loi de Moore: les illusions fonctionnelles du futurologue

Classé dans : 2/ idéologies du futur | 0

 

loi de Moore et futurologie

 

Exprimée en 1965, réévaluée en 1975, la loi de Moore pose (source)

… que le nombre de transistors des microprocesseurs sur une puce de silicium double tous les deux ans …/… Cette prédiction s’est révélée étonnamment exacte. Entre 1971 et 2001, la densité des transistors a doublé chaque 1,96 année. En conséquence, les machines électroniques sont devenues de moins en moins coûteuses et de plus en plus puissantes.

source Intel

MooreSourceIntel

Ce sont des variations plus intuitives autour de cette loi que l’on retrouve, en projection, chez de multiples futurologues comme le célèbre Ray Kurzweil récemment embauché par Google.

On trouvera dans cette vidéo, relativement courte (4mn10), doublée en français et diffusée le 22/09/2011 sur Arte, une présentation par Ray Kurzweil lui-même de ses principales hypothèses concernant la singularité technologique et le transhumanisme.

Ces deux scénarios très radicaux s’attachent aux relations futures possibles entre l’humain et la machine, question difficile à ignorer quand on envisage notre avenir, et que l’on retrouve, de ce fait, partout sous différentes formes.

 

la loi de Moore comme support: la singularité technologique

 

Selon Wikipedia

La singularité technologique (ou simplement la Singularité) est un concept, selon lequel, à partir d’un point hypothétique de son évolution technologique, la civilisation humaine connaîtra une croissance technologique d’un ordre supérieur…/… Au-delà de ce point, le progrès ne serait plus l’œuvre que d’intelligences artificielles …/…Le risque en est la perte de pouvoir humain, politique, sur son destin

En gros, le moment arrive où les machines, et seulement elles, seront capables de concevoir des machines plus performantes qu’elles-mêmes. À partir de là, plus de limites pour elles, plus rien à voir pour nous.

Laissons momentanément de côté l’hypothèse selon laquelle la conception d’entités plus complexes que soi-même serait impossible pour l’humain, mais possible pour la machine.

 

la loi de Moore comme modèle: le transhumanisme

 

Le transhumanisme s’appuie également sur des progressions exponentielles, donc indirectement et partiellement sur la loi de Moore (cf vidéo de Kurzweil mentionnée ci-dessus). Il vient en continuité “naturelle“ (si l’on ose dire) de la Singularité, dans la mesure où l’humain pourrait se voir physiquement réincorporés ces ordinateurs à l’intelligence extrahumaine sous forme nanominiaturisée.

La légitimité de cette approche se nourrit de celle des implants et greffes devenus usuels aujourd’hui.

 

pourquoi les futurologues aiment-ils autant la loi de Moore?

 

Outre le très stimulant vertige des exponentielles qu’elle génère, la loi de Moore présente, pour le futurologue, plusieurs avantages assez tangibles.

Elle réunifie les différents futurs autour d’un seul outil. Son histoire en atteste, elle pourrait prédire aussi bien à très courte échéance qu’à l’échelle de plusieurs décennies.

Appuyé sur cette loi mathématique, au moins dans sa forme (courbes, chiffres) à défaut de l’être dans sa construction (elle ne découle que de l’observation), le pronostic du futurologue s’approprie ainsi la légitimité scientifique de la projection à court terme (gage de sérieux important dans un domaine où l’évaluation des prédictions est particulièrement difficile).

La loi de Moore se présente comme un principe autonome et externe au social, une force surdéterminante qui fonctionnerait comme la croissance, le vieillissement voire comme une simili-loi de l’évolution façon Darwin, dynamique d’autant plus inéluctable que déjà à l’oeuvre depuis plusieurs décennies, un peu à la manière du réchauffement climatique et qui nous porterait «mécaniquement» au-delà mêmes des horizons que nous sommes en mesure d’entrevoir.

Enfin, les futurologues aiment la loi de Moore pour toutes les raisons qui leur font aimer les scénarios totalitaires (voire le billet «pourquoi les futurologues ont-ils besoin du totalitarisme?»).

 

le futur de notre société peut-il être aussi simple?

 

le vrai-faux débat autour de la loi de Moore

 

Ainsi le débat sur notre futur se réduirait à celui sur la pérennité de la loi de Moore?

L’auteur lui-même entrevoyait une limite physique à sa loi autour de 2015, puis de 2017. Il semble être suivi par IBM (publié le 14/04/2009 – source) :

Carl Anderson, un chercheur d’IBM, annonce que la loi de Moore devrait rester valide encore pour une ou deux générations de processeurs haut de gamme

par AMD (publié le 8/04/2013 – source)

si la fin n’est pas encore pour tout de suite, le fondeur note déjà un ralentissement par la voix de son GPU architect John Gustafson

Alors qu’IBM (publié le 22/03/2013 – source), encore lui, serait sur le point de la relancer grâce à un liquide ionique

On le voit, le débat est loin d’être clos et moyennant quelques glissements sémantiques dans sa formulation, on peut admettre que la loi de Moore survivra longtemps en se déclinant, de façon plus ou moins approximative, autour des nouvelles technologies informatiques (ordinateurs photoniques, quantiques, neuronaux…etc)

Mais la vraie question est-elle bien là?

 

la dimension futurologique

 

Revenons sur l’attraction que la loi de Moore exerce sur les futurologues.

En première analyse, la réunification des différents futurs autour d’un outil commun apparaît très légitime et intellectuellement très satisfaisante.

Encore faut-il admettre que la pensée du futur soit une pensée du temps… ce qui est très discutable.(voir le billet «la pensée du futur est-elle une pensée du temps»)

Encore faut-il admettre que les différents déterminants de notre futur évoluent tous à la même vitesse … (voir le billet «les deux enfants et les jupitériens»)

Encore faut-il admettre que les évolutions apparentes correspondent aux évolutions réelles (voir le billet «approche du futur: de la métaphore du train à celle du voilier»)

Encore faut-il admettre l’absence d’ambiguïté de la notion de tendance (voir le billet «combien de futurs y a-t-il derrière une tendance?»).

 

les illusions fonctionnelles du futurologue

 

la question du sens

 

L’autre question sur la loi de Moore, assez peu évoquée bien qu’essentielle, consiste à savoir si elle va conserver un sens tout au long de sa durée de vie, quelle que soit celle-ci.

Pour cela, il est nécessaire qu’à tout surplus de puissance informatique puissent être associés des usages socialement pertinents… ce que présume, un peu rapidement, la futurologie dominante.

Or il y a trois grandes familles d’usages socialement non pertinents du point de vue du futurologue

• les performances de laboratoire
• la majorité des utilisations de pointe
• les utilisations idiotes

Dans la seconde famille, on va trouver d’authentiques progrès, généralement utiles, mais qui ne modifie pas, de façon significative, le quotidien du plus grand nombre, comme les simulations sismiques, météorologiques ou autres activités de serveurs.

Dans la troisième catégorie on trouvera le prodige technologique de la télévision, annoncé hier comme l’outil ultime de la démocratisation de la Culture, utilisé aujourd’hui pour diffuser massivement de la pub et des émissions de télé-réalité. Sur la base de ce même principe, le transhumanisme pourrait ne servir qu’à augmenter de façon spectaculaire le niveau moyen des parties de Scrabble, à l’image du Viagra dans un domaine connexe.

 

une autre approche des micro-ordinateurs

 

La puissance offerte aux premiers micro-ordinateurs était dédiée exclusivement aux travaux de bureautique (d’où la fortune de Microsoft)… et en noir et blanc. La montée en puissance des microprocesseurs a accompagné le développement de cette discipline (arrivée de la couleur, évolution des logiciels…).
Les besoins de la bureautique sont satisfaits depuis longtemps et le surplus de puissance offert a progressivement concerné la conception graphique, 3D, vidéo, … en clair, des niches de spécialités soit… de moins en moins de monde.

Lorsque le graphisme et la vidéo ont commencé à concerner le plus grand nombre, ce fut sur internet, où la puissance du microprocesseur n’est plus le seul facteur en cause. Il faut en effet composer avec le débit du réseau, sa disponibilité et son éventuelle saturation ainsi que sur les techniques associées (compression d’image, qualités du navigateur, précautions de sécurité…)

Ainsi, rapportée à son impact social réel, la loi de Moore n’est peut-être plus, tout à fait, ce qu’elle paraissait être au premier abord.

 

une analogie pour conclure

 

Pour illustrer ce propos, terminons par un regard sur une courbe “cousine“, celle de la vitesse des automobiles évaluée à partir des records homologués (source)

• 1898 –   63 km/h
• 1899 – 100 km/h
• 1902 – 120 km/h
• 1905 – 195 km/h
• 1909 – 202 km/h
• 1924 – 235 km/h
• 1928 – 334 km/h
•  —-
• 2010 – 495 km/h

On y constate que, socialement parlant, apparaissent aujourd’hui caducs tous les progrès réalisés depuis … 1902 !

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *