logiques d’époque, présent & futurs… de la pensée unique du futur

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La pensée unique du futur, en ce qu’elle est constamment renouvelée, offre un terrain privilégié pour observer la façon dont naissent, se renforcent ou déclinent les grandes croyances collectives. Source de grandes peurs économiques, démographiques, écologiques ou technologiques, elle trie et oriente les interprétations liées à l’information disponible, comble les “blancs” de celle-ci, légitime ou non des décisions, voire des normes ou des lois. La pensée unique du futur agit sur le présent beaucoup plus qu’elle ne décrit l’avenir, d’où l’intérêt d’essayer de mieux comprendre son fonctionnement (voir aussi: “la pensée unique en futurologie” ainsi que “comment la «pensée unique actuelle» va-t-elle se tromper?).
En futurologie, les croyances découlent… d’une extrapolation à caractère rationnel… qui s’effectue à partir de phénomènes avérés – ou présentés comme tels – …pour amener à une représentation totalement imaginaire. Ce serait comme un cheminement par lequel des observations et analyses scientifiques amèneraient “logiquement” à l’idée … d’enfer ou de paradis. La pensée unique du futur, c’est à peu près çà.
Elle nous invite à des questions sur la façon dont s’articulent et se partagent rationalité et imaginaire dans ce qui est majoritairement tenu pour vrai”.

pensée unique du futur & argumentation

Toute approche technique suppose une argumentation. Réciproquement toute argumentation est d’inspiration technique, dans la mesure où elle consiste à relier logiquement entre eux des données et des faits. À l’inverse, la croyance ne relève pas d’un raisonnement. On n’argumente pas sur l’existence de Dieu ou de l’Enfer: on y croit ou pas.
Cependant, la confrontation entre les deux attitudes n’est pas un choc frontal, mais un processus – notamment exploré par le philosophe Chaim Perelman
Selon lui, accueillir une argumentation passe par certaines conditions. Il faut un terrain, une antériorité:

 Les raisonnements les plus fréquents s’enracinent non dans une logique construite et dématérialisée, mais dans la fluidité et le vague des notions communes. Celles-ci fonctionnent comme des présupposés partagés par les utilisateurs de la langue, comme des évidences qui ne sont telles que parce qu’elles sont imprécises et floues.

La pensée unique du futur irait donc …du vague… au vague… en passant par le rationnel. Dans la pratique, de nos jours, la constitution du terrain le permettant doit évidemment beaucoup à l’activité des médias. Plus largement, ce que l’on pourrait appeler les logiques d’époque reconfigurent en permanence ce socle commun, qui autorise la coexistence et les échanges entre une pensée “plutôt rationnelle” et une pensée “plutôt orientée vers l’imaginaire”.

 Les règles de la persuasion qui gouvernent le rapport avec un auditoire quelconque sont en nombre limité, et elles concernent toutes l’association et les dissociations des notions au sein d’arguments

L’imaginaire se nourrit d’indétermination. L’attitude technique est analytique: elle tend à décomposer l’objet d’étude et amène à identifier des sous-ensembles mieux définis auxquels elle associe des termes plus spécifiques. Ce qui amène à penser que plus un concept est techniquement juste, moins il se prête à l’incorporation dans une croyance collective.

déconstruction ou construction: les exemples du robot et du climat

Le robot humanoïde classique des origines s’est démultiplié en robot industriel dont il ne reste souvent qu’un bras, en drone, en véhicule autonome, en exosquelette… puis le concept a investi l’invisible avec le nano-robot… et l’immatériel avec le recueil et le traitement automatique des données. De là a émergé la notion “d’intelligence artificielle”. Là où le robot valait par ses actions physiques concrètes pilotées par la détection de ses données d’environnement, là où le recueil massif de données désignait une accumulation pléthorique mais simple, voire simpliste, la nouvelle notion d’intelligence artificielle, produite et entretenue par toutes les intelligences disponibles, fondée sur des données non seulement recueillies, mais traitées, puis correctement affectées selon les nécessités les plus diverses, agite l’épouvantail mythique du… “savoir absolu”. Cette émergence d’une nouvelle notion vague et globale ouvre ainsi la porte à la reprise, ou plutôt à la poursuite, du processus de décomposition déjà engagé. Car ne va-t-il pas s’avérer progressivement inévitable de parler “d’intelligences artificielles” (au pluriel), dans la mesure où des objectifs très divergents vont leur être assignés et où les données, autant que leurs algorithmes d’utilisation ou d’apprentissage, seront appelées à se spécialiser dans des utilisations médicales, agricoles, d’écriture automatique, de traduction, d’analyse du climat ou de la Bourse? À l’instar du robot, de nouveaux termes plus spécialisés vont probablement s’imposer pour exprimer des procédures devenues très différentes. Le morcellement va donc se poursuivre et empêcher ainsi à la pensée unique du futur de “s’installer dans le concept”. L’intelligence artificielle va, sans doute, s’intégrer dans les processus à la manière des vis et des boulons. Elle sera partout, mais n’étant plus signalée nulle part pour elle-même, elle ne fera plus rêver.
À l’inverse, le propos écologique tend à agréger de plus en plus de phénomènes autour d’un nombre de notions de plus en plus restreint. Remplacer “réchauffement climatique” (dont le sens est incontestable) par “dérèglement climatique” (qui n’a plus véritablement de signification) fait perdre en rigueur, mais gagner en charge émotionnelle et permet d’incorporer n’importe quels phénomènes, même les plus inattendus, ainsi que de créer, dans toutes les directions, des passerelles propres à renforcer le propos.

l’économie & les médias

En règle générale, les technologies ne sont pas comprises en dehors des cercles d’initiés – elles le sont même de moins en moins – seules leurs applications le sont. Or, ces applications font aujourd’hui systématiquement l’objet d’annonces anticipées, car ce sont les espoirs qu’elles s’avèrent capables de susciter qui vont les rendre éligibles à un financement… qui “permettra” les recherches… allant dans le sens de ce qu’elles sont supposées permettre. Cette dynamique fictive est alimentée par l’action des médias qui tendront toujours à mettre l’accent sur les émergences techniques les plus déstabilisantes. Ainsi, la pensée du futur technologique est-elle aujourd’hui principalement alimentée … par des extrapolations… effectuées à partir … d’anticipations. Le transfert de propos qui irait – ou devrait logiquement aller – du technique vers l’imaginaire, voit le sens de son mouvement s’inverser. Le processus “commence” dans le mythe avant d’admettre une décomposition de type “technique” qui va induire son affaiblissement dans l’imaginaire collectif. En d’autres termes, la technologie fait trop rêver, trop vite. Elle induit des pensées uniques du futur… jetables.
Notons qu’une approche construite à partir d’autres éléments nous avait amenés à une conclusion presque inverse dans un billet précédent … c’est ce qui rend les approches “par le futur” très stimulantes.

en guise de conclusion provisoire

Le modèle ultime pour une pensée unique du futur est évidemment la religion, où les croyances s’imposent à toute information, à toute absence d’information, à toute énigme, à toute évidence.
  • la “dérive technique”, glissement vers la décomposition, signalerait un imaginaire… donc une pensée unique du futur… en voie de déliquescence: ce mécanisme a notamment agi sur le concept de robot (voir “robots: déjà la fin?”).
  • La “dérive religieuse”, glissement vers une terminologie de plus en plus vague, signalerait un poids croissant de l’imaginaire… donc une pensée unique du futur… en voie de renforcement.
Observer la direction dans laquelle évoluent les termes d’une pensée du futur pourrait donc nous renseigner sur son devenir. Hypothèse à suivre.

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