aspirations collectives: le crépuscule des mobilisations

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(*) Quel nom donner à ce Nouveau Monde sans utopie, sans plan, sans programme, et ne vivant que de projets éphémères et marchands?

Peut-on réellement s’y mobiliser pour ou contre quelque chose de tangible? Entre l’utopie associée – un peu trop systématiquement – à la pensée positive du futur, et les causes plus ou moins éphémères produites à jet continu par les réseaux sociaux, reste-t-il un espace identifiable pour des aspirations collectives, suffisamment stables pour influencer concrètement l’avenir? Et si “non”… pourquoi?

le problème du consensus

La situation de “crise permanente” dans laquelle nous vivons induit un large consensus autour de l’idée que le monde va mal. Il en découle qu’il est très facile aujourd’hui de disposer d’un consensus “contre” quelque chose. Mais l’aspiration collective à une société meilleure suppose un consensus “pour”, dans un enchevêtrement mouvant d’intérêts particuliers.

 

(*) Analyser le consensus des sociétés démocratiques consiste à étudier la façon dont des liens associatifs, qui apparaissent aux agents sociaux comme des liens d’intérêts communs, s’entrecroisent, s’enchevêtrent et enserrent les individus dans l’unité complexe d’une société.
Congés payés, droit de vote, durée du travail… le temps ne se prête peut être plus aux grandes mobilisations autour d’aspirations collectives bien identifiées, largement partagées et explicites quant à leurs modalités de satisfaction. Ce qui pourrait s’en rapprocher aujourd’hui tient davantage à des positions morales – comme la préoccupation environnementale – sans qu’un objectif accessible et concret puisse lui être associé.

l’aspiration collective comme “contraire” de l’utopie

La construction d’un consensus est précisément l’étape que contourne l’utopie (voir “de nouvelles utopies sont-elles possibles?”). Celle-ci se présente comme un “absolu du Bien”, qui en cela ne se discute pas. Par ailleurs, l’utopie utilise des attributs formels (ordre parfait, ville idéale…) comme leurre, alors que sa base effective est une mythologie de l’humain. En effet, si l’humain est imparfait (violent, jaloux, calculateur, paresseux …etc) l’ordre idéal ne fonctionnera jamais, dans le cas contraire… tous les ordres, tous les quartiers, toutes les villes deviennent utopiques grâce à l’empathie, l’entraide et la bonne humeur partagées. Il suffit que les besoins de base soient satisfaits. L’aspiration collective ne se cache pas qu’elle devra composer avec un social plus complexe… donc avec une mobilisation plus active.

l’implication

La mobilisation autour d’une aspiration collective consiste, au minimum, en un don de son temps, voire un don de son argent, ce qui revient au même… sauf pour les riches. Elle doit ainsi composer avec trois types de dérives:

 

  • “L’implication de principe”, spécialité de l’époque, qui consacre des séquences de 140 caractères à … de multiples causes… d’où la difficulté à se mobiliser durablement sur une seule.
  • Le phénomène, là encore très actuel, où nombre d’individus s’efforcent d’exister socialement au travers d’une cause, fut-elle de plus en plus farfelue (les autres causes sont le plus souvent déjà prises)
  • l’implication passionnée, mais en dehors de tout objet, qui peut se résumer par “l’envie d’en découdre”

 

l’évènement

«soyez réalistes, demandez l’impossible»: ce slogan de mai 68 préfigurait un phénomène actuel. La revendication elle-même doit devenir évènement pour être entendue. La projection vers le futur doit utiliser les formes de l’immédiat. Ce qui implique:

 

  • des “grandes causes” sans cesse renouvelées, dont le public se lasse de plus en plus rapidement
  • un appel au “sensible” dont l’accroche est à la fois beaucoup plus rapide, beaucoup plus certaine, mais aussi beaucoup plus éphémère

 

Or une mobilisation sur une aspiration collective ne se conçoit que dans la durée

l’inéluctable dérive vers la promotion du faux

Enfin, une large mobilisation suppose une intense activité militante. Celle-ci visant à élargir l’audience se trouve acculée à faire “flou” et “simple” pour satisfaire aux exigences du consensus (manifester “pour le climat” ou “pour l’indépendance”)… tout en cohabitant avec une forme de radicalisation pour s’inscrire dans la dynamique de “l’évènement”. Ces impasses de l’argumentaire existent dans les médias comme à l’échelle de la cellule de militants. Or les phénomènes qui justifieraient une mobilisation importante sont malheureusement de plus en plus complexes. En faisant simple, on tend à mobiliser sur du faux. Ce qui questionne dramatiquement le militantisme: sans lui on ne produit rien, avec lui on marche vers l’erreur… et radicaliser du simple, cela s’appelle le totalitarisme.

en guise de conclusion provisoire

Des mouvements sociaux de masse enflamment les quatre coins du monde. Est-ce un prélude à un changement planétaire profond? Nous l’espérons tous, mais… (voir “les grands changements à venir passeront-ils par les foules?”)


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