Notre pensée du futur est très polluée par l’idée de rupture. Celle-ci a déjà été mise en cause de multiples manières (voir liens en fin de billet), mais sans avoir insisté autant que nécessaire sur l’élimination qu’elle implique de toute dimension temporelle, ce qui constitue à la fois la clé de sa séduction et son vice principal. Une rupture se pare d’instantané, même quand elle annonce un délai de plusieurs décennies, dans la mesure où l’extrapolation qui lui sert de support exclut toute référence à des états intermédiaires. Or, serait-elle effective, que sa mise en place n’en impliquerait pas moins une durée – on ne passe pas au pouvoir des robots du jour au lendemain – … une durée pendant laquelle son environnement va évoluer… obligatoirement… autour de valeurs et de connexions nouvelles amenant au métissage de technologies de différentes générations, mais aussi à la rencontre entre des technologies et des données économiques, sociales, écologiques, qui se seront transformées parallèlement. Ce phénomène est normal, habituel et permanent. On oublie seulement qu’il est en mesure de déstabiliser les émergences considérées comme les plus inévitables.
la rupture et son corollaire paradoxal de la stabilité du contexte
Toutes les émergences technologiques tiennent pour acquise la pérennité d’une économie de la consommation, pourtant historiquement récente. Que se passerait-il – et surtout – que ne se passerait-il plus – si tel n’était pas le cas?
Des incertitudes techniques pèsent sur le futur d’internet, alors que des questions se posent sur l’évolution de sa nature profonde quand on constate que le vieillissement l’affecte beaucoup plus vite dans sa dimension d’outil culturel que dans sa dimension d’outil commercial. Sa gratuité elle-même s’érode progressivement.
Wikipédia fait régulièrement appel aux dons, Amazon et Google… non.
Des thématiques technologiques ne seraient-elles pas amenées à se recomposer si ces tendances se renforçaient?
l’intelligence artificielle & la blockchain
L’idéologie de la rupture se nourrit de longue date d’intelligence artificielle. Celle-ci progresse effectivement, mais cette progression est difficile, incertaine et l’objectif de l’intelligence omnipotente semble reculer au fur et à mesure que les recherches avancent. Or pendant ce temps, émerge son contraire, la blockchain, qui n’est rien d’autre que l’affectation de moyens actuels aux bases de données traditionnelles… celles d’avant-hier…, mais qui apparait comme plus adaptée à un nouveau contexte où la robustesse et la sécurité sont devenues prépondérantes. Ce qui était perçu comme la voie unique initiale va multiplier les rencontres et se voir remplacée par une arborescence de cheminements possibles, dont certains pourraient déboucher… sur des ruptures d’un autre type.
l’espérance de vie
La question du futur de l’espérance de vie se rapproche de l’exemple précédent au sens où un possible théorique, extrapolé en rupture un peu prématurément …
L’homme qui vivra 1000 ans est sans doute déjà né
… permet surtout, en cherchant à résoudre le problème, d’en découvrir la complexité… et d’amener des convictions différentes… voire opposées. Cet exemple préfigure un futur où la génétique – puisqu’il s’agit d’elle – ne va sans doute plus apparaitre comme autonome dans les extrapolations qui la concernent (sur l’intelligence, sur la durée de vie, sur les différentes aptitudes…) .
la robotique
La rupture fonctionne toujours sur une mécanique simpliste, susceptible de produire très vite des visions de science-fiction. Elle empêche de prendre en compte toute la constellation de possibles auxquels un domaine peut donner lieu, car elle tend à n’en sélectionner que le représentant le plus “spectaculairement extrapolable”. Ainsi l’image du robot humanoïde a-t-elle envahi le champ des représentations de la robotique, laissant dans l’ombre une multitude de concepts inédits comme le minimalisme animal, les nanorobots, la robotique en essaim… etc. Or, il est facile de se convaincre que tous ces principes jugés secondaires seraient beaucoup plus ouverts à des métissages technologiques porteurs d’inédit que le concept fermé d’humanoïde.
le transport collectif
Avec l’Hyperloop apparait la question de la durée de vie des visions de rupture. Il s’inscrit en effet dans le droit fil des promesses… du milieu du siècle dernier. Est-ce toujours une perspective pertinente aujourd’hui? On peut en douter… pour plusieurs raisons.
À l’inverse, qui aurait promis un avenir au tramway, né au milieu du XIXème et dont le dernier exemplaire disparut de nos villes un siècle plus tard… à peine vingt ans avant… que l’on commence à en réinstaller… mais des nouveaux… fruits d’un métissage entre le concept ancien, des aptitudes technologiques d’aujourd’hui et d’une référence implicite aux versions moderne du métro?
la réalité virtuelle
Après avoir semblé pouvoir rendre possibles l’immersion dans des mondes que le sujet ne serait plus en mesure de distinguer du réel, et à partir de là de rejoindre les visions de Philip K Dick faites d’ubiquité et d’espaces-temps parallèles, la réalité virtuelle piétine. Elle pourrait néanmoins, par association à des usages plus courants, donner naissance à des scénarios d’un autre type.
La rupture, même raisonnée, même complexifiée, ne devrait jamais se draper d’évidence. Poser le métissage comme principe central d’un nouveau paradigme aide à ne pas tomber dans ce travers dans la mesure où il est, par nature, multiforme.
En procédant à des projections logiques à partir d’hypothèses justes, il est possible … d’avoir tout faux!
l’écriture
Dans le domaine de la transmission de messages, le métissage semble donner lieu à des possibilités illimitées où peuvent interagir les domaines de recherche les plus actifs. Pourtant il semblerait que ce soi le moins pratique et le moins élaboré, à savoir le passage par le clavier, qui tende à s’y imposer, au point que différents pays (USA, Finlande) sont en train de supprimer l’enseignement de l’écriture cursive.
voler
S’il est un domaine où les technologies n’ont cessé de se finaliser dans l’Histoire, c’est bien autour de l’objectif de permettre à l’homme de voler. Qui aurait prédit que dans sa version la plus accomplie, c’est dans sa rencontre avec… les technologies du textile… que ce rêve deviendrait réalité?
la peau
Ce qu’il y a également de surprenant dans l’idée de rupture, c’est sa sensibilité aux modes alors qu’elle se présente comme inscrite dans une temporalité historique. Ainsi en va-t-il de la mode du tatouage… alors que le futur de la peau peut être associé à bien d’autres problématiques.
les compatibilités fondamentales des possibles
Nikolas Tesla, qui avait prédit le téléphone portable presque un siècle avant qu’il n’apparaisse, nous laisse en suspend une autre de ses prophéties – crédible ou non – mais tellement contraire aux intérêts des multinationales de l’énergie qu’il y a peu de chances qu’elle puisse un jour se réaliser. Car parmi les “mauvaises” rencontres que peut faire une voie technologique il y a aussi… et peut-être surtout… celle-ci.
pour aller plus loin autour de l’idée de métamorphose
- «5 principes pour une futurologie de la métamorphose »
- «tendances & métamorphoses: le modèle du vieillissement»
- «Allométrie: une autre approche des métamorphoses»
- «RUPTURE: anatomie du concept-phare de la futurologie»
- «Futurs de référence: Les scénarios post-rétrospectifs»
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