait le cynisme comme une façon d’être intelligent. Concernant le futur de la planète, il exclurait donc, non seulement le climatoscepticisme, mais aussi l’angélisme obstiné, nourri de cercles vertueux associant des futurs de prises de conscience, de communions et d’actions collectives intelligentes et solidaires…
L’opinion est suspecte, car fondée sur des croyances déconnectées de la connaissance scientifique. La connaissance scientifique est suspecte pour ses liens bien trop évidents avec le profit de grandes sociétés.
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Résumons: un problème très difficile requiert une prise en charge par une élite… et il est naturel qu’elle ne puissent pas le résoudre… puisqu’il est très difficile.
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À défaut de connaissance chacun revendique donc… toujours plus d’informations, jusqu’à obtenir celles… qui conforteront ses opinions préétablies.
Les scientifiques travaillent avec des crédits qui leur sont alloués sur la base de leurs hypothèses de recherche. Pour eux, exister consiste à s’entêter sur ces hypothèses et à ne les faire évoluer que très lentement. Question de crédibilité. De multiples versions du vrai sont donc appelées à cohabiter, de plus en plus, dans tous les domaines, même s’ils sont… tous faux. L’ignorance va se revêtir de toutes les parures de la connaissance.
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Ainsi, tel qu’il apparait en première analyse, le futur nous amène par de multiples chemins vers une fusion de la connaissance et de l’ignorance, un état où il deviendra impossible de distinguer l’une de l’autre.

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