pourquoi le futur n’est-il plus à la mode?

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Une envie qui s’est diluée, une perte d’audience de l’innovation technologique, la métamorphose du “social”: trois grandes familles d’explications

Le phénomène est récent (quelques années). Au “pourquoi” s’ajoute alors la question du “pourquoi maintenant”, celle à partir de laquelle on s’autorise à parler de “mode”… peut-être à tort.

la dilution d’une envie

Dans l’énigme à déchiffrer qu’était le futur s’est glissée la conviction, beaucoup moins stimulante, de le connaitre et entre guerre mondiale et naufrage environnemental, penser aux lendemains ne fait plus envie.
Par ailleurs, l’incertitude aussi est passée de mode. Aujourd’hui, il faut affirmer pour exister dans les médias, ce qu’en toute honnêteté on ne peut pas s’autoriser dans la prévision, sauf en … affirmant vigoureusement… au conditionnel… mode d’expression qui est d’ailleurs devenu très tendance.

la perte d’audience de l’innovation technologique

Le caractère stimulant de la futurologie a toujours été lié aux perspectives offertes par la technologie. Mais la confiance dans le progrès technique s’effrite, et ce n’est pas due qu’à la seule montée de la technophobie écologiste (voir ->)
La pénétration ultra-rapide des innovations du XXe & XXIe (électroménager, télévision, internet) s’appuyait sur des arguments fonctionnels facilement compréhensibles par le plus grand nombre. Ceux-ci apparaissent en voie d’épuisement. Or, le perfectionnement des dispositifs existants fait “acheter”, mais pas “rêver” à des futurs inattendus.
Les progrès accessibles au public ont convergé vers le smartphone. Aujourd’hui, celui-ci contient… “tout”. Il n’est pas simple d’imaginer des fonctions susceptibles de lui être ajoutées. La pensée du progrès technologique souffre ainsi d’une double saturation: celle du fonctionnel et celle de l’imaginaire.
Par ailleurs, l’hermétisme croissant des nouveaux domaines de la technologie (nanotechnologies, quantique, génétique … etc) tend à interdire à l’individu moyen – donc aux médias – toute extrapolation qui soit à la fois compréhensible et raisonnée.
Les perspectives technologiques se sont “socialisées” vers la résolution de problèmes planétaires, sociaux, ou militaires. Là encore, l’individu en est exclu.

Les fonctions associées au progrès technologique ont été longtemps dédiées à l’individu. Le consommateur a ainsi pris l’habitude de disposer facilement de ce qui lui permettait d’être “plus” que ce qu’il était. Cette attitude a perdu sa légitimité dans la problématique écologique, qui consiste au contraire à s’astreindre à une absence de perspectives personnelles.

la métamorphose du “social”

Le collectif peut s’appréhender de deux manières:
  • Soit comme une agrégation de multiples groupes et individus aux pensées et comportements variables. Le collectif se conçoit alors comme un résultat… “évolutif”. Le futur y est ouvert à tous les possibles.
  • Soit découlant d’une domination qui conditionne l’ensemble des comportements (pouvoir, ordre, idéologie…). Le futur y apparaît comme à peu près écrit.
Ces deux courants cohabitent dans une certaine mesure.
C’était une époque où subsistaient des interstices par lesquels on pouvait encore se glisser dans le corps du monde
Cette phrase d’Haruki Murakami (“Écoute le chant du vent”) évoque cette cohabitation. Sa tonalité quelque peu nostalgique exprime le caractère rédhibitoire d’une marche vers l’hégémonie du second. Le phénomène qui nous occupe semblerait conforter cette idée. Rejeter la futurologie, celle des possibles, serait un symptôme, celui de l’intériorisation collective d’un futur de domination.
(*) La pensée unique du futur agit sur le présent beaucoup plus qu’elle ne décrit l’avenir

pourquoi maintenant ?

Pour répondre à cette question peut-être faut-il se référer à un concept exploré dans un ancien billet
Le concept de percolation se situe à l’articulation des principaux “ressentis“ de la prévision.
On y trouve:
• une progression de type virale comme celle des nouvelles idées, des nouvelles pratiques, de l’adoption de nouvelles technologies…
• un effet de seuil susceptible de donner une consistance au terme, souvent abusivement utilisé, de “rupture“
• une dimension systémique, combinatoire et probabiliste qui contredit le caractère infantile de certaines projections appuyées sur des relations de cause à effet directes.
• l’expression d’une continuité telle qu’elle pourra être rétro-interprétée par les historiens du futur
En quoi consiste la percolation
Un milieu dans lequel progresse un fluide, une information, une certaine influence qui, en atteignant un seuil (dit “seuil de percolation“), modifie radicalement la nature du milieu.

Cette progression multi-canal du rejet de la futurologie était sans doute vouée à transformer l’idéologie dominante. Le seuil de percolation était destiné à être atteint un jour ou l’autre.


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