comment se désagrège l’écosystème des classes moyennes

Classé dans : à partir de l'économique | 0

Les classes moyennes, à la fois produit et condition de survie des démocraties libérales dites “avancées”, sont en danger. Toutes les analyses le confirment.

Les indicateurs économiques sur lesquels celles-ci sont fondées sont cependant jugés impropres à rendre compte de la complexité du phénomène.
(*) La définition économique paraît inapte à caractériser les classes moyennes comme l’appartenance professionnelle semble insuffisante pour rendre compte de leur identité.
L’ancienne définition “par défaut” des classes moyennes vues comme celles «qui ne participent directement ni à la production ni au commandement» (*) ne satisfait pas davantage, surtout avec le poids croissant des services dans les entreprises.

Il conviendrait donc d’appréhender la classe moyenne sur des critères non spécifiquement économiques. Nous allons y revenir.


le déclassement “économique” des classes moyennes


Quel que soit l’angle principal adopté par les différentes analyses, celles-ci convergent vers le même type de conclusions:
(*) Notre civilisation de classe moyenne est à la croisée des chemins. Alors qu’elle définissait le projet des démocraties modernes, elle fait face à des défis majeurs. La recristallisation en masse des inégalités, la mobilité descendante, l’écrasement du pouvoir d’achat des salaires relativement aux prix des biens immobiliers, la paupérisation de cohortes entières de jeunes surdiplômés et la globalisation porteuse d’une montée aux extrêmes de la concurrence forment ensemble une spirale de déclassement aux effets potentiellement dévastateurs.

à la recherche des classes moyennes


La classe moyenne se caractérise par le fait de disposer d’une double marge de manoeuvre, à la fois financière et idéologique. Vers le bas, les possibles s’assèchent progressivement par manque de moyens, vers le haut, les ressources augmentent, mais les pensées se normalisent dans leur soumission croissante à celles – très homogènes – de la classe dominante. Cette latitude d’arbitrage entre les idées et les ressources peut être exploitée:
  • dans des démarches de projets originaux, personnels ou microcollectifs… sur la base d’attitudes à dominantes “offensives”
  • dans des capacités d’adaptation aux évolutions de l’environnement qu’elles soient physiques, sociales ou économiques… sur la base d’attitudes à dominantes “défensives”

Ainsi, le coeur de la classe moyenne peut-il être vu comme l’espace social de l’innovation, dans les domaines des idées, des modes de vie, des carrières, des engagements, des opinions …

Bien sûr, tout le monde n’innove pas dans les classes moyennes, les inhibitions, l’oisiveté et la procrastination y sont aussi présentes qu’ailleurs. Tout le monde n’innove pas, mais tout le monde aurait la possibilité de le faire dans une certaine mesure.

du capitalisme et de ses rétroactions


L’éventail des possibles théoriquement offerts aujourd’hui devrait donner lieu à une multitude de projets personnels ou microcollectifs originaux (choix professionnels, profils de qualification, création d’entreprises diverses, habitats, familles, engagements, culture, relation travail-loisirs … etc). Mais l’espace du projet se réduit de plus en plus rapidement.
  • Quand trop de gens se focalisent sur les mêmes options, ce n’est plus un projet, mais seulement l’exécution plus ou moins contrainte d’une prescription venue d’ailleurs… d’un pouvoir ou d’une communauté. Les pratiques se réglementent. La liberté d’action s’étiole.
  • Des groupes plus importants et mieux identifiés constituent une “demande” au sens économique du terme. Or, une demande dans la classe moyenne est une “demande solvable” qui appelle en retour une création de gammes de produits et de services. L’aspiration à l’originalité, tout spécialement des jeunes, tend ainsi à ne produire rien d’autre que le renouvellement de la consommation… phénomène particulièrement visible dans les domaines de l’équipement corporel, de l’alimentation, du tourisme et des diplômes (avec l’explosion du nombre de formations et d’écoles privées dans tous les domaines).
  • Qui dit demande forte, dit hausse des prix (logements, études, transports, alimentation …). La hausse des prix génère des attitudes d’adaptation (colocation, covoiturage …) qui, en la rendant acceptable, la stimulent.

Ces divers mécanismes de réduction des marges de manoeuvre provoquent ainsi une érosion des capacités d’adaptation comme de projet.

Cela pourrait signifier que le capitalisme est voué à détruire la classe moyenne qu’il aura créée… ce qui serait d’une importance cruciale pour l’approche du futur. Les classes moyennes sont les supports de la société de consommation, donc d’une relation fondamentale entre production et consommation de biens et de services… et tous les futurs imaginés pour cette “civilisation du smartphone” tendent à être pensés au travers de ce filtre (voir “la société de consommation: une parenthèse historique ?”).

C’est de projets que les classes moyennes nourrissent leurs dynamiques propres. Mais qu’il s’agisse d’accéder à une promesse ou de neutraliser une menace, tout projet s’inscrit dans une perspective optimiste, alors même qu’il implique une incertitude sur ses résultats.
Aussi longtemps que la dynamique générale est ascendante, l’instabilité relative est bien tolérée. Dans la situation inverse, elle est surtout perçue comme une promesse de déclassement. Elle suscite alors, par anticipation, des comportements de survie… c’est-à-dire les mêmes que ceux des classes inférieures… amorçant par là le caractère autoréalisateur de la promesse de déclassement initiale. Les inhibitions progressent. Les groupes sociaux se communautarisent. L’impatience des résultats augmente avec le stress du risque… qui s’amplifie… avec le pessimisme (voir “les inquiétants progrès de l’idéologie anti-humaine”)… et qui pousse le plus grand nombre à se rabattre sur des projets:
  • à plus courts termes… donc a priori plus simples.
  • plus conventionnels, les démarches plus innovantes étant dès lors perçues comme plus faibles et plus risquées.
Or, les classes moyennes sont aujourd’hui les premiers producteurs de pessimisme au travers notamment d’un courant d’idée dont elles ont l’exclusivité: l’écologisme (voir “écologie: le “ comportement modèle ” sert-il à quelque chose?”).

en guise de conclusion provisoire


La pérennité des classes moyennes a ainsi pour premier ennemi la pensée unique, ou la palette de communautarismes qui en tient lieu. La pensée de projet s’y verrouille et ce sont les similitudes qui s’agglomèrent là où, dans l’idéal, auraient pu cohabiter des différences. L’adhésion à des pensées préformées se substitue à l’imagination. Le simplisme prévaut sur la complexité. La simplification marche de pair avec la radicalisation (voir: “aspirations collectives: le crépuscule des mobilisations”).
Ce sont ainsi les mêmes mécanismes qui font émerger le totalitarisme et qui érodent la classe moyenne. Deux phénomènes qui s’alimentent mutuellement.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *