le logement: il retourne inexorablement vers d’où il vient

Classé dans : à partir des espaces | 0

«Nous manquons d’une élite qui ait envie aujourd’hui de contribuer à l’intérêt général». Ce constat nous est offert par une ancienne directrice de l’ENA.

Le futur du logement va devoir s’inscrire dans cette réalité, car ces élites qui pilotent le présent du logement piloteront sans doute aussi son futur. On trouvera ici une description “concrète” de ce qu’il faut entendre par “élites”.
Tout d’abord, à quoi servent-elles? Au niveau le plus général, à gérer les ressources collectives. Dans le domaine particulier qui nous occupe ici, à établir également les normes qui définissent, à un moment donné, ce que doit être “un logement”. L’évolution de ces normes techniques et qualitatives exprime le “progrès” dans ce domaine. Celui-ci fut spectaculaire durant les trente glorieuses (normes de surface, d’équipement, de salubrité…). S’y sont ajoutées plus récemment des normes d’économies d’énergie. On parle bien ici de “logement” et non pas “d’habitat”.

l’élite face à ses propres normes


Mais une norme n’en est une qu’aussi longtemps qu’elle est respectée. Quand elle ne l’est pas – ou plus – les pratiques ne sont plus liées qu’aux capacités d’adaptation des usagers à une situation de crise, depuis le logement suroccupé et dégradé jusqu’au bidonville qui peut ainsi devenir la “norme de logement” dans des périphéries urbaines aux quatre coins du monde.
Ainsi, selon un rapport d’une commission sénatoriale de septembre 2021, c’est près de 15 millions de personnes qui, aujourd’hui en France, sortent “par le bas” des normes en vigueur en matière de logement.
Parmi les normes en vigueur, il est intéressant de se pencher sur celles qui définissent le surpeuplement. C’est en effet une situation (consommation d’espace par individu) qui permet d’identifier facilement un statut de “laissé pour compte”. Un exemple spectaculaire en est donné par les prisons (voir rapport de l’Observatoire 2022).
(*) Aucune des visites réalisées en 2022 n’a permis « de voir un taux d’occupation inférieur à 135% et trois établissements affichaient au moment de la visite des taux supérieurs à 200% ».
Qu’en est-il dans le logement?
(*) En déclin sensible pendant des décennies, le surpeuplement connaît une recrudescence.
C’est le signe que la notion de “laissé pour compte” de l’élite devient de plus en plus extensive… et que, par voie de conséquence, celle “d’intérêt général” tend à s’émousser.
Aujourd’hui, en France:
  • 1/4 des ménages sont en situation de surpeuplement (source INSEE), dont on trouvera ici  les définitions correspondantes, et là  les données de vécu et effets collatéraux.
  • (*) Il existe en France près de 450 000 logements occupés considérés comme indignes. Ces logements présentent des risques pour la santé et la sécurité des habitants.
On y ajoutera:
  • Les “tarifications sociales” de l’eau (gratuité pour des besoins dits “de base” puis tarifs progressivement de plus en plus élevés quand la consommation s’accroît) qui s’avère rapidement inadaptée pour les logements surpeuplés.
  • Selon l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), 3,5 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique en 2019. Il est important d’observer que la précarité énergétique n’est pas uniquement liée au logement, mais également aux capacités de déplacement.
Cette question des déplacements est fondamentale pour plusieurs raisons:
  • (*) La hausse des prix immobiliers dans les grandes métropoles, beaucoup plus rapide que celle des salaires, est un élément de déclassement pour nombre de Français qui ne peuvent plus s’y loger
  • Près des 2/3 du parc de logements sont de type pavillonnaire (source)
  • Là, s’ajoute la problématique “sociale” du transport:
    • les transports en commun à dimension extra-urbaine doivent assumer de très fortes charges en début et fin de journée de travail et un vide relatif entre les deux
    • la rentabilité en devient ainsi peu vraisemblable surtout vu la solvabilité des utilisateurs quotidiens
En découle une très forte pression sur le logement social.
Mais l’extrême difficulté à obtenir un logement financièrement abordable et la pression continue de la demande dans ce domaine amènent aux mêmes effets que la propriété, à savoir l’immobilisation des ménages une fois ceux-ci “logés”… d’où une faible adaptabilité aux changements professionnels… d’où une pression quotidienne supplémentaire sur le système de transport … etc…

l’élite face à la gestion des ressources


les capacités d’arbitrage des ménages

Le logement est le premier poste de dépenses des ménages et plus particulièrement de leurs dépenses préengagées… avec l’énergie… qui augmentent sans cesse pour les plus bas revenus… et même progressivement pour ceux qui sont au-dessus. Ainsi, les capacités d’arbitrage des ménages en matière de ressources diminuent… et n’ont pas fini de se réduire.
(*) Depuis 2017, le gouvernement …/… considère que la France dépense trop sur ce sujet par rapport aux autres économies de l’OCDE et en a fait une source d’économies budgétaires …/… Le fait même que le Gouvernement réalise au coeur de la crise sanitaire une économie de 1,1 milliard d’euros sur une allocation sociale destinée aux plus pauvres interroge d’autant plus qu’elle n’est pas réaffectée au logement.
Régler ce problème appartiendrait donc aux bailleurs sociaux.

les capacités d’arbitrage des bailleurs sociaux

Les capacités d’arbitrage des bailleurs sociaux diminuent également… et n’ont pas fini de se réduire elles aussi, d’autant que près des 3/4 du parc social sont antérieurs à 1990.
(*) Logements sociaux: la construction risque de chuter alors que la demande est déjà au plus haut. Les bailleurs sociaux n’auront pas les moyens de rénover leur parc et, en même temps, de construire de nouveaux logements sociaux. … Il ressort ainsi que la construction de HLM, passée depuis 2020 sous la barre des 100.000 logements par an, devrait continuer de ralentir pour se stabiliser à une moyenne de 66.000 nouveaux logements annuels à partir de 2030. Poussés par l’interdiction progressive de louer les logements les plus énergivores, les bailleurs devraient donner la priorité à la rénovation. Les réhabilitations atteindraient ainsi un pic à 125.000 logements par an en 2025 et 2026, puis reflueraient, pour atteindre 90.000 par an sur la période 2031-2061.
Ces chiffres doivent être mis en perspective avec les 2 423 000 demandes fin 2022… non comptées, «celles des ménages qui seraient en situation d’en faire, mais qui ne la font pas, compte tenu des délais d’attente» (*).
Les offices d’HLM sont principalement financés par le livret A. Or:
(*) Afin de financer la construction des réacteurs EPR2 dont la mise en service est prévue en 2035, l’exécutif envisage de piocher dans le livret A.
Il est martelé avec insistance que cela ne pénaliserait pas le financement du logement social… du moins pour l’instant. Cependant, vu de plus haut, il apparait que le livret A est une énorme source potentielle de financement que nos élites ont très envie de consacrer à autre chose… qu’aux “laissés pour compte”.
D’ailleurs, après le nucléaire …
(*) Le Sénat fait une nouvelle tentative pour orienter une partie de l’épargne du Livret A vers l’industrie de la défense.
Régler ce problème appartiendrait donc à l’État.

les capacités d’arbitrage de l’État

(*) « Nous avons la dépense publique la plus élevée d’Europe, le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé d’Europe, l’une des dettes publiques les plus élevées d’Europe et l’un des déficits les plus élevés de la zone euro. » (Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes)

les élites et le futur du logement


Comment expliquer une telle faillite de nos élites qui n’ont su nous produire que des normes inopérantes et un système d’allocation de ressources totalement bloqué.
(*) De tout ce qu’on m’a enseigné entre l’École polytechnique et l’École des Mines, je puis attester solennellement que rien ne m’a jamais servi». Ce à quoi on a affaire, c’est à une technocratie sans technique.
Revenons à la référence mentionnée au début de ce billet. On y trouve l’expression de ce qui apparait comme un égoïsme fanatique de la classe dirigeante. Cette tendance est d’autant plus portée à perdurer que l’incompétence ne permet pas de gérer les problèmes complexes… surtout quand ils le deviennent de plus en plus.
Travailler à ses propres intérêts est plus profitable, mais surtout… beaucoup plus simple… surtout quand on est bien installé dans les réseaux adéquats. C’est aujourd’hui le seul objectif que sont capables de se donner les élites qui nous gouvernent.

Mais en dépit de leur inaptitude, elles vont continuer à piloter le futur du logement qui dès lors apparait éminemment prévisible. D’ici quelques décennies, les hygiénistes du futur pourront réaliser des observations similaires à ceux de la fin du XIXe siècle et dont l’avant-goût nous est donné par l’observatoire des prisons actuelles (*).


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *