la miniaturisation: l’essoufflement d’un argument de progrès

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Le clocher, la pendule, le réveil et la montre avaient montré la voie. Mais nous poserons l’année 1948, avec l’invention du transistor, comme point de départ d’une période durant laquelle la miniaturisation a été un compagnon de route de tous les instants, un producteur de valeur et de connotations positives pour la recherche technologique. Qu’en est-il aujourd’hui de cet argument de progrès? Voyons à partir de quelques exemples?

 

trois exemples de miniaturisation pour introduire le sujet

 

une miniaturisation… un peu démodée

 

L’exemple de cette annonce récente :

LG vient d’annoncer à l’occasion du Mobile World Congress (MWC), la disponibilité prochaine du plus petit chargeur de smartphones sans fil au monde …/… le WCP-300 ne fait que seulement 6,9 cm de diamètre.

La miniaturisation, telle qu’évoquée ici, nous est extrêmement familière. Probablement même un peu trop. Il s’en dégage quelque chose d’un petit peu désuet qui ressemble à une publicité des années quatre-vingt-dix.

une miniaturisation… vaguement suspecte

 

Un deuxième exemple:

Selon les chercheurs de l’Institut européen de bio-informatique à Hinxton, au Royaume-Uni, l’ADN pourrait un jour stocker toute notre mémoire numérique de manière stable pendant des milliers d’années.

Ici, on s’arrête, d’une part sur la mention “milliers d’années“, d’autre part sur le terme “ADN“. Cette miniaturisation au caractère futuriste nous présente des connotations plus ambiguës, voire plus inquiétantes. Spontanément, on aime peu cette rencontre entre cette fonction usuelle de notre quotidien, le stockage d’information, et le domaine plus sulfureux de la génétique, alors même que l’échelle-temps mise en cause est déconnectée de l’échelle humaine. Aucun danger explicite ne se rattache directement à cette découverte, mais…

une miniaturisation d’aujourd’hui

 

Un troisième exemple:

Le fabricant de puces Freescale Semiconductor vient de mettre au point le microcontrôleur ARM le plus compact au monde : 1,9 x 2 millimètres. Cette puce rassemble tous les éléments présents dans les circuits intégrés d’un ordinateur : processeur, mémoire, stockage et entrées/sorties. Le passage des microcontrôleurs a l’échelle du millimètre pourrait ainsi ouvrir la voie a de nouvelles générations d’applications pour les objets médicaux connectés ainsi que les objets « intelligents»

Ce dernier exemple renvoie à un propos beaucoup plus actuel et représente bien ce que l’on attend aujourd’hui des progrès de la miniaturisation. La démarche scientifique, le type de résultat obtenu, les applications envisagées nous intéressent et s’admettent facilement.

 

Qu’est-ce qui fonde la légitimité de la miniaturisation ?

 

les bases triviales

 

Nous n’allons pas nous attarder sur la dimension triviale de l’argument (portabilité, encombrement…etc.) sauf peut-être pour signaler que l’essor des technologies nomades a donné à ces arguments une nouvelle jeunesse

l’image positive du concentré de puissance

 

Dire que la puissance des ordinateurs de la NASA lors des premiers départs vers le cosmos correspondait à ce qui était devenu plus tard celle d’un micro-ordinateur donne une représentation indiscutable du progrès technique. Et plus l’ordinateur se réduit, plus l’image est forte.

les applications légitimes: le domaine médical

 

La miniaturisation a permis de nombreux progrès dans des domaines largement consensuels. Les exemples actuels font fréquemment référence (trop peut-être) aux applications médicales (microsondes, microchirurgie, implants à impact faible… ou, pour le moins, socialement perçu comme tel).

la légitimité environnementale

 

La miniaturisation peut également prendre appui sur les arguments liés à l’environnement. Faire plus petit s’assimile généralement à une moindre consommation de ressources dans la fabrication de l’objet, à une moindre consommation d’énergie dans sa production comme dans son fonctionnement, à une réduction des emballages.
Il faut néanmoins prendre la précaution oratoire du “généralement“, dans la mesure où les ressources utilisées peuvent être plus rares et que d’autres aspects doivent être pris en compte (impact sur la santé …etc.).
Il est néanmoins permis de poser que l’objet miniaturisé s’avère “généralement“ économe en ressources et que socialement, en tout cas, il est perçu comme tel.

 

quels types de limites pour la miniaturisation?

 

l’objet “fonctionnellement“ trop petit

 

Il serait facile de diviser la taille d’une carte bancaire par trois ou quatre sans rien changer ni à ses inscriptions ni à son fonctionnement. L’objet étant usuel, il faut cependant pouvoir l’identifier, le retrouver et le manipuler facilement. Cet objet miniaturisé a dû ainsi être ré-agrandi pour des raisons fonctionnelles.
Nous retrouvons ce même principe à l’oeuvre dans cette annonce quelque peu paradoxale pour un type de produit issu d’un long processus de miniaturisation informatique:

CES 2013 : Huawei Ascend Mate, le plus grand smartphone au monde…/… un smartphone 6,1 pouces détrônant le Galaxy Note 2 en matière de grand écran.

Un argument de vente construit sur cette base est probablement le signe que l’on approche d’une limite. Le vieillissement de la population aidant, les interfaces visuelles vont tendre vraisemblablement à donner une importance croissante à cette contre-tendance.

l’objet “psychologiquement“ trop petit

 

L’intelligence artificielle peut se satisfaire d’un contenant très réduit. Pourtant un tout petit cube noir qui apprend à parler apparaîtra moins attachant que DeeChee, un petit robot humanoïde aux allures de jouet et au faciès de smiley. Ainsi, un grand nombre de recherches, qui se présenteraient comme potentiellement inquiétantes sous une enveloppe miniaturisée, se feront facilement accepter lorsqu’elles nous sont livrées sous l’aspect d’une poupée.

l’objet “socialement“ trop petit

 

À l’instar d’un moteur de Ferrari caché sous le capot d’une Clio au cœur d’un embouteillage, disposer d’un “concentré de puissance miniaturisé“ peut s’avérer extrêmement frustrant si personne ne s’en rend compte… au moins pour un certain segment de consommateurs. Commercialement parlant, il peut donc être judicieux, voire nécessaire, d’augmenter la visibilité d’une miniature.

la relation à des légitimités externes

 

Au début des vols spatiaux habités, rares étaient les futurologues qui ne promettaient pas pour l’an 2000 la généralisation d’une alimentation lyophilisée, à l’image de celle des cosmonautes. Sur un plan strictement fonctionnel (et la démarche des compléments nutritifs nous le prouve), cette évolution avait une certaine crédibilité. A-t-elle buté sur l’obstacle du bien-manger, du gastronomique ? Pourquoi n’en aurait-il pas été de même alors pour les fast-foods, les sandwichs et les barres chocolatées? Une analyse approfondie serait sans doute nécessaire, mais on peut penser que la préservation de la pause de midi et plus généralement d’un temps journalier que rythment les repas a joué un rôle dans ce rejet…  au moins jusqu’à présent.

l’approche d’un seuil de légitimité

 

nous y revenons ci-dessous

 

les conséquences de la miniaturisation

 

la miniaturisation comme marge de manœuvre

 

Pour le fabricant, concentrer des capacités dans un contenant d’encombrement et de masse faible autorise de multiples combinaisons de fonctions, dans des ensembles eux-mêmes miniaturisés, ce qui autorise à la fois des utilisations multiples, des progrès dans les fonctionnalités et la montée en gamme des produits. Un second volet du même type consiste en la possibilité, pour un ensemble miniaturisé de s’incorporer à des objets de toute taille (communicants ou intelligents).

les interfaces des machines miniaturisées

 

Pour bien apprécier le poids de cette contrainte, il est intéressant de se pencher sur le matériel de communication dans la mesure où son contenu (datas, algorithmes…) n’a ni encombrement ni masse. L’encombrement de l’objet correspond ainsi uniquement à ses composants électroniques (aujourd’hui très miniaturisés) et à son interface homme-machine.
Le phénomène de “ré-agrandissement» des smartphones nous montre que la miniaturisation commence à buter sur la taille critique des interfaces visuelles.
Aller plus loin dans la miniaturisation pourrait donc signifier le repli sur des principes d’interfaces adaptés, le probable rejet des interfaces visuelles ou gestuelles, l’utilisation préférentielle d’interfaces vocales voire l’émergence de nouveaux principes.

la miniaturisation en environnement socialement sensible

 

Nous l’avons vu pour la génétique ou les nanotechnologies, nous pouvons l’évoquer pour les questions relatives aux données personnelles ou aux abus de positions dominantes, le progrès est aujourd’hui plus potentiellement suspect que par le passé. Les débats se déclenchent très rapidement et envahissent la Toile. La méfiance prévaut tout particulièrement pour tout ce qui tend vers l’invisible et le mal-contrôlable. L’hyper-miniaturisation se situe donc au cœur du débat.
Même les multinationales du secteur sont amenées, aujourd’hui, à traiter avec le plus grand soin l’installation de leurs innovations dans des légitimités bien répertoriées: les applications médicales ou l’incorporation dans des objets bien acceptés (les lunettes pour Google, la montre pour Apple…). La leçon des OGM semble avoir été retenue: il est économiquement profitable de se faire admettre sans heurts.

 

miniaturisation: la fin d’une légitimité ?

 

À l’approche de l’invisible, la légitimité attachée à la miniaturisation touche à une frontière. Le passage par un processus complexe à la durée incertaine sera nécessaire pour que ce seuil soit franchi… s’il l’est… c’est-à-dire s’il l’est socialement… en dehors de contextes spécialisés… ou d’un processus autoritaire.

Il faut peut-être en conclure que la miniaturisation, en tant qu’argument de progrès est proche de sa limite et le moment approche où “plus petit“ ne sera plus interprété comme “mieux“. L’exploration de ce phénomène de seuil promet d’être pleine d’enseignements et va faire l’objet d’un prochain article.

 

 

 

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