écologie: le “ comportement modèle ” sert-il à quelque chose?

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comportement modèle: le brouillage de l’idée


Le “comportement modèle” en écologie, plus souvent évoqué sous les expressions de “comportement durable” ou “comportement responsable”, dissimule derrière une image d’évidence…
La question du changement de comportement et, plus généralement, de l’évolution de nos modes de vie est un enjeu clé de la transition écologique (1)
… de nombreuses questions, pour ne pas dire un problème insoluble, car fondé sur de profondes contradictions.

le comportement modèle selon le colibri

La fausse simplicité de l’idée doit beaucoup à sa réduction à un simple principe moral tel qu’exprimé par Pierre Rabhi dans sa fameuse petite fable du colibri :
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! « . Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »
Moteur du “changement social par le bas”, donc initialement minoritaire, socialement déviant et potentiellement révolutionnaire, ce comportement appellerait l’imitation. Ce n’est qu’en étant massivement suivi qu’il accéderait à “l’utilité”, problématique qu’il se refuserait à envisager au stade préalable afin de préserver la pureté de l’engagement moral sous-jacent.
Mais, cette évocation du comportement modèle par une fable la dispense de toute référence à un contenu. Au-delà de la métaphore, que serions-nous, au juste, censés imiter?

le comportement modèle dit “durable” ou “responsable”

Il est difficile de trouver une véritable définition du comportement responsable. Ceux qui s’y sont essayés, comme ici, en rédigent un descriptif de plusieurs pages qui évoque un règlement de copropriété… ce qui n’est d’ailleurs pas une mauvaise façon de “penser” la planète. Le problème est qu’il n’a plus rien de commun avec le comportement modèle vu par le colibri.
Le comportement responsable, devenu une agrégation de comportements liés à des situations diverses, ne se manifeste plus à l’observateur dans sa globalité. Il n’est donc plus directement imitable. Il n’est plus communicable que sous la forme d’un discours – donc d’un argumentaire – qui plus est hétérogène – c’est à dire contrarié par des controverses de toute nature. Il perd ainsi la dimension d’évidence qui devrait caractériser un modèle.

définir le comportement modèle

«Penser global, agir local»: ce mantra écologiste ne simplifie pas la définition du comportement modèle, car la pensée qui en découle s’appuie sur une certaine idée du global, sur une certaine idée du local, sur une certaine vision des urgences et sur de nombreuses contradictions:
  • Adversaire résolu de l’obsolescence des produits, la pensée environnementale en génère pourtant aujourd’hui la plus grande partie.
  • Du point de vue du bilan CO2-consommation de ressources, quelqu’un qui roule peu doit-il remplacer son vieux véhicule polluant – si tenté qu’il en ait les moyens -?
  • À partir de quelle épaisseur l’isolation de son logement devient-elle négative pour la planète (Saint-Gobain fait partie des 50 plus gros pollueurs du monde)?
  • Qu’est-ce que la consommation alimentaire de proximité pour une agglomération de 10 ou 20 millions d’habitants?
  • Quel est l’avantage attendu d’une économie d’eau là où elle est abondante?
  • Si la planète est à l’agonie, l’urgence est-elle de déplacer des ours?
  • … etc
  • Et surtout, ne faut-il pas considérer que le comportement modèle qui prévaut chez nous et qui se donne une portée planétaire apparaitrait totalement surréaliste, sur de nombreux points et pour des raisons parfois opposées, en Afghanistan, au Qatar ou au Bangladesh?

le comportement modèle en négatif

L’extrême difficulté que présente la définition du comportement modèle amène à l’aborder “en creux”, principe que l’on peut voir à l’œuvre dans l’exemple suivant , qui pourrait n’être que ridicule s’il n’était le fait d’un organisme public spécialisé et s’il ne s’appuyait pas sur les ressorts d’une rhétorique devenue, hélas, extrêmement fréquente:
Dix-huit hippopotames! C’est le poids des matières premières utilisées pour fabriquer l’ensemble des biens d’équipements qui se trouvent dans notre domicile (appareils électriques, habillement, meubles, équipements de sport,…), soit la bagatelle de 45 tonnes. Et le CO2 émis pour tout le cycle de fabrication atteint 6 tonnes, soit l’équivalent de six allers et retours Paris-New-York en avion.
L’étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) est une première et permettra peut-être à chacun de prendre conscience de la surconsommation inutile qui est entrée dans les foyers. Un exemple bien connu, 88 % des Français changent de téléphone portable alors qu’il est encore en parfait état de fonctionnement.
Une thématique globale (l’équipement des ménages), des moyennes statistiques dont la consistance est difficile à établir (notre domicile?), des références à des quantités astronomiques de CO2, d’hippopotames et de voyages en avion… autant de moyens mobilisés pour dénoncer le remplacement abusif de téléphones portables… puisqu’il faut bien le dire, pour l’essentiel les chiffres en question contiennent de l’équipement de base et ne nous renseignent en aucune façon sur ce que pèsent réellement les mauvaises pratiques en la matière.

un comportement modèle peut-il être massivement suivi?


L’idée de comportement modèle est étroitement liée à celle de “changement social par le bas” qui pose évidemment une première question: est-il réaliste de penser qu’une petite minorité puisse réellement influencer le devenir du plus grand nombre?
Les chrétiens ont débuté en étant “un”… puis “un + douze”, mais il leur a fallu passer quelques siècles dans les arènes avant de commencer à s’installer… ce qui n’est peut-être pas le scénario que privilégient les minorités d’aujourd’hui. L’influence possible d’une minorité n’est pourtant pas à négliger .
Une contribution européenne a posé les jalons de l’étude des influences minoritaires …/… Selon cette théorie, contrairement à l’influence majoritaire, génératrice d’une conformité de façade et à l’origine d’un traitement cognitif superficiel des informations en présence, l’influence minoritaire favoriserait une analyse cognitive plus approfondie et, en dépit d’un rejet public de la position de la minorité, celle-ci serait potentiellement endossée en privé, faisant l’objet d’une influence latente.
Le comportement responsable de type “règlement de copropriété” s’inscrit très bien dans un très ancien principe de psychologie sociale qui postule que tout individu procède à:
une fragmentation du « soi » en autant de « soi sociaux » qu’il y a de groupes distincts de personnes dont l’opinion importe à l’individu (2)
Un très large éventail de commandements permet à l’individu d’y butiner au gré des circonstances et de s’adapter ainsi à ses différents groupes de référence . Des études comme celle-ci  confirment cette hypothèse:
Le comportement environnemental responsable implique l’adoption non seulement d’une pratique, mais de plusieurs pratiques qui auront comme résultat de changer un mode de vie. Les éducateurs à l’environnement ont constaté que les individus, au lieu d’adopter ce nouveau mode de vie, font une sélection des messages environnementaux et construisent des structures mentales qui soutiennent leur propre système de valeurs (3).
Le comportement modèle peut donc être, à la fois”suivi et non suivi”, car contrairement à ce que laisserait supposer la fable du colibri, il y a beaucoup de façons de “faire sa part” dans une longue liste de commandements… ce qui réduit l’efficacité de chacun d’eux par rapport à l’objectif global.
Le comportement modèle pourrait également s’appréhender comme une innovation qui serait susceptible d’être adoptée progressivement… ou pas.
Pour améliorer l’adoption d’une innovation, les résultats attendus doivent être visibles et communicables. Dans la plupart des cas de pratiques environnementales responsables, cette mise en évidence est difficile. Le résultat n’est pas toujours immédiat et par conséquent il est difficile de parler des modifications engendrées par le changement de pratiques (3)
La grande cause planétaire a produit de multiples “sous causes”, ce qui est d’ailleurs dans l’air du temps, car la tendance aujourd’hui, spécialement pour l’individu connecté, est d’exister à partir de la défense d’une cause… n’importe laquelle… mais qui implique ses propres engagements. Les causes environnementales les plus essentielles tendent ainsi à être noyées sous une multitude d’autres causes.
Et puis, force est de l’admettre, aucune société dans l’Histoire ne s’est seulement approchée du “Bien” par l’agrégation spontanée de comportements modèles. Par contre, nombreuses sont celles qui l’ont exploitée pour se rapprocher du “Pire”. Tous les régimes totalitaires en appellent au comportement modèle. Ce n’est donc pas qu’un… “truc de gentil”… et l’on peut craindre qu’il soit voué à n’être suivi que sous la contrainte.

l’idéologie du comportement modèle


Pour les raisons qu’on vient d’évoquer, le comportement modèle en écologie sera globalement mal identifié et peu suivi, alors même que les variables comportementales individuelles qu’il viserait à améliorer ne sont responsables que d’une toute petite partie de la dégradation globale de l’environnement (industrie, agriculture, transport, consommations de base… et surtout montée en puissance des rétroactions positives  qui “automatisent” la détérioration).
Alors, à quoi sert-il?
Que quelques lignes d’un règlement intérieur de la planète soient respectées par une poignée d’Occidentaux des classes moyennes n’aura, à l’évidence, aucune sorte d’impact sur son devenir, d’autant que les dérives inverses ne manquent pas. Par ailleurs, on ne dit pas à une personne atteinte d’une maladie mortelle à court terme qu’elle doit surveiller son alimentation et pratiquer un exercice physique régulier. Si la planète en est là, l’heure n’est plus à fermer le robinet d’eau quand on se brosse les dents.
Mais on passerait à côté de l’essentiel si l’on se limitait à la dimension “fonctionnelle” de la question, car le comportement modèle est appelé à jouer un rôle idéologique déterminant.
L’écologisme est porteur d’une idéologie que l’on peut qualifier de pernicieuse:
  • c’est de la faute à tout le monde puisque personne ne peut se prévaloir d’un comportement véritablement exemplaire
  • nous sommes tous égaux face au désastre qui s’annonce… ce qui est faux, bien entendu.
Le comportement modèle constitue le pivot du grand marché de la culpabilité qui fut longtemps un monopole de la religion: l’individu se sent absous quand il en respecte quelques commandements, alors qu’il reste irrévocablement coupable par rapport au non-respect de la totalité.
Cependant, l’influence latente des comportements minoritaires mentionnés plus haut, va permettre le moment venu:
  • de rendre acceptables des mesures contraignantes sur les ménages qu’aura rendues indispensables le “laisser-aller abusif” dans la phase initiale du “librement consenti”
  • d’appliquer des thérapies drastiques à l’environnement – dit autrement – d’ouvrir un immense marché planétaire qui sera d’autant plus profitable qu’il aura été lancé plus tardivement
… et tout çà sans même avoir à faire référence au “vrai comportement modèle”.

le vrai comportement modèle


La plus grave agression contre la planète aujourd’hui consiste à ne pas payer ses impôts, surtout quand ils sont importants, car cela interdit toute action publique significative pour l’environnement… même aux gouvernements qui seraient convaincus de sa nécessité (4).

(1) ADEME
(2) William James – Principles of Psychology (1890)
(3) Anna Kurtycz – Le comportement environnemental responsable par rapport à l’eau comme une innovation
(4) Selon diverses estimations, le montant total de la fraude fiscale en France atteindrait, voire dépasserait, celui des recettes de l’impôt sur le revenu.

  1. Alain

    Voilà une vingtaine d’année que je mets en garde, les politiques entre autres, en tant que conseiller écologique, contre la dérive totalitaire écologique. « Le laxisme fait le lit des extrêmes » disais-je pour expliquer la collusion masquée entre la gauche et l’extrême-droite. Ce qui explique aussi pourquoi F. Mitterrand fut membre fondateur du Front National, s’en servant au passage d’épouvantail électoral jusqu’à maintenant. Le seul frein réel a une dictature écologique est le manque de légitimité des gens de pouvoirs d’aujourd’hui, sérail népotique ou copinant de ceux qui ont laissé faire. Il vont devoir tenter d’abord un certain renouveau charismatique de la classe dirigeante, en cours aux USA et en Russie, mais bien avortée en France.
    L’explosion de la fraude fiscale est plus à imputer aux directives européennes qui nous ont interdit les contrôles de mouvements de capitaux, mettant en parallèle sur piédestal les paradis fiscaux européens comme Luxembourg. Depuis 1992, traité de Maastricht, nous prenons des amendes massives sitôt que l’on obéit pas aux « recommandations » d’une commission européenne faites de lobbyistes. Le Figaro expliquait récemment d’ailleurs, qu’il y a en moyenne 26,7 lobbyistes pour chaque député européen. Il n’a donc fallu que 26 ans, pour que la cupidité ultralibérale gagne l’ensemble des couches plus populaires, tandis que les autres approches sont stigmatisées par des médias complices, voire commanditaires électoraux.
    Si nos réflexions sont souvent emmiellées dans la bien-pensance, il faut prendre en compte que ce n’est pas le cas pour nos dominants. En effet, dès 1850, les industriels se gaussaient de réchauffer l’atmosphère, grâce à leurs usines, aux bétonnages asphyxiant le cycle de l’eau. Avec pour but affiché, et aujourd’hui constaté, de gagner des terres sur le Nord. Puis sont venues les centrales nucléaires, dont la première et plus grande production reste l’émission artificielle de nuages très chauds. Einstein avait d’ailleurs sous-entendu cette délinquance technologique, en s’exclamant devant le premier modèle civil : « C’est une bien fichue façon de faire bouillir de l’eau !!! »
    Aujourd’hui, les descendants de ces industriels démentent dans tous les sens leur implication, laissant porter ce fardeau à l’impuissant lambda, qui soi-disant « devrait montrer l’exemple ». C’est d’un grand cynisme, digne du 1% possédant, même si je maintiendrai toujours que, montrer l’exemple, reste une force fondamentale à ne pas négliger, même éparse.
    Si notre passé était clair et transparent, notre futur le serait également. Or, nous nous devons d’abord de déterrer la véritable histoire, constamment recouverte par la propagande des vainqueurs.
    Merci d’oser aborder un futur éclairant le passé, Alain

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