perception artificielle: va-t-on vers davantage d’objectivité ?

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Le “vrai”, quand on y croit, est supposé découler de l’objectivité, elle-même supposée “commencer” par une perception juste des faits et des données.

Si la perception artificielle est objective, la technologie pourrait ainsi nous offrir un accès possible au “vrai”. Si elle ne l’est pas… qu’est-ce qui le sera? Car les évolutions dans ce domaine semblent claires: la perception des robots s’affine et s’enrichit de jour en jour, alors que jamais autant d’énergie n’a été mobilisée pour tromper celle des humains. À quoi cela mène-t-il? Peut-être pas seulement à l’évidence qu’évoque la symétrie apparente de ces deux tendances.

un être vivant ne peut pas… ne pas percevoir


Ce qui signifie que :

  1. La perception de son environnement n’est pas – à priori – finalisée. La plus grande partie de ce qu’il perçoit ne lui sert à rien. En outre, l’idée qu’il se fait de l’utilité d’un objet ou d’un phénomène perçu à un moment donné est susceptible d’être influencée.
  2. En dehors de l’utilité, la perception peut imposer des impressions et états d’esprit qui alimentent la subjectivité
  3. L’humain ne peut pas s’abstraire des acquis de son expérience et notamment des “concepts” qu’il a appris très tôt à attacher à toute perception. Ainsi, pour lui, toute perception n’est prise en compte qu’assortie d’une interprétation. Pour lui, la perception brute n’est ni mémorisable ni communicable. À la limite, elle n’existe pas.
  4. La perception de l’humain s’exerce dans un registre limité à ses cinq sens. Leurs performances ne peuvent pas être augmentées de façon significative.

Pour la machine, c’est le contraire en tous points:

  1. Les capteurs – équivalent des sens – ne lui sont implantés et calibrés que dans la perspective d’une utilisation particulière
  2. Une machine ne ressent rien
  3. Pour elle la perception n’existe que sous forme de “données” dénuées de toute interprétation … soit la base d’une possible objectivité… mais qui n’existera qu’aussi longtemps… qu’elles resteront inexploitées. Car si les données elles-mêmes peuvent être objectives, la sélection qu’on leur applique et l’algorithme qui va leur donner un sens seront liés aux présupposés d’un résultat à obtenir.
  4. Le robot est – ou sera – en mesure de concentrer tous les modes de perception imaginables (vue, odorat, sons, distances, mouvements, ondes électromagnétiques, infrarouges, ultra-sons…etc…) et d’augmenter indéfiniment leur acuité.
L’humain ne peut pas ne pas percevoir, mais il devient de plus en plus risqué pour lui de croire ce qu’il voit et ce qu’il entend. La réalité virtuelle, le “deep fake” semble être des faits avec lesquels il va falloir apprendre à cohabiter, alors que le robot est en voie de s’imposer comme le seul à pouvoir identifier des contrefaçons de plus en plus abouties.

objectivité et complexité


Les questionnements philosophiques sur la notion d’objectivité amènent irrésistiblement à la recherche d’un ancrage dans son “essence”. Ainsi, le premier stade du raisonnement tendra toujours à se fonder sur l’expérience perceptive simpliste qui consiste par exemple à “voir un objet”, puis à confronter ce qui est supposé être la réalité “objective” de l’objet avec le ou les points de vue possibles de sa perception. D’où des développements de ce type:
(*) L’apparence d’un arbre changera à mesure que l’on s’en approche, mais l’arbre lui-même ne change pas …/… L’objet devant moi ne disparaît pas simplement parce que les lumières sont éteintes…

Ce faisant, il est possible que la trajectoire du raisonnement le voue, dès son origine, à manquer sa cible. L’objectivité peut se concevoir, voire se discuter, autour de ces expériences perceptives simples, mais il lui est impossible de cohabiter avec la complexité d’une perception ou d’une interprétation. Tout ce qui engage un doute, un arbitrage, des hypothèses ou des jugements de valeur ne débouchera jamais sur un traitement objectif.

Une définition de la complexité pourrait même en découler comme: “ce qui commence quand l’objectivité n’est plus possible”.

Un exemple simple permet de s’en persuader à partir de la question: “quelle est la couleur d’un ciel sans nuages?”. Toutes les personnes disposant d’une perception visuelle non perturbée répondront – “bleu” -. Question simple… réponse unanime … donc objective. Demandons alors: “de caractériser la nuance de bleu du ciel ”… La question devient complexe, c’en est fini de l’unanimité.
Dans les deux cas, la machine répondra par un profil de type RGB, TSL ou CMJN. Objectivité? Oui. Et ce n’est pas parce que la machine n’est pas influencée par une sensibilité comme l’humain, mais parce que pour elle la question de la couleur n’est pas complexe.
Ceci étant, il est difficile d’interroger les rapports entre objectivité et complexité sans évoquer les sciences. Se référant notamment à Thomas Kuhn (déjà cité ici à de nombreuses reprises) un scientifique évoque ainsi les limites de sa propre objectivité
(*) Nos propres données sensorielles sont façonnées et structurées par un cadre théorique, et peuvent être fondamentalement distinctes des données sensorielles des scientifiques travaillant dans un autre. Là où un astronome ptolémaïque comme Tycho Brahe voit un soleil se coucher derrière l’horizon, un astronome copernicien comme Johannes Kepler voit l’horizon se déplacer jusqu’à un soleil stationnaire. Si cette image est correcte, alors il est difficile d’évaluer quelle théorie ou quel paradigme est le plus fidèle aux faits, c’est-à-dire le plus objectif.
Cependant la question de la “perception brute” ne relève-t-elle pas d’un simple formalisme à une époque où c’est principalement d’information qu’il s’agit quand on parle d’objectivité? En marge des discours, la notion de “preuve” dans le domaine de la communication, revient le plus souvent à la perception simple de “l’image vue”, de “la voix entendue”, du chiffre (et de ce qu’il évoque). Le débat sur la perception n’est donc pas caduc.

Qu’amène alors la perception artificielle du point de vue de l’objectivité?


La perception artificielle dissocie les phases – entremêlées chez l’humain – de perception (génération de données) et interprétation (algorithmes de traitement) … ce qui les distingue, mais ne les affranchit pas pour autant l’une de l’autre. Au final, elle nous inonde de données… généralement justes… ce qui offre deux manières… d’échapper à l’objectivité:
  • soit on va s’efforcer d’en prendre en compte le plus grand nombre possible et… entrer dans la complexité… qui exigera hypothèses et jugements de valeur.
  • soit on va procéder à une réduction à priori des données prises en compte, rompant ainsi avec la neutralité de la démarche.

De la même façon qu’une vérité incorporée dans une chaîne de mensonges peut améliorer la crédibilité d’un discours sans pour autant le rendre globalement sincère, l’objectivité ne peut se limiter à une séquence telle que la perception brute pour valider l’ensemble d’une analyse. La perception artificielle n’amène – et ne pourra jamais amener – à une certaine objectivité, que sur l’analyse de problèmes simples… ou simplifiés.


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