Futurs de référence: Les scénarios post-rétrospectifs

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Les ruptures brutales comme celle d’internet autant que les invraisemblables longévités comme celle du préservatif (cinq millénaires), interpellent sur le jeu des temporalités à l’oeuvre dans l’évolution des sociétés et sur le modèle de pensée de référence qu’il convient d’adopter en futurologie. Or, les scénarios les plus fréquents, donc à priori les plus probables, sont ceux que l’on pourrait appeler les scénarios post-rétrospectifs. Ils consistent en la réaffectation du progrès sur une pratique antérieure suite à l’échec relatif d’une innovation majeure dans un secteur donné. Revenir en arrière pour repartir vers l’avant.

Les années soixante ont vu la mort annoncée des lunettes face à la diffusion rapide des lentilles de contact. Qui aurait pensé, à cette époque, qu’elles seraient toujours là au XXIè siècle et, qui plus est, comme support vedette des technologies de pointe? Les lentilles présentaient évidemment quelques insuffisances, mais comment imaginer que le progrès n’en ferait pas rapidement son affaire?

Comment prévoir à l’époque un retour aussi rapide des tramways… alors qu’ils venaient juste de disparaitre après plus d’un siècle de bons et loyaux services? (voir « Téléportation: pourquoi a-t-on préféré revenir au tramway? »). Et que dire du retour du vélo motorisé, enfant du VéloSolex… du scooter, de la trottinette …? Et du retour en force des avions à hélices

Ces renaissances ont bénéficié de belles améliorations. Les éoliennes d’aujourd’hui ne sont plus les moulins à vent d’hier. Les appareils de chauffage au bois modernes ont des rendements sans commune mesure avec ceux du passé.

Autant de cas où la démarche de progrès s’est réaffecté sur des principes antérieurs éprouvés.

Ce mode de pensée est actif en permanence et l’on peut en préciser quelques traits à partir de l’exemple de l’Hemingwrite,

Hemingwrite

un concept récemment proposé sur Kickstarter. La question ne sera pas de se prononcer sur l’avenir ou la pertinence de ce concept en particulier, mais de l’utiliser pour explorer un mécanisme.

En accueil, celui-ci est clairement présenté en une seule phrase sur la base de trois arguments:

The Hemingwrite is a distraction free writing tool with modern technology like a mechanical keyboard, e-paper screen and cloud backups

  • Une critique de la technologie dominante où internet est assimilé à une distraction
  • Une intégration de certains acquis récents: “Cloud“, WiFi, e-paper… multi-documents…
  • Un ancrage sur une pratique éprouvée: la machine à écrire traditionnelle

Auxquels s’ajoute dans le corps de la présentation:

  • La promesse d’un “bon en avant“, représentée par une autonomie de 4 à 6 semaines, pour convaincre que cette voie n’est pas celle d’un sous-produit, mais celle d’une innovation réelle et crédible.

Quatre familles d’arguments que l’on retrouvera dans tous les scénarios post-rétrospectifs

Pourquoi ce phénomène?

D’une façon générale, l’idéologie techno-scientiste tend à se refermer sur une famille de technologies émergentes, supposées tout résoudre. Tout ce qui n’est pas “elle“ tend à être évacué. Aujourd’hui, hors réseau, hors robot, hors data, point de futurs. Parallèlement, l’idéologie techno-sceptique (elle a toujours été présente) tend à valoriser tous les contraires de la précédente et à se renforcer de toutes ses insuffisances et de tous ses problèmes. De nouvelles synthèses émergent en permanence de la confrontation de ces deux façons de penser. Certaines s’installent.

Ce mécanisme est d’autant plus fréquent qu’il est rare qu’une technologie ou pratique émergente ne rencontre pas des difficultés techniques, économiques, sociales, ne présente pas certaines imperfections, certaines incompatibilités (voir « l’incomplétude: talon d’Achille du futurologue »). Tout se joue alors sur la vitesse à laquelle elle les résout et sur la force des courants et des contre-courants, portés par diverses firmes, organisations, groupes sociaux… et idéologies. L’indétermination du futur réside principalement dans les aléas de cette confrontation … la forme que va adopter la continuité historique aussi.

La «rupture» n’est donc probablement pas le mode de pensée de référence qu’il faut adopter en futurologie. Quand elle existe, ce sont les champs de forces qu’elle déclenche ou qu’elle anime qui vont changer durablement la société… pas directement elle.

Dans le domaine technique, l’avènement de l’informatique et d’internet ont ouvert des possibles sans équivalents au même titre, qu’en son temps, l’électricité. Dans le domaine économique, la “société de consommation“ (lien) et avec elle la “société des loisirs“ ont eu un impact plus important encore. Mais si ces nouveaux champs de possibles sont sans équivalents, la façon de s’en servir s’offre aux alternatives et les pratiques traditionnelles bénéficient d’une légitimité acquise de longue date et d’un ancrage dans les habitudes qui facilitent l’adhésion collective à leurs évolutions.

Il en résulte qu’identifier une difficulté dans les innovations majeures c’est identifier un possible scénario post-rétrospectif. C’est une façon de délimiter un champ pour l’imagination (voir billet précédent:  « Créativité & prévision: l’impératif d’une clarification »).

Un scénario de ce type appliqué aux données personnelles a été évoqué, sans le nommer, dans un article précédent (voir « Données personnelles: l’approche par les paradoxes« ).

Dans le prochain billet, nous allons en explorer un autre, lié à une annonce récente qui a créé un certain émoi sur le web.


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