futur en gestation: l’alimentaire comme modèle

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Le secteur de l’alimentaire est un monstre économique et écologique. S’y révèlent des mécanismes d’évolution qui vont s’appliquer à la plupart des domaines.


la mainmise des données


le préalable idéologique

La mainmise des données sur un domaine suppose qu’elles soient perçues comme la meilleure façon de décrire un objet d’étude ou un phénomène. Elles règnent évidemment sans partage sur les sciences. On ne les imagine pas absentes de la physique ou de la météorologie. Le cas de l’alimentaire est très démonstratif de ce qui se passe dans les autres cas. Si la qualité dans ce domaine était restée “gustative”, si le plaisir des sens, celui de la dégustation, de la gourmandise, avait prévalu, l’essor d’une approche par les données aurait été impossible. L’approche par les données suppose un raccordement à un domaine à caractère scientifique. Pour l’alimentation ce fut le plus légitime qui soit: la médecine.
On notera:
  • qu’une approche par les données, plus ancienne et plus sommaire, concernait les besoins fondamentaux, exprimée en calories et appliquée à la misère.
  • que ce rejet du plaisir, inhérent à la domination des données, tend à rejoindre une culpabilité bien intériorisée socialement, car balisée de longue date par les religions
Aujourd’hui l’alimentation est assimilée à de la médecine… surtout préventive, bien qu’aux prescriptions médicales soient de plus en plus fréquemment associées des indications nutritionnelles. La qualité des aliments est soumise au filtre des données: protéines, glucides, lipides, vitamines, sels minéraux, oméga 3, cholestérol, antioxydants … etc…. L’aliment et la diététique prévalent désormais sur la préparation et la gastronomie.

l’idéologie du “véritable” besoin

Portée par l’écologisme, la montée en audience de l’idéologie de la décroissance (voir: “errances idéologiques: le salut par la décroissance”) a amené au premier plan la question des “véritables besoins”. Dans quelque domaine que ce soit, le “véritable besoin” s’appréhende dans la mouvance d’une normalité assez strictement définie. Par définition, le plaisir en est exclu. L’approche par l’alimentaire révèle les impasses de cette dérive quelque peu totalitaire: qu’est-ce que le véritable besoin pour un vieillard, un travailleur de force, un enfant, un diabétique, un sportif, un anorexique, un toxicomane …un Occidental, un bangladais ? On retrouverait des impasses du même type dans la plupart des domaines.

le glissement vers l’autosurveillance

Rapportée aux “véritables besoins”, la problématique médicale amène au concept de “complément alimentaire”. Y avoir recours suppose une observation attentive de sa propre alimentation… une forme d’autosurveillance… apparentée au quantified self. Déjà bien présente dans le suivi des exercices physiques, l’autosurveillance se généralise ainsi silencieusement… en attendant peut-être mieux (même source).
Si les compagnies d’assurances maladie réfléchissent d’ores et déjà à accorder des allègements de cotisations aux personnes ayant une certaine hygiène de vie, mesurée en temps réel et portée à leur connaissance via les objets connectés, on peut également prévoir qu’à l’inverse, si cette pratique se généralisait, ceux qui ne respecteraient pas certaines recommandations d’hygiène de vie ou ne souhaiteraient tout simplement pas être «quantifiés» verraient peu à peu leurs primes augmenter.
En parallèle, la progression de l’obésité et du diabète valide le contrôle de l’alimentation. Car le contrôle aussi doit faire l’objet d’une légitimation. Ainsi, le glissement vers l’autosurveillance nous est promis, là encore, dans la plupart des domaines (consommations d’eau ou d’énergie, émission de pollutions et de déchets… etc…) principalement justifié par des raisons écologiques.

le crépuscule de la complexité


La complexité a deux ennemis mortels, le simplisme et la complication, dont les visages dans l’alimentation sont la malbouffe et la diététique… soit ses deux tendances les plus évidentes.
On le sait, il est plus facile de décomposer que de recomposer. Plus la décomposition est forte plus la synthèse est difficile. Le recueil massif de données tend à bloquer toute synthèse au profit d’une atomisation des raisonnements. Au bout du compte, ce sont les croyances préinstallées qui tiennent lieu de synthèse. On le retrouvera dit autrement (voir «probabilités, corrélations: quand la science ne sait plus»):
au-delà d’une masse critique, plus on a de données… moins on sait
Les propriétés de l’aliment sont plus faciles à expliciter que celles d’une préparation élaborée. La diététique conduit ainsi naturellement à des préparations minimalistes qui permettent d’assurer la primauté de l’aliment. Une IA peut évaluer la diététique – pas la gastronomie – l’expression et la satisfaction de certains besoins – pas le plaisir -.

la diététique et la nouvelle abstinence


Les aliments diététiques ou bio ne sont pas obligatoirement mauvais, ils sont seulement évalués sur un autre référentiel que celui du plaisir – dit autrement, le fait qu’ils soient bons ou moins bons n’entre pas en ligne de compte. La diététique et le bio se considèrent comme ancrés sur “la connaissance”. C’est à ce titre qu’ils se parent de “certitudes”. Dans les faits, ils se détachent de l’effet primaire du goût au profit “d’hypothèses” sur une pléthore d’effets secondaires aux compatibilités incertaines.
L’aliment prévaut donc sur la préparation, ce qui implique “au passage” que l’industrie agroalimentaire a pris définitivement le pouvoir sur le cordon-bleu (là encore une tendance à portée générale). On prépare moins (pizzas, MacDo, plats surgelés…).
L’alimentation a pris ses distances avec la problématique du “bon”, un peu comme l’art a – de plus longue date – fait de même avec celle du “beau”.

en guise de conclusion provisoire


Quantification de la “normalité” et autosurveillance -> totalitarisme.
Mise au ban du plaisir -> dérive religieuse -> totalitarisme.

Écrasement de la complexité -> pouvoir du simple -> totalitarisme.


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