l’Hyperloop est-il le clap de fin d’une ère technologique?

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Loi de Moore, exponentielles, “singularité technologique”, le conditionnement de la pensée du futur par la technologie induit, entre autres biais, une approche illusoire des limites, ou plutôt de leur absence. Il interdit la prise en compte de nombreux paramètres… en fait, tous ceux de la vraie vie (voir: «loi de Moore: les illusions fonctionnelles du futurologue»)… ce qui fut longtemps… peu important. Projet actuel, on ne peut plus concret, alors qu’il véhicule certaines des valeurs technologiques les plus intemporelles, l’Hyperloop nous offre un thème bien adapté à l’analyse de la façon dont peuvent s’appréhender les limites d’un progrès .

qu’est-ce que l’Hyperloop?


On trouvera ici  une présentation (très promotionnelle) du projet, datée de 2015, par un de ses dirigeants.
Résumons. L’Hyperloop  est un mode de transport révolutionnaire appuyé sur la technologie dite de sustentation magnétique  d’ores et déjà utilisée par une nouvelle génération de train (dit “Maglev” pour “Magnetic levitation” ), notamment pour la desserte des aéroports de Shanghai et de Séoul, et en projet avancé au Japon pour une future ligne destinée à relier Tokyo à Nagoya puis Osaka. Alors que la sustentation magnétique affranchit le véhicule de ses frottements au sol, amenant ainsi à des vitesses d’environ 600km/h, l’Hyperloop propose de l’affranchir également de la résistance de l’air, en le faisant circuler dans un tube où un vide relatif aurait été crée, pour atteindre des vitesses supersoniques… objectif annoncé… notamment par le très médiatique Elon Musk, initiateur du projet. En l’occurrence il ne s’agirait pas à proprement parlé d’un train, mais de cabines isolées d’une à trois dizaines de personnes selon les scénarios.
Sur le plan de l’imaginaire, le transport par tube a inspiré nombre de visionnaires du siècle “avant-dernier”, à l’étranger comme Alfred Ely Beach , ainsi qu’en France, comme Michel (fils de Jules) Verne ou Albert Robida (voir billet).
Il faut dire qu’à l’époque ces “intuitions” étaient nourries par les images d’une technologie de transport pneumatique effectivement existante.
L’Hyperloop est-il techniquement crédible? Un test à 112km/h pendant un peu plus de 5 secondes a été réalisé avec succès sur un tronçon d’essai de 500 mètres dans le désert du Nevada , rapidement suivi d’un second à 309km/h , même lieu, même durée, mais cette fois avec une “vraie” cabine et non pas un simple chariot. Tout laisse donc supposer que sa mise en place technique se passe bien.
Beaucoup y croient, notamment la SNCF  qui vient de participer à une levée de fonds de la startup Hyperloop One, pilote du projet, ainsi que l’Emirat de Dubaï qui s’est déjà engagé par contrat sur une future ligne prévue pour relier Abu Dhabi à Dubaï (120 km) en 12 minutes (voir vidéo)
Ils ne sont pas les seuls à y croire: d’autres startups, dans différents pays notamment en France, travaillent sur des projets concurrents basés sur le même concept.
Une idée aussi avancée peut-elle encore être remise en cause? Comme nous allons le voir, considérer comme acquis l’avènement de ce “cinquième mode de transport” qu’est l’Hyperloop (selon Elon Musk) apparait quelque peu prématuré.

la longue et coûteuse marche vers l’échec


En fait, depuis presque un demi-siècle, la quasi-totalité des projets visant à faire circuler le public à de très hautes vitesses ont été des échecs.

L’Aérotrain

Sa première maquette fut présentée en 1964, l’année de la mise en service du Shinkansen (TGV) au Japon. L’Aérotrain  est un véhicule se déplaçant sans contact avec le sol, sur un coussin d’air, et guidé par une voie spéciale en forme de T inversé, formant par nécessité un site propre.
Le 14 novembre 1967, l’Aérotrain 01 atteint la vitesse record de 345 km/h …/… Le 22 janvier 1969, l’Aérotrain 02 atteint la vitesse record de 422 km/h sur la voie d’essai de Gometz-la-Ville …/… L’année 1969 voit également la construction de l’Aérotrain S44, une version destinée au transport suburbain à propulsion électrique telles que des liaisons centres-ville-aéroports. Il est conçu pour une vitesse de 200 km/h…/…Le 21 juin 1974, un contrat de construction d’une ligne d’Aérotrain entre la ville nouvelle de Cergy et le quartier d’affaires de La Défense est signé…/…Le 17 juillet 1974, l’État revient sur sa décision : la ligne d’Aérotrain Cergy – La Défense est abandonnée …/… En 1977, le projet est définitivement abandonné.

Le Transrapid

Le Transrapid est un train à sustentation magnétique allemand, de type monorail. Sur la base d’une ébauche datant de 1934, la mise au point de l’actuel Transrapid débuta en 1969. Sa piste d’essai se trouve à Lathen, en Allemagne, et elle date de 1987. Le Transrapid est à la base du système japonais Maglev. Fin 2011, la licence d’exploitation du Transrapid, en Allemagne, a expiré. Début 2012, la ligne d’essai a fermé, et la destruction/reconversion de l’ensemble du site d’Emsland a été approuvée …/… Le projet d’une ligne dédiée au Transrapid entre Berlin et Hambourg a été abandonné par le gouvernement allemand à cause de son coût prohibitif.

Plus globalement

Selon Fundación de Estudios de Economía Aplicada (Fedea), étude soutenue par plusieurs grandes banques et entreprises espagnoles
Seules deux lignes à grande vitesse sont parvenues à atteindre une rentabilité financière claire: Tokyo-Osaka (Japon) et Paris-Lyon (France) …/… Plus récemment, la ligne Jinan-Quingdao (Chine) a présenté des résultats positifs, qui restent toutefois modérés.
Quant au supersonique aérien, alors que le mur du son a été franchi par le Bell X1 en 1947 et que les technologies y afférant ont été, depuis, sans cesse affinées à des fins militaires, aucun vol commercial supersonique n’a jamais été proposé au public depuis l’échec du Concorde. Le supersonique aérien n’était-il pas pourtant mieux maitrisé, plus simple et plus rapide à mettre en oeuvre que son équivalent terrestre? Alors pourquoi est-ce que cela n’a pas marché non plus?

au-delà de l’idée


La rentabilité d’une ligne de train suppose de relier des villes importantes, séparées par des distances suffisamment longues pour que le train soit plus intéressant que l’automobile, et suffisamment courtes pour qu’il soit plus intéressant que l’avion. Ces lignes, connues de longue date, comme les plus certainement rentables, sont évidemment déjà très bien équipées en différents modes de transports. En dehors des scénarios post-apocalyptiques, un nouvel équipement devra donc s’installer là où les places sont déjà prises et où des pouvoirs sont déjà bien établis pour les défendre. On admet ainsi que le lobbying de la SNCF aurait été une des principales causes de l’échec de l’Aérotrain. Et le problème est devenu encore plus aigu aujourd’hui … parce que tout le monde le sait.
En 1980, à quelques mois de l’entrée en service du premier TGV, Air Inter transportait 1 million de passagers entre Paris et Lyon. Au début des années 2000, l’avion ne représentait plus que 10% du marché sur cet axe avec 700.000 passagers contre 6,5 millions pour le train …/…La mise en service du Thalys entre Bruxelles et Paris en 1994 a contraint Air France à supprimer sa liaison aérienne.
L’implantation d’un Hyperloop, qui suppose un site propre, devrait donc faire face non plus à un concurrent, mais à deux. Le fromage du nombre de passagers étant supposé stable, le partager en trois en laisserait moins à chacun. C’est dans ce contexte que l’Hyperloop serait supposé amortir l’investissement considérable de son installation (vraisemblablement très supérieur à ses préannonces) … et “aussi” de son exploitation à cause – d’une part – de la nécessité de maintenir le vide d’air dans le tube et – d’autre part – des coûts “d’intendance” et de “sécurité”, qui n’ont pas été budgétés au niveau de l’idée… mais qui devront l’être un jour ou l’autre. Ajoutons qu’une raison importante du succès du TGV a été sa compatibilité avec les voies existantes où il pouvait circuler à la vitesse d’un train traditionnel… atout que n’aura pas l’Hyperloop qui, comme l’avion, supposera un processus de transfert vers les autres modes de transport.
Ajoutons que les procédés nouveaux sont plus sensibles que les autres aux risques graves sur un plan médiatique: c’est une dimension nouvelle à prendre en compte pour évaluer le futur d’une technologie. Fiabiliser au point qu’aucun problème ne puisse survenir, au moins dans la phase initiale de la mise en service, coûte cher. Comment faire face à un problème survenu dans une cabine quand la suivante arrive sur elle à 1200km/h… ou même seulement à la moitié… ainsi que toutes celles d’après? Est-ce par la mise en place d’une distance de sécurité importante… c’est-à-dire d’un débit moindre… sans doute mortel en termes de rentabilité? Comment gère-t-on les grandes affluences avec des cabines (imaginez les passagers du TGV à l’heure de pointe qui feraient la queue devant… une station de téléphérique)?… etc…
L’avantage pratique attendu de la vitesse supersonique est proportionnel à la distance à parcourir, mais plus celle-ci devient importante (donc pertinente) plus elle suppose, pour un transport terrestre, un énorme investissement.
À ce propos, il faut remarquer qu’aucun mode de transport ne circule à sa vitesse maximum – bien loin de là – qu’il s’agisse de nos automobiles ou de nos trains. Sur la base du record qu’il a établi en 2007 (574,8 Km/h), le TGV devrait mettre Lyon à moins d’une heure de Paris… “de Paris-centre” (on ne gagnerait plus rien avec un Hyperloop) C’est sur la base d’un chiffre de ce type qu’Elon Musk met San Francisco à une demi-heure de Los Angeles alors que l’Hyperloop restera évidemment très en deçà de cette vitesse. Son problème – à lui – c’est que toute sa communication est basée sur une… rupture de l’espace-temps … qui devient beaucoup moins nette si la vitesse est divisée par deux.
Par ailleurs, la mise en oeuvre d’un projet de ce type est un travail de très longue haleine, aspect sur lequel sa communication initiale insiste peu. Ainsi, pour un projet de train à sustentation magnétique classique (si l’on ose dire) – dénué de tube – comme celui du Maglev au Japon , où les problèmes “concrets” préalables semblent déjà avoir été réglés
Une première section est en chantier de Tokyo/Shinagawa à Nagoya avec une ouverture prévue en mars 2027. Ultérieurement, la seconde section sera en chantier de Nagoya jusqu’à Osaka avec une ouverture prévisionnelle en 2045.
Il peut se passer beaucoup de choses… en 30 ans. Les risques inhérents à l’investissement sont considérables surtout dans un contexte qui ne serait plus celui d’une forte croissance économique… pour ne pas dire pire.
Une seule chose parait probable dans le futur de l’Hyperloop, la réalisation du projet de Dubaï. L’absence de soucis de rentabilité et de problèmes fonciers dans le désert, associés à ce parfum de parc d’attractions qui plait tellement à ces enfants gâtés du pétrole devraient suffire à en assurer la finalisation. Mais après…?

l’Hyperloop: la fin d’une époque?


Mettre les hommes en relation par un réseau de transport a été partout et de tout temps une nécessité à laquelle il a été répondu par les moyens du moment. Les “lier davantage” ou “mieux” a longtemps consisté a améliorer ces réseaux. C’est peut-être en voie de ne plus être le cas. Pour l’essentiel, les réseaux de transport qui devaient être créés le sont. Désormais ce sont les ondes qui relient les hommes. Ce sont-elles qui ont provoqué une rupture de l’espace-temps.
Se déplacer à la vitesse du son n’est peut-être plus un besoin et l’instantané peut désormais être pris en charge par la téléprésence. Le prix est en voie de devenir le critère principal pour le plus grand nombre. Le progrès technologique s’est ouvert d’autres horizons dans l’infiniment petit. D’une façon générale, le futur s’annonce comme de moins en moins matériel, ce qui pour notre propos signifie de moins en moins “immobilier”, secteur où le retour d’investissement n’est plus assez rapide pour la gloutonnerie de capitalistes désormais habitués à gagner de l’argent en une fraction de seconde, et où les investissements publics massifs sont certainement voués à devenir de plus en plus rares (ce sont eux qui ont été les bailleurs de fonds des grands projets d’équipement).
Ainsi, sous des dehors d’ultra-modernisme, il se pourrait que l’Hyperloop ne soit rien d’autre que l’ultime avatar d’une idéologie technologique en voie d’extinction. Les échecs répétés des projets en haute vitesse pourraient en être autant de symptômes.
Cette question de savoir si le futur appartiendra aux ondes ou aux équipements lourds peut être posée autrement:
«Qui, aujourd’hui, apparait le plus “futuriste”, est-ce Apple avec son nouveau siège pharaonique  ou est-ce WordPress qui met en vente ses locaux pour généraliser le télétravail?». On parvient difficilement à se défaire de l’impression que le premier évoque plutôt la fin de quelque chose… en dépit de sa modernité de façade… un peu comme l’Hyperloop.

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