le futur entrevu à partir du syndrome de Kessler

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Dès 1978, Donald Kessler avait postulé la venue d’un phénomène que les spécialistes de l’espace ne prennent véritablement en compte qu’aujourd’hui.

le syndrome de Kessler

Il s’agit d’un scénario de pollution spatiale provoqué par l’accumulation de collisions entre objets en orbite et débris d’objets… collisions elles-mêmes productrices de nouveaux débris… et par là d’une probabilité croissante de nouveaux impacts… etc… phénomène à caractère exponentiel connu sous le nom de “rétroaction positive
Au-delà d’un certain seuil, un tel scénario rendrait quasi impossibles l’exploration spatiale et même l’utilisation des satellites artificiels pour plusieurs générations. (*)
Selon un long développement d’American Institute of Aeronautics and Astronautics (*)
La communauté scientifique n’est pas encore parvenue à un consensus sur la question de savoir si le syndrome de Kessler a commencé, ou non et à quel point il sera nuisant quand il commencera. Il existe cependant un consensus sur le fait que le concept de base est solide.

L’incident grave le plus récent est survenu en 2009 lorsqu’un satellite de communication Iridium et un satellite russe Cosmos sont entrés en collision, générant quelque 2000 débris d’au moins 10 centimètres de diamètre…/… Treize ans plus tôt, le satellite français CERISE s’est brisé après être entré en collision avec un débris d’une fusée Ariane 1. En 1991, le satellite russe Cosmos 1934 est entré en collision avec des débris et s’est brisé en orbite.

Il existe des scénarios plausibles où l’incitation à lancer des satellites deviendra faible parce que nous en perdrons la moitié “ à cause de collisions avec des débris …/… Le syndrome de Kessler ne rendra pas les altitudes orbitales inutilisables, il devrait plutôt s’agir d’une dégradation progressive qui va induire des coûts de plus en plus élevés.
À la suite de cette “prise de conscience”, où en sommes-nous du traitement de ce problème?
(*) Après l’incroyable année 2024 (*NDLR: 261), pas moins de 300 nouveaux lancements orbitaux se profilent en 2025 à travers le globe. (1)
D’où l’expression d’une première dérive à caractère général: une indifférence totale vis-à-vis des mises en garde. Aucune limitation, aucune précaution ne peut être espérée dans un secteur économiquement rentable, et ce, quelle que soit l’importance des enjeux.
(*) En découlerait la mise en cause de nombreuses activités humaines comme l’observation, la défense, la météorologie, la radionavigation, la géolocalisation, la cartographie, la diffusion de chaînes de télévision ou l’accès à internet.

Cet aspect très (trop) connu n’est cependant pas le plus intéressant dans le propos qui nous occupe ici.

La futurologie se nourrit de tendances dont on perçoit rarement la façon dont elles pourraient prendre fin, ce qui ouvre les portes aux peurs exponentielles les plus diverses (démographie, intelligence artificielle …etc…). Le syndrome de Kessler nous présente de façon concrète et lisible deux voies par lesquelles un processus fabrique de lui-même sa propre extinction: les rétroactions positives et la saturation. La question des déchets devrait en faire partie, mais à l’instar des avertissements elle n’est jamais sérieusement prise en compte .

les rétroactions positives

Une rétroaction positive . – telle qu’on la voit à l’oeuvre dans le syndrome Kessler – désigne tout processus qui tend à s’intensifier de lui-même. Ce mécanisme est notamment très actif dans ce qui touche au réchauffement climatique (incendies de forêt, réchauffement des océans, albédo des zones polaires … etc). En s’autoalimentant, il accélère la marche vers les conséquences attendues du phénomène initial.

la saturation

La saturation est aujourd’hui un de nos compagnons de route, depuis les embouteillages du matin et du soir, les 1000 km de bouchons cumulés qui sont devenus un classique de nos week-ends d’été, jusqu’à la saturation des parkings, des transports en commun, des prisons, des services hospitaliers en passant par celle du réseau électrique ou de la bande passante.

Pourquoi sature-t-on autant partout?

La saturation révèle une inadéquation entre une offre et une demande qui, contrairement au mantra de l’économie de marché, n’est pas régulée par le prix. La saturation correspond à la confrontation entre une demande forte – voire croissante – et une offre bloquée. Elle matérialise une absence de marge de manœuvre d’un côté comme de l’autre pour des raisons qui peuvent être les plus diverses. La saturation est généralement temporaire ou séquentielle… mais pas toujours. Elle a souvent une seule cause… mais pas toujours.
Offre et demande peuvent être imbriquées comme dans le cas du syndrome de Kessler: l’offre d’espace est … ce qu’elle est… face à une demande de mises en orbite de satellites. Cette demande constitue à son tour une offre pour des demandes diverses de télécommunication.
Mais offre et demande se raisonnent le plus souvent séparément.
Du côté de la demande:
  • les corrélations de fonctionnement expliquent notamment la saturation des systèmes de transport. Tout le monde part en même temps en vacance, en week-end et circule en même temps au quotidien parce que les clients, les partenaires, les collègues, les fournisseurs se doivent d’adopter des rythmes similaires. Si tout le monde s’absentait à des moments différents, plus rien ne fonctionnerait.
  • Des conditions anormales peuvent impliquer la saturation des services de santé, en général… des services d’urgence en particulier.
  • Malheureusement, tout cela n’explique pas, par exemple, la saturation de la montée à L’Everest (voire photo) , ni celles relevant d’un niveau inquiétant de bêtise , qui peuvent évidemment se cumuler à toutes les autres. Le phénomène n’est donc pas “qu’économique”.
Du côté de l’offre:
  • la saturation correspond souvent pour l’offre à une situation de profit maximum qui n’appelle le changement que par la promesse d’une autre saturation à un niveau supérieur. Dit autrement, une situation de saturation semblerait appeler un investissement supplémentaire… dont la rentabilité ne serait pas forcément acquise. En outre, l’augmentation de l’offre peut se heurter à des considérations matérielles comme l’élargissement des emprises dans le domaine des transports.
  • La saturation va concerner fréquemment les services sociaux, que les politiques tendent toujours à ne financer qu’au minimum en économie libérale (santé, prisons, logements…).
  • L’offre peut également dépendre des capacités des “contenants” naturels tels que les sols, les océans ou l’espace pour en revenir au syndrome de Kessler.
  • Enfin la saturation peut dépasser la relation de contenu à contenant pour dépendre de multiples facteurs déterminant la continuité d’un fonctionnement
(*) Les grands datacenters européens sont à 82% de leur capacité…/… Il apparait en effet qu’ils sont sur le point d’atteindre leurs limites, en termes d’alimentation énergétique, de capacités de refroidissement et d’encombrement.

en guise de conclusion provisoire

Le syndrome de Kessler apparait donc intéressant à double titre vis-à-vis de notre propos.
  • D’une part il propose une métaphore des problématiques environnementales (déchets, rétroactions positives, saturations).
  • D’autre part, il met en évidence un biais de la futurologie, celui qui tend à ne nous faire approcher le futur qu’à partir des possibles d’une offre. La contrebalancer par l’action d’une demande apparait inapproprié: en futurologie, la demande n’a pas de futurs. Or, on le voit, l’action de celle-ci peut se traduire par un engorgement, une forme de paralysie et de dysfonctionnement global alimenté par des rétroactions positives.
On retrouve ces mêmes principes à l’œuvre dans le mode dominant d’occupation de l’espace: des zones urbaines – lieux de toutes les saturations – associées à la contrepartie de déserts intermédiaires. L’un comme l’autre tend à ne plus pouvoir fonctionner … par excès… ou par défaut.
En fait, la saturation ou le désert n’apparaissent pas comme des dysfonctionnements exceptionnels: ils “sont” la réalité. C’est l’équilibre harmonieux entre l’offre et la demande, issu de l’idéologie de la grande consommation, qui fait figure d’exception.
Peut-on imaginer, par exemple, le futur de l’intelligence artificielle – puisqu’elle est à la mode – à partir des mécanismes entrevus ici? Cela demanderait davantage d’imagination que le repli sur les tendances brutes… mais s’avérerait sans doute, au bout du compte, beaucoup plus juste.
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(1) – jeudi 6 mars 2025) – L’immense vaisseau Starship de SpaceX a explosé en altitude, générant une constellation de débris incandescents au-dessus des Caraïbes.
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