5 principes pour une futurologie de la métamorphose

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futurologie: anticiper des métamorphoses

 

Une société ne se transforme pas par ruptures, mais par métamorphoses et même par interactions de métamorphoses à la manière de ces gravures d’Escher.

 

Notre société n’est pas seulement celle d’internet, des réseaux sociaux, du BigData et de l’intelligence artificielle. Elle est aussi celle des meubles IKEA, des surgelés, de l’Europe, de l’Asie, du chômage, du tourisme, des cartes bancaires, des acronymes, du star-system, de la télévision, de la drogue, de la pédophilie, des jeux de hasard, du souci environnemental, de l’économie de l’interdit

L’essentiel de l’omniprésence actuelle du numérique s’est inscrit en sous-produit d’une révolution antérieure beaucoup plus radicale, celle des loisirs, qui a transfiguré notre espace-temps, notre littoral, nos montagnes et notre système de transport. Elle a créé les résidences secondaires, induit le règne de la voiture et l’essor de l’avion. Elle a généré toute une consommation sportive, touristique et surtout culturelle (livre, cinéma, musique, radio, télévision…) finalement transposée dans l’univers numérique, sous la forme que nous connaissons aujourd’hui. (voir «futurologue, qui est le «nous» de «nous serons ?»)

 

Réduire la futurologie à un discours sur l’avenir des robots, relève de l’enfantillage ou du charlatanisme (voir «pourquoi les futurologues ont-ils besoin du totalitarisme»). La technologie ne prend un sens que ramenée à des pratiques sociales (voir «loi de Moore: les illusions fonctionnelles du futurologue») et celles-ci ne viennent pas de nulle part.

 

tout commence par l’intuition des phénomènes

 

Phénomène (CNRTL):

Ce qui apparaît, ce qui se manifeste aux sens ou à la conscience, tant dans l’ordre physique que dans l’ordre psychique, et qui peut devenir l’objet d’un savoir

Le phénomène

• constitue notre perception brute des pratiques sociales significatives

• fait l’objet d’une sélection (consciente ou non en première analyse)

• est initialement distingué comme porteur de “valeur futurologique“ par la seule intuition

Un phénomène peut prendre différents sens selon la problématique par rapport à laquelle on le considère.

En futurologie, il prendra des formes variables:

• innovation technologique

• nouvelle pratique

• pseudo-tendance

• hypothèse d’un nouveau possible

• …

La première phase d’une démarche de futurologie va consister à sélectionner et donner un sens à des phénomènes dans une problématique particulière: celle de la prévision.

 

futurologie et temporalités

 

la recherche du bon concept

Certaines émergences pleines de promesses ne déboucheront sur rien ou vont rester très longtemps en attente. D’autres laisseront passer leur heure ou disparaitront avant que soient réunies les conditions de leur essor ou de leur renaissance.

Ainsi, la possibilité technique du téléphone mobile avait été énoncée par Nicolas Tesla. Elle a mis un siècle à devenir une réalité.

Le Newton d’Apple et sa numérisation automatique de l’écriture manuscrite n’a pas percé, car au moment de son arrivée ses utilisateurs potentiels n’étaient pas suffisamment convertis au numérique, quant ils l’ont été, ils n’écrivaient plus à la main. L’écriture phonétique SMS peine à marcher sur les traces de la défunte sténographie. Les nanotechnologies, qui agissent au cœur même de la matière, permettront peut-être d’accéder au vieux rêve des alchimistes, transformer le plomb en or… ce qui n’aura probablement plus aucun intérêt à ce moment-là.

La révolution des loisirs, évoquée ci-dessus, s’inscrit dans une temporalité historique. La révolution numérique, produit de la technologie, n’aurait pas existé sans elle par défaut d’ancrage social. Internet serait resté cantonné dans les applications militaires ou professionnelles, comme les rayons X ou les véhicules amphibies.

Une évolution de type historique clairement identifiée a peu de chance de s’arrêter du jour au lendemain. Exprimé par une métaphore: une société est un paquebot, elle ne vire pas de bord à la vitesse d’un kayak. Cette réalité constitue le fondement d’une futurologie raisonnée.

Ce qui autorise à exprimer une hypothèse fondatrice: ce qui va modifier profondément la société viendra de loin.

Mais le fait de venir ou non de loin dépend du concept que l’on retient pour donner un sens au phénomène étudié. Selon ce choix, le même phénomène peut voir sa signification supposée changer du tout au tout, et sembler venir de loin… ou pas.

 

un exemple: Facebook

 

On peut voir Facebook comme un fait “numérique“, né du réseau, relevant d’une thématique globale baptisée “réseaux sociaux“, associé à d’autres phénomènes de l’économie numérique comme Google, Twitter… Apple, Amazon…, et susceptible d’être remplacé rapidement par Snapchat ou un autre. Sous cet éclairage, il relève d’une temporalité courte.

Une seconde approche peut poser Facebook comme un fait de société produit par l’imitation des stars (transparence de la vie privée, capacité à mobiliser l’attention du plus grand nombre autour de sa personne), forme particulière d’expression des égos à la recherche d’un public, liée ainsi au boom des activités créatrices littéraires et musicales, aux files d’attente pour les castings de télé-réalité… etc. Sous cet éclairage, il va relever de pulsions intemporelles nées de l’enfance, de l’histoire du star-system, et globalement d’une temporalité longue. Le numérique fera figure de simple rencontre pour cette tendance lourde qui, sans elle, se serait exprimée autrement.

Selon le choix du concept d’analyse, le même phénomène n’ouvrira pas les mêmes perspectives.

La première approche (séquence courte) ne sert pas à grand-chose dans une démarche de futurologie. Le futur des réseaux sociaux ou des règles de l’économie numériques sont difficilement appréhendables et d’ailleurs rarement envisagées. Par manque de recul, ces concepts apparaissent figés, prisonniers de leur temporalité courte à l’instar de beaucoup d’émergences technologiques récentes. On se limite alors à leur supposer un poids croissant dans l’avenir des autres secteurs: «tout sera évalué en temps réel par les réseaux sociaux», «notre information va dépendre d’eux de façon croissante», «tout s’échangera contre des données personnelles»…etc.

La seconde approche amène à lire un processus historique. Mais pour cela, elle ne se suffit pas à elle-même et doit être consolidée (voir ci-après)

 

5 principes pour une démarche

 

principe 01: sur les tendances

Les tendances ne nous sont pas directement livrées, elles doivent être construites autour de phénomènes (voir «combien de futurs y-a-t-il derrière une tendance?») et cela constitue le premier objet de la futurologie.

Il en découle un premier principe qui prend la forme d’un postulat:

En futurologie, où l’on s’intéresse au moyen terme, un phénomène passé ou présent ne sera considéré que dans la mesure où il prendra un sens surau moins uneévolution à dimension historique.

Mais un phénomène unique ne suffit pas pour valider un mouvement historique. Il faudra donc qu’une des deux conditions suivantes (dans l’idéal les deux) soit vérifiée:

• cette “trajectoire“ sera associée à d’autres phénomènes jugés significatifs

• une évolution longue préalable trouvera dans ce phénomène une continuité logique possible

Si un phénomène ne peut trouver de telles associations, il sera posé comme non pertinent.

Dans les faits, et tout spécialement à l’heure actuelle, il s’agit fréquemment d’extrapolations purement technologiques comme le robot domestique, la voiture sans pilote ou l’imprimante 3D.

 

principe 02: sur l’articulation phénomène-tendance

Les phénomènes intéressants pour la futurologie ne peuvent se limiter au rôle de simple balise d’évolution. Ils doivent collaborer à rendre lisible la modification d’une trajectoire historique.

Modifications de différents types:

conjonction: créer une émergence nouvelle par mise en contact de plusieurs tendances

disjonction: décomposer une évolution antérieure en plusieurs branches distinctes

recouvrement par percolation (voir «la percolation, une base théorique pour analyser l’évolution»)

re-hierarchisation: modification d’un champ de forces

 

principe 03: sur les vagues de développement

Le troisième principe peut s’énoncer par analogie avec la théorie dite “des vagues de développement“, proposée par Alvin et Heidi Toffler vers la fin du siècle dernier

Les Toffler estiment que l’histoire n’est pas linéaire, et rejettent la vision simpliste où les empires succèdent aux empires …/… Leur apport réside dans la superposition des différentes vagues qui interagissent et s’enrichissent mutuellement. Par rapport à la conception linéaire et traditionnelle de l’histoire, cette image apporte du relief à la représentation mentale de l’évolution de l’humanité et fait apparaître des connexions « verticales » indécelables dans le modèle traditionnel

Cette théorie concerne l’échelle macro-historique, mais n’en modélise pas moins une dynamique qui se transpose très bien dans une démarche de futurologie. Les nouvelles pratiques vont s’additionner aux anciennes et interagir avec elles, sans les éliminer directement.

Des pratiques de plus en plus diversifiées vont générer des cohabitations de plus en plus complexes, c’est-à-dire des tendances de moins en moins lisibles. Davantage de précautions vont être requises dans l’élaboration des prévisions. Ce qui nous amène au principe suivant.

 

principe 04: sur l’approche globale

La futurologie s’envisagera comme une approche globale où les différentes hypothèses sont vouées à se valider mutuellement.

Que feront-ils de nos données personnelles si le plus grand nombre n’est plus solvable? Quels effets sur la consommation auraient des logements de plus en plus peuplés?… et sur la natalité?

Deux prévisions ne peuvent se fonder sur des préalables incompatibles: Big Brother pour l’une, un modèle de démocratie pour l’autre. Solvabilité globalement élevée pour l’une, érosion de la classe moyenne pour l’autre…

Ce principe de validation mutuelle, facteur de complexité en première analyse, constitue également une opportunité en matière de méthode. Elle va consister à différencier les angles de vue, à construire des explorations selon différentes thématiques et évaluer les effets possibles de leurs rencontres.

Ce qui induit, pour la futurologie, une approche itérative:

• l’expression, mais la mise en attente, des prévisions issues de chaque thématique particulière

• l’élaboration périodique de synthèses transversales 

• le retour sur les incompatibilités et la reprise partielle ou complète d’analyses initiales

… jusqu’à l’obtention d’ensembles cohérents… graduellement de plus en plus larges.

 

principe 05: sur l’idée de processus

Poser que l’évolution se raisonne comme une métamorphose, c’est mettre l’idée de processus au centre de la futurologie. Une démarche de prévision, même à long terme, n’a pas le droit de se conclure par l’évocation d’une “fin de l’Histoire“, cet instant “T“ où, par exemple, “les robots prendront le pouvoir“… fin du film.

La futurologie s’attache à anticiper des évolutions. Elle n’a de sens que comme science de l’après.

 

en guise de conclusion textuelle

 

Le simple fait de poser l’après en terme de métamorphose ouvre la voie à l’élaboration, pour la futurologie, d’une forme de méthode et permet d’énoncer plusieurs principes généraux.

• Prendre ses distances avec la notion de rupture

• Prononcer le divorce entre la futurologie et les grands augures

• Privilégier les concepts issus de temporalités à dimension historique

• Admettre le préalable intuitif des démarches sous le terme générique de phénomène

• Evaluer et consolider progressivement ce préalable

• Penser une démarche de façon globale et itérative

La mise en situation de ces premiers principes est appelé sans doute à en produire d’autres… et toujours en toile de fond une conviction plusieurs fois exprimée: le futur est prévisible dans une certaine mesure… mais l’exercice est complexe.

 

en guise de conclusion vidéo

 

Comment penser le futur? Une réponse dans cette cette vidéo

 

 

  1. HI-TEC | Pearltrees

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