culture générale: va-t-elle se reconstruire autrement?

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Inutile, élitiste, superficielle, exhibitionniste, archaïque, la culture générale demeure pourtant l’inamovible fondement de l’enseignement républicain.

Peut-elle “ne pas” disparaître? Est-il imaginable qu’elle puisse devenir autre chose que ce qu’elle est?

culture générale: l’énigme initiale

À la base, la culture générale relève avant tout d’une performance de la mémoire, plus précisément de la mémoire dite sémantiqueque les neurosciences définissent comme «une affaire de plasticité synaptique» . Elle consiste tout de même en la faculté de mobiliser, dans l’instant, des références parfois mémorisées de longue date. Se pose alors le triple problème d’essayer de comprendre:
  • Comment une remarquable compétence cérébrale comme celle-ci n’a pu finir par s’attirer que défiance et réprobation?
  • Comment une capacité cognitive aussi fondamentalement individuelle a pu être confisquée par une certaine classe sociale ?… ce qui constitue peut-être le commencement d’une réponse à la première question.
  • Pourquoi la culture générale ne parvient-elle pas à n’être… que ce qu’elle devrait être: un effet induit – non recherché – de la curiosité … chez des personnes disposant d’une bonne mémoire sémantique?

les deux cousins de la culture générale

le plus proche: la richesse du vocabulaire

À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée, car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer
Cette célèbre citation du “1984” d’Orwell fait écho à l’idée que la pauvreté du vocabulaire – voire de la syntaxe – rend impossible l’accès à la pensée complexe. Les ressorts sont ici assez voisins de ceux de la culture générale: disposer d’un grand nombre de références immédiatement mobilisables pour enrichir la réflexion et alimenter les associations d’idées, notamment essentielles pour la créativité. La culture générale serait donc, de ce point de vue, une précieuse ressource méritant d’être amplement répandue et partagée. Elle participerait au renforcement des digues face à l’hégémonie du simple – mieux connue sous le nom de totalitarisme -.

l’ancrage élitiste de l’érudition

Dans l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert, on trouve un large développement sur l’érudition, définie comme un savoir sur le savoir, se nourrissant des textes sources de la connaissance.
  • Mais jusqu’à quand la chaîne qui produit d’autres niveaux de savoir sur elle-même peut-elle se dérouler sans se dénaturer? Ce qui fut lecture intégrale attentive, compréhension voire critique des sources, va devenir “résumé”, puis se dégrader encore jusqu’à ne plus être qu’un ensemble hétéroclite de références… puis de simples citations détachées de tout contexte… mais toujours parées de l’aura de leurs origines.
  • Une controverse se terminant par une citation d’Hegel ne laissera à l’interlocuteur que deux possibilités: contester Hegel – ce qui est long – ou bien en rester là – option généralement retenue -. L’élitisme est ici patent: dans un milieu populaire, on ne clôt pas une controverse par une citation d’Hegel. La culture générale s’inscrit dans une “règle du jeu” sociale qui ne fonctionne que dans un cadre où elle est acceptée. Or elle n’est pas acceptée partout.
  • Par ailleurs, alors que ce qui s’inspire de l’érudition se déploie en longs développements ennuyeux, la culture générale va s’exprimer par des traits acérés et brillants… soit deux façons de prendre le pouvoir dans une conversation… l’une par le fond, l’autre par la forme. Notre époque privilégie à l’évidence la seconde… d’où son statut d’outil privilégié d’une élite.
  • Seul l’oral valide la mobilisation instantanée des références qui “authentifie” la culture générale. Celle-ci serait plus facilement simulée par l’écrit. Cette compétence clé de la mémoire sémantique n’est ainsi détectable que parmi ceux qui… savent parler… et qui sont autorisés à le faire… souvent.

la culture générale comme idéologie de l’élite

Les membres de l’élite disposent-ils tous d’une grande “plasticité synaptique”? Non, bien sûr. La culture générale fait partie de l’idée que l’on se fait de l’élite et surtout de l’idée que celle-ci se fait d’elle-même. Son rattachement à une classe sociale est en grande partie idéologique. Les membres des classes dominantes sont loin de tous disposer d’une grande culture générale… pas plus que d’une grande richesse de vocabulaire. À l’inverse, nombreux sont ceux qui dans les classes populaires possèdent une excellente culture générale, mais “qui ne compte pas”, car appliquée à des domaines (techniques, scientifiques, informatiques… voire sportives ou musicales…) “non agréés” par la classe dominante. Ce qui fait la culture générale de l’élite réside moins dans les synapses que dans l’agrément des domaines… qu’elle se réserve, par le biais des études… qui lui sont réservées.

Pourtant, la culture générale, dans son sens traditionnel, tend aujourd’hui à être perçue comme un archaïsme même aux yeux de ses tenants supposés. La classe dominante est vouée à … dominer. Or, cette position l’amène à polariser ses références et son vocabulaire sur les disciplines clés de la domination actuelle (management, économie, politique…). L’élite est en voie de ne plus être en mesure de citer Hegel. Pire. Ses centres d’intérêt sont aspirés par les actualités au même titre que ceux des couches les plus vulgaires du bas peuple. Et l’élite aussi s’exprime par des tweets… exercice pour lequel une haute culture générale n’est pas requise. La culture de l’élite s’abâtardit.

vie et mort des “savoirs immobiles”

La culture générale est une parure du discours susceptible, selon les milieux, de fonctionner comme un code de communication. L’expression instantanée et opportune des références doit donc s’exercer à l’intérieur d’un périmètre de connaissance faisant consensus.
  • Ces exigences imposent à la culture générale un certain niveau d’intemporalité. Dans son acception traditionnelle, elle reposait donc, par nécessité, sur un socle de “savoirs immobiles”… donc principalement historiques… et principalement orientés vers les lettres et les arts. En étaient exclues les disciplines vivantes relevant notamment des sciences et des techniques.
  • Ces dernières se prêtent en outre assez mal à l’extraction simple d’une référence “courte” – principe sur lequel fonctionne la culture générale -. Le propos technique ou scientifique manipule des processus qui supposent une réelle compréhension, à l’inverse de l’extraction d’une phrase dans un développement littéraire ou philosophique, même complexe, qui sera susceptible de conserver un sens en elle-même. Dit autrement, il n’est pas nécessaire de comprendre Nietzsche pour le citer. Dans le domaine de la physique ou de la biochimie, c’est tout autre chose.
La communication se focalise aujourd’hui sur la compréhension des évolutions du monde. Les “savoirs immobiles” ont perdu leur audience, les domaines jadis moins nobles ont trouvé la leur. Les savoirs immobiles sont désormais gravés dans le marbre virtuel de Wikipédia, d’où ils sont presque instantanément extractibles, au même titre que ceux des autres disciplines, la cyberencyclopédie ne faisant pas de ségrégation dans les domaines de connaissances. La culture générale traditionnelle s’y est noyée.

l’effet de halo et le futur de la culture générale

La communication s’est globalisée au travers des canaux des médias. L’érudition concerne aujourd’hui les domaines en constante évolution. Ce qui tient lieu de culture générale se retrouve dans la capacité à vulgariser et élargir le halo des champs de connaissances spécialisées. Ainsi, quand une épidémie fait rage, la communication ne peut plus se limiter aux aspects médicaux. Elle doit rendre intelligibles les interrelations existant dans un ensemble de domaines plus large recouvrant la microbiologie, l’infectiologie, l’épidémiologie… voire les statistiques, les comparaisons internationales …etc.
Ces nouvelles “cultures générales spécialisées” plus utiles, plus orientées vers la compréhension et vers l’échange sont appelées à prévaloir.

la culture générale comme modèle: le point dur de l’enseignement

Cependant, même vidée de sa substance, la culture générale traditionnelle agit toujours comme modèle.

Elle doit cette forme de survie à “l’avantageux inconvénient” de ne pas être finalisée. Solidement ancrés sur ce socle, des pans entiers de l’enseignement peuvent ainsi s’affranchir de toute problématique. N’importe quel propos, n’importe quelle source: tout est bon. Tout est supposé participer… à la culture générale de l’écolier, du lycéen, de l’étudiant… et ce principe a gagné l’ensemble des disciplines.

Mais si stérile que soit ce modèle se poserait sans lui “LA” question: quoi enseigner?

Concerné au premier chef par ce problème, un personnel comptant en France, en 2020, 1 162 850 membres  répartis dans 61 500 écoles et établissements du second degré, auxquels s’ajoutent tous ceux qui, pour l’avoir suivi, ne sauront dispenser… qu’un enseignement de type “culture générale” ( voir “l’enseignement et la “vitesse normale” de l’évolution sociale”).

La façon dont les programmes d’enseignement pourraient s’affranchir des “savoirs immobiles” reste à inventer.


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