C’est un présupposé d’intelligence qui permet de parler de progrès, de culture, d’éducation, de démocratie… et même de liberté, car par quoi se traduirait celle d’un imbécile?
Or le déclin de l’intelligence humaine apparaît comme de plus en plus avéré. D’ailleurs il s’explique. Mais peut-il prendre d’autres formes, potentiellement plus dramatiques, que celle d’une lente érosion?
de l’affaiblissement de l’intelligence humaine
Cette problématique a déjà fait l’objet d’une étude d’envergure.
Des chercheurs ont récemment examiné les résultats de tests cognitifs de plus de 30 000 Américains de plus de cinquante ans inscrits dans un projet de recherche à long terme porté par l’Université du Michigan. Dans le cadre de ce programme, des petits exercices ont été proposés aux volontaires pour évaluer leurs fonctions cognitives tous les deux ans. Au total, l’étude a analysé près de vingt ans de données recueillies de 1996 à 2014.
De laquelle il ressort:
“un déclin du fonctionnement cognitif chez les baby-boomers après des générations d’augmentation des scores aux tests“ …/… déclin observé dans tous les groupes de personnes : hommes et femmes, de toutes races et ethnies et à tous les niveaux d’éducation, de revenu et de richesse“.
Cette conclusion rejoint une convergence observée sous de multiples points de vue dans de nombreux billets de ce blog, entre le plus explicite, en avril 2015: «L’intellect humain est-il voué à l’affaiblissement?» et le plus récent «le futur par les mots qui disparaissent: “la SAGESSE”». Elle me satisferait donc en tout point si… je n’étais pas moi-même… un baby-boomer de plus de 50 ans. Pour pouvoir rédiger les lignes qui suivent, il va me falloir oublier cette perturbante réalité ou me persuader que cela n’est finalement prouvé… que pour les Américains… (~?).
Mais ces conclusions obtenues à partir de tests dits “d’intelligence générale” rejoignent, hélas, celles qui ont été obtenues à partir d’autres études d’envergure appuyées sur des tests de QI .
Si la pertinence des tests de QI (Quotient Intellectuel) dans la mesure de l’intelligence fait polémique, une tendance alarmante se dessine malgré tout en Occident. D’après plusieurs études récentes, une baisse généralisée du QI serait effective notamment en Europe, depuis une quinzaine d’années.
de l’affaiblissement à l’effondrement
Un affaiblissement ne peut cependant mener à un effondrement qu’à certaines conditions. À l’image du réchauffement climatique, ce processus réclame de puissantes rétroactions positives… malheureusement, dans ce cas, assez faciles à formuler.
Une intelligence qui s’affaiblit est de moins en moins apte à accéder à la complexité. Elle tend à se rabattre sur le simple, qui lui-même la sollicite de moins en moins, renforçant par là son affaiblissement … à l’image de l’activité physique où “moins on en fait, moins on est porté à en faire”… parce que c’est de plus en plus difficile. En dehors de l’influence délétère régulièrement évoquée des réseaux sociaux, l’autoamplification du phénomène s’opère directement par le biais du langage: raccourcissement des messages, information par l’image, suraccumulation de l’un et de l’autre… et métamorphose du langage lui-même (*)
Les études sont nombreuses qui démontrent le rétrécissement du champ lexical et un appauvrissement de la langue. Il ne s’agit pas seulement de la diminution du vocabulaire utilisé, mais aussi des subtilités de la langue qui permettent d’élaborer et de formuler une pensée complexe…/… plus le langage est pauvre, moins la pensée existe.
Le problème est antérieur à l’essor des réseaux sociaux. Au registre de ses causes, on peut rappeler:
- la délégation des tâches complexes (voir: «L’intellect humain est-il voué à l’affaiblissement?»)
- la consolidation des attitudes (voir: «influence & information: le futur du doute et de l’évidence»)
Selon Russell Ackoff « au-delà d’une certaine masse de données, la quantité d’information baisse, à la limite elle devient nulle». Au-delà d’une certaine masse de données, l’information ne détrompe plus… n’influence plus. Le doute a disparu. Les évidences règnent.
- l’emprise croissante de l’effet Duning-Kruger: «l’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance». Les affirmations fortes sont perçues plus rapidement, plus facilement et plus positivement que le doute… spécialement dans les médias.
Ainsi, l’intelligence consistant en la capacité de gérer le doute, on peut s’inquiéter de la multitude de canaux par lesquels s’installent les évidences (voir: «l’ordre de demain sera-t-il simple ou complexe?»)
L’informatique de producteur (micro-ordinateur) a fait place à l’informatique de spectateur (smartphone), les logiciels complexes aux microapplications. La communication écrite se limite à des messages de plus en plus courts. De moins en moins de gens font des choses difficiles. On apprend aux voitures à se conduire toutes seules. L’extrême droite progresse ici, avec ses “il n’y a qu’à” et ses “boucs émissaires”, la religion progresse ailleurs avec ses guerres saintes et ses suicides. Tout semble indiquer que nous entrons dans une phase de simplification globale.
«La dictature c’est le pouvoir du fort, le totalitarisme c’est le pouvoir du simple» (*). Comment réagir, comment lutter contre l’émergence du totalitarisme?
- Par une intense activité militante? Soit par…une nouvelle accélération de la simplification et son corollaire «l’inéluctable dérive vers la promotion du faux»: voir «aspirations collectives: le crépuscule des mobilisations».
- Par le repli sur le discours d’une autorité de référence, qui pourrait (…devrait) être la Science (voir «probabilités, corrélations: quand la science ne sait plus»). Hypothèse évoquée bien avant d’être confirmée par le Covid où il faut bien le dire, les scientifiques, embourbés dans leurs controverses, n’ont pas servi à grand-chose.
Encore faut-il garder à l’esprit que ce qui conditionne, en premier lieu, l’effondrement effectif de l’intelligence, c’est la peur… donc la violence… qu’il apparaît d’autant plus légitime d’appliquer aux déviants, que les évidences qu’ils refusent d’admettre sont devenues indiscutables pour le plus grand nombre.
en guise de conclusion provisoire
Des pensées moins diverses, exprimées de façon de plus en plus simpliste sont de plus en plus facilement contrôlables par des firmes dont l’obsession première n’est pas de rendre les gens intelligents et qui vont pouvoir s’en remettre, pour ce faire, à des robots de plus en plus simples eux aussi – donc plus robustes et plus efficaces.
Que peut-il advenir?
Question déjà évoquée par le passé avec d’autres mots: “quel est le futur de cet homme?”
La perception du simple peut être la même pour tout le monde: ce cas de figure correspond à nos totalitarismes de référence. Mais le simple peut aussi s’atomiser en de multiples évidences, supports de dérives sectaires pour de multiples communautés, inaptes à toute communication, car pour communiquer… elles devraient cesser d’être simples. Plusieurs billets ont déjà mentionné une dérive assez générale vers différentes formes de communautarisme, et ce dans toutes les couches de la société.
Quel ordre social pourrait en résulter?
On peut imaginer un train, qui emmène tout le monde dans la même direction, pendant que des groupes de fanatiques s’affrontent dans chaque wagon… en ayant, tour à tour, l’impression de gagner – voir «de la difficulté de “penser” le totalitarisme économique».
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