peut-on “restaurer la nature”?

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La Commission européenne a présenté le 22 juin dernier une nouvelle loi sur «la restauration de la nature».

l’idée montante de “l’écologie de la restauration”

(*) Face à des changements à l’échelle planétaire, comme le réchauffement climatique, l’extinction de certaines espèces, l’érosion anthropogénique ou les invasions biologiques, il est aujourd’hui généralement impossible de revenir à un état antérieur de l’écosystème que l’on cherche à restaurer. En conséquence, il existe trois réponses, soit s’orienter vers des écosystèmes modèles préhistoriques, soit accepter de choisir des écosystèmes déjà largement modifiés par l’Homme comme modèle, soit mettre en place des projets de restauration écologique menant à la création de nouveaux écosystèmes.
On le voit, dans ce domaine, l’idée de restauration amène assez directement à une “re”création.
Dans tous les cas, l’idée de “restauration de la nature” suppose d’aboutir à un état capable de se maintenir de lui-même. Si l’homme devait, à titre permanent, intervenir pour la préservation de cet équilibre, il ne s’agirait plus d’un fonctionnement… “naturel”. C’est en cela qu’un jardin n’est pas un espace naturel. La nature ne peut s’envisager que comme un système autorégulé.
(*) Selon Edgar Morin, la vie d’un système implique un double mouvement (un mouvement de corruption et de désorganisation et un mouvement de fabrication et de réorganisation) », l’homéostasie est « la conjonction des processus par lesquels un système (vivant) résiste au courant général de corruption et de dégénérescence. Elle désigne donc l’ensemble des rétroactions correctrices et régulatrices par lequel la dégradation déclenche la production et la réorganisation »
Sommes-nous capables de créer, ou recréer, des systèmes vivants autorégulés?

la référence à l’idée de “nature

La définition de la «nature» occupe les philosophes depuis l’Antiquité. Faut-il ou non y inclure l’homme?… Uniquement le vivant? … L’ensemble de l’univers? Faut-il se focaliser sur des états ou des processus? Quelle place accorder à la culture?… Ainsi, suite à une analyse historique approfondie, les auteurs n’ont pu parvenir à moins de quatre approches de cette notion dans leur “liste des principales définitions actuelles de la «nature» dans les dictionnaires occidentaux”. .

La référence à la nature permet donc de faire … beaucoup de choses.

Ainsi, il n’est pas étonnant de trouver dans la résolution européenne un panel assez hétéroclite d’actions subventionnables, même si certaines peuvent rendre perplexe comme l’intégration dans la problématique des espaces verts urbains, dont on est en droit de se demander dans quelle définition de la nature ils sont susceptibles de s’inscrire.

la question de la légitimité

Si dégradé qu’il soit, serait-il considéré comme détruit, un écosystème n’est pas assimilable à un… néant. Il va seulement se repositionner selon un nouveau profil dans l’ensemble plus global constituant le vivant.

L’idée de dégradation est liée à un jugement de valeur de type culturel. Une décharge installée dans une forêt va éliminer une grande partie des hôtes précédents pour les remplacer par d’autres (corbeaux, rats, moisissures, bactéries, mouches, blattes …etc) qui vont constituer un écosystème nouveau en incorporant les prédateurs de ces nouvelles populations. Mais cette métamorphose ne sera pas socialement considérée comme légitime (voir “le concept de légitimité: une clé pour l’approche du futur”). C’est en cela qu’elle appellera une restauration.
«le scientifique n’interagit jamais avec la nature« pure », mais avec un certain état de la relation entre la nature et la culture, définissable par la période historique dans laquelle il vit, sa civilisation, et ses moyens matériels »(Lévi-Strauss, 1962)
Une métamorphose radicale est pourtant nécessaire à l’expression d’un jugement de valeur socialement admis. Les nuances s’y prêtent peu dans la mesure où un écosystème, entité très complexe, ne peut pas réellement faire l’objet d’une description. Ce qui en tient lieu ne s’appréhende que par la présence ou l’absence de quelques éléments et processus posés comme significatifs. D’ailleurs, on comptera, explicitement mentionné dans les pistes de la Commission Européenne:
Restaurer les habitats des espèces marines emblématiques telles que les dauphins et les marsouins, les requins et les oiseaux marins
… soit une variation sur le thème de la réintégration des ours.
La communication ne peut s’opérer que dans les domaines du visible (paysages, oiseaux, gros mammifères) ou du comptable (nombre d’espèces, populations…). Les processus, c’est-à-dire ce qui relève de la dynamique complexe des écosystèmes, ne peuvent pas y trouver leurs places, alors qu’ils constituent le réel fondement de la problématique. Ce sont eux qui vont rendre très probablement non pérennes les réparations effectuées. Ce sont eux que nous ne sommes pas vraiment en mesure de prendre en charge.

Que fait-on exactement quand on s’efforce de restaurer la nature?

La “restauration de la nature” est une idée qui, associant deux notions très mal définies, se trouve très mal installée sur le plan théorique. Cette idée n’en apparait pas moins extrêmement consensuelle. Or, quand le consensus s’applique à une indétermination, on peut parler d’idéologie.

Sur ce plan, cette idée décline deux piliers de l’écologisme… mais en mode mineur… puisqu’appliqué de façon ponctuelle et localisée: l’âge d’or dans le passé et la réversibilité de la crise environnementale (voir: “planète: l’impossible problématique écologique”)

Cette idée permet de donner l’image d’une action s’opposant à la dégradation de l’environnement face à laquelle, il faut bien le dire, on ne sait pas trop quoi faire.

La nouveauté de l’idée réside dans le fait qu’une action humaine positive pour l’environnement est possible. En cela, elle collaborerait à extraire l’écologisme de l’idéologie anti-humaine qui constitue un autre de ses fondements (voir “les inquiétants progrès de l’idéologie anti-humaine”).

Un écosystème se transforme naturellement. Il vieillit. Diverses maladies ou agressions extérieures amplifient les désordres qu’il subit du fait de son vieillissement… à l’image d’un visage humain. Et à l’instar du vieillissement d’un visage humain, vouloir restaurer un écosystème c’est lui faire un lifting dont le résultat ne saura être qu’une amélioration… temporaire… de son aspect. Le lifting n’arrête pas le vieillissement. Il ne protège ni contre de nouvelles agressions ni contre les anciennes.


 

  1. Veuxtube

    La nouvelle loi sur la restauration de la nature de la Commission européenne est une démarche intéressante, même si la notion de restauration va poser, au-delà des questionnements techniques, la question de la légitimité de la notion de nature et de sa préservation… Un intéressant sujet à débattre!

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