les paradoxes du dialogue entre “ pourquoi ” & “ pourquoi pas

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Dans l’idée, le futur devrait s’envisager à partir d’un dialogue entre le “pourquoi” et le “pourquoi pas”, à la fois conséquence logique du passé et émergence d’un inattendu, l’un ayant par nature vocation à perturber l’autre. Les modalités de ce dialogue semblent importantes à éclaircir pour nous permettre de comprendre les raisons pour lesquelles, aujourd’hui, le “pourquoi” et le “pourquoi pas”… ne dialoguent plus … ce qui est ennuyeux, car si ce dialogue cesse, le futur n’est plus perçu que comme:
  • soit dépourvu de tout principe directeur, abandonné aux délires du hasard et dépouillé ainsi de toute consistance
  • soit totalement déterminé par une logique irréversible. Réductible à son aboutissement, il peut alors se comprendre et s’écrire au présent: c’est “comme si on y était déjà”.

Privé de la tension exercée par son ambivalence fondamentale, le futur n’existe… presque plus.


la dialectique du “pourquoi” et du “pourquoi pas”


Sur un plan grammatical ils se présentent comme des contraires, sur le plan conceptuel c’est moins clair.
Le “pourquoi” serait associé à la pensée rationnelle quant le “pourquoi pas” en appellerait à l’imaginaire (1)
Ce genre de représentation dont c’est l’essence de nous soustraire au déjà-vu, et d’ériger un monde dont on entend souligner qu’il est sans modèle
Pourtant, en futurologie, le “pourquoi pas” ne se réduit pas à l’expression d’un imaginaire “vierge et authentique” au sens qu’auraient pu lui donner, par exemple, les surréalistes. Un imaginaire pur et dur ne peut être mobilisé dans le cadre d’une prévision, car celle-ci suppose un ancrage à des motifs. Cette contrainte ne s’applique pas dans le domaine, fréquemment considéré comme voisin, de la science-fiction pour lequel “étonner” est nécessaire, mais surtout suffisant. En futurologie, le “pourquoi pas” évoque une réaction implicite de type “en dépit de”, qui se réfère sans l’exprimer à toutes les raisons qui pousseraient à le considérer comme improbable, voire impossible. “Pourquoi pas” exprime la prise en compte du rationnel, mais avec l’intention assumée de s’y opposer (le faible vainqueur du fort, la prise de conscience collective renversant l’avenir compromis de la planète, la morale venant à bout de la logique capitaliste… etc…)
“Pourquoi pas” est le commencement d’un espoir voire d’une utopie. S’il s’oppose au “pourquoi” c’est que ce dernier semble voué à ne mener qu’au malheur, et ce n’est que par la contestation de cette apparente fatalité qu’il se justifie. Mais n’y a-t-il pas autre chose que leur seule vraisemblance qui nous mène aussi inexorablement à des visions d’avenir aussi systématiquement négatives?

la dialectique du faux rationnel & du faux imaginaire


En futurologie, le “pourquoi” se résume à l’exploitation d’un principe unique: l’extrapolation d’une tendance présentée comme d’ores et déjà lisible. Cependant, la prise en compte affectée d’un poids variable de tout ce qui pourrait contrarier cette évolution amènerait à une multitude de scénarios, ce qui serait de nature à dissoudre totalement l’approche rationnelle. À l’inverse, toute tendance non contrariée ne peut mener qu’à l’exponentielle, c’est à dire… à une autre dissolution de la pensée rationnelle. Ce type d’extrapolation, logique en apparence, ne fait que transformer en image saisissante (Big Brother, catastrophe climatique, singularité technologique…) ce qui s’était présenté au départ comme assimilable à une suite mathématique.
De son côté, le “pourquoi pas” ne sait que dire “non” à cette perspective. Il n’en propose pas… ou plus… d’autres.
Ce qui nous mène à un double paradoxe de la futurologie actuelle:
  • que ce soit en positif ou en négatif, seule l’approche rationnelle produit de l’imaginaire
  • mais c’est un imaginaire admis, conventionnel, dit autrement une sorte… d’anti-imaginaire
Ce qui en découle se prête-t-il à une dialectique?
Les deux grandes catégories d’extrapolations en vogue aujourd’hui – l’écologique et la technologique – s’ignorent mutuellement et dessinent chacune de leur côté un avenir que ne façonnent que leurs seuls arguments. La question de leur influence réciproque ou de leur compatibilité ne se pose même pas dans la mesure où:
  • aucune des deux extrapolations ne dispose des outils conceptuels ou linguistiques qui lui permettraient de tenir compte de l’autre
  • chacune aspire à se poser en pensée unique.
Le futur n’est plus qu’une idéologie dans le cadre de laquelle la part d’inédit qui se prépare… obligatoirement… nous est inaccessible.
À l’évidence, il faut s’y prendre autrement:
  • dans la vraie vie, l’exponentielle n’existe pas
  • de multiples forces vont interagir pour générer de nouveaux phénomènes
  • les concepts directeurs de l’évolution et les mots pour les décrire vont changer
Le travail sur l’extrapolation ne doit sans doute pas consister à dire “où l’on va”, mais “comment… on ne va pas y aller”.


  1. Alain

    Le pourquoi et le pourquoi pas suggèrent tous deux que le devenir serait conditionné à une éventuelle finalité, décidée en toute puissance par nous-mêmes. Mais le vaste champ de l’après rend ses balises, rassurantes ou effrayantes, des plus floues voire surréalistes. Surtout dans la société occidentale, au futur constamment occulté (Pour exemple : 6000 brevets censurés en un siècle aux USA), la brume philosophique se fait bien épaisse, grossie constamment par le paroxysme individualiste actuel. C’est surtout au niveau social que l’on constate la limite de l’individualisme, tant sont nombreux aujourd’hui les personnes qui crèvent de solitude. « 5000 amis sur Facebook, personne à son déménagement » titrait déjà Le Progrès en 2008 !
    Les cupides technologues « après-nous le déluge » et les planants écologues « avec nous le messie » font lentement, mais sûrement, la place aux initiatives hybrides. Que ce soit avec la science mimétique en plein renouveau, ou l’écologie soutenue technologiquement, force est de constater la tendance vers une technologie plus symbiotique que parasitaire. Même si elle ne touche pour l’instant que la part aisée de la population, que ce soit financièrement et/ou intellectuellement.
    En effet, le débridage de nos désirs ne nous a pas rendu plus réalistes, ce qui nous pousse aujourd’hui vers un pragmatisme compensatoire que je pense salutaire. Si la nécessité a force de loi, ce n’est pas le cas des pourquoi/pourquoi pas, qui somme toute, ne concerne que notre confort intellectuel, encore tout puissant. Le futurologue ne peut percer la brume des volontés dispersées qu’en se concentrant sur l’essentiel, seule graine fiable pour le futur. Il lui faut également faire le deuil de ses préférences intellectuelles, pour une meilleure transparence d’évaluation.
    Merci pour ce site courageux, Alain, de Lyon.

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