rupture technologique: à la recherche du mot qui n’existe pas encore

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Les grandes ruptures technologiques ont eu besoin de mots nouveaux: «informatique», «télévision», «internet». Peut-on dresser le portrait-robot d’un successeur?


anatomie de la rupture technologique d’usage courant


la question de l’arborescence

Une rupture technologique affectant les usages courants ne découle pas d’une génération spontanée jaillissant de nulle part. Quelle qu’elle soit, elle va toujours s’appliquer à l’intérieur d’une certaine continuité. Le marché des données nécessitait internet, qui avait besoin, en amont, de l’informatique et l’un comme l’autre supposait, entre autres choses, le recours à l’électricité.… etc…

Cette arborescence de technologies n’est cependant pas aussi triviale qu’il y parait. Tous les progrès actuellement en cours découlent de l’exploitation des ondes: radio, télévision, 3G, 4G …6G. Celle-ci découlerait donc de l’électricité. Or, historiquement, c’est l’inverse puisque, dès l’Antiquité, le mot “elektron” désignait l’ambre, premier matériau ou furent identifiées des propriétés magnétiques et qui donna “electrica” (*) à partir de cette même approche de l’aimantation. Nous allons, une nouvelle fois, retrouver “tout en haut” le changement de paradigme scientifique dont parle Thomas Kuhn. Ce sera un aspect à considérer.
Mais entre celui-ci et notre vie courante, il y a de la place pour beaucoup de choses et cela va être une première grande question à se poser: à quel niveau de l’arborescence va se positionner le mot d’usage courant qui n’existe pas encore?

les applications militaires

On trouvera sous ce chapitre les multiples déclinaisons de principes déjà anciens autour du “plus de vitesse”, “plus de précision”, “plus grandes portées”, exploitation militaire des ondes par des armes à énergie dirigée (laser et assimilé). Mais la question qui nous occupe ici est celle de… “l’après”.

Car les applications militaires jouent un rôle déterminant dans la gestation des ruptures technologiques d’usage courant. Elles s’appuient en effet sur:
  1. des financements très importants…
  2. … affectés à des recherches de pointe…
  3. … applicables aux effets les plus divers (il existe beaucoup de façons de nuire à un ennemi… et beaucoup de façons d’exploiter et de gérer des ressources). Elles sont donc potentiellement créatives.
Ce qui va nous amener à nous tourner du côté des États-Unis, leaders de longue date des recherches dans ce domaine:
(*) En 2017, le gouvernement américain a prévu un budget de près 1,4 Mds de dollars dans le cadre de sa National Nanotechnology Initiative, ce qui fait des nanotechnologies le plus grand programme scientifique américain financé par le budget fédéral
Il se trouve, qu’en l’occurrence, les nanotechnologies sont liées à un paradigme scientifique dominant en devenir, celui de la physique quantique (*)

la question des usages

La réflexion sur les usages ouvre à de grandes familles d’hypothèses relatives à l’avenir qu’il faut accorder à la grande consommation telle qu’on la connait. Elle règne depuis quelque temps déjà autour des fonctions de communication. Ce qui soulève plusieurs questions:
  • En s’appuyant sur les ondes, la communication moderne a vaincu le temps et l’espace (l’instantané à des milliers de kilomètres), entre des correspondants eux-mêmes mobiles. Lui reste-t-il quelque chose à vaincre?
  • Sous des dehors de consommation de particuliers, c’est un corps étranger qui s’est progressivement glissé dans la communication: le recueil de données. Que signifiera alors “continuité” dans ce domaine?
  • La société de grande consommation est assez jeune et pourrait n’être qu’une parenthèse (*).
  • La classe moyenne, qui est la condition fondamentale de sa pérennité, s’érode… ce qui pourrait signifier l’essor d’une forme de totalitarisme (*) … soit un autre type de consommation de masse… qui ne serait plus motivée par de supposés besoins de l’individu.
  • On ne peut parler de rupture technologique affectant les usages courants que dans la mesure où elle est capable de générer une consommation qui serait rendue “socialement quasi-obligatoire”… voire déboucher sur une forme d’addiction (*).
  • Si l’état actuel de pseudo-démocratie associé à une forme de totalitarisme rampant devait perdurer, il conditionnerait une consommation hybride, telle qu’on la connait aujourd’hui (services contre datas), et qui serait dotée de caractères permettant le basculement vers un versant ou l’autre sans véritable remise en cause ni sur le fond ni même sur les modalités… soit un profil particulier.
Les applications civiles des nanotechnologies ont été explorées dans plusieurs billets précédents sous différents angles de vue (voir: “robotique & nanotechnologies: deux visions du robot du futur” – “ressources & nanotechnologies: qu’est-ce que le gaspillage?” – “nanotechnologies: leurs risques sont-ils “connaissables“?”). On peut en retenir qu’il est surtout très difficile de dire ce que l’on “ne peut pas faire” avec les nanotechnologies (*).

la question des supports: les chemins sinueux de l’obsolescence

Le rapide avènement et la place prise par le smartphone ne faisaient pas partie des pronostics des futurologues d’hier, alors que l’écran de grande dimension, éventuellement virtuel, semblait présenter tous les atouts pour être longtemps encore le support privilégié des nouveaux possibles.

Peut-on imaginer d’autres supports qui seraient susceptibles, entre autres choses, de déqualifier le smartphone?

L’obsolescence n’empruntera sans doute pas des voies aussi radicales. Bien que dépassées sur de nombreux points, radio et télévision traditionnelles existent toujours… les grands écrans aussi. Leurs usages se sont seulement réduits et focalisés sur des fonctions plus spécifiques, voire plus marginales. Cette même trajectoire pourrait s’appliquer demain au smartphone (voir).
S’il devient possible de créer un nano-ordinateur par assemblage de quelques atomes, la question du support pourrait ne plus se poser. En première analyse, cela pourrait être n’importe quoi. Un exemple pris dans le domaine militaire peut néanmoins nous renseigner sur la “philosophie” de l’utilisation des nanotechnologies:
En utilisant les nanotechnologies …/… les projectiles pourraient atteindre une précision extrême grâce à des nano-ordinateurs incorporés dans chaque munition (*).
L’hyper-spécialisation et la recherche de la plus extrême précision amèneraient ainsi à privilégier le plus petit élément susceptible d’être pris en compte dans une thématique donnée: cellules et gènes dans le domaine médical (le vaccin anti-Covid ARN messager, par exemple)… l’individu dans l’approche du social … soit un nouveau paradigme pour la grande consommation.
Nous étions parvenus par d’autres voies à quelque chose d’approchant dans de précédents billets (1) (2)
On rejoint, par là, la propension des technologies usuelles, celles qui s’attachent le plus à l’idée de grande consommation, à se rapprocher du corps. Ce qui était tributaire d’un câblage a été libéré par les ondes. Ce qui relevait du matériel de bureau est devenu mobile, puis miniaturisé et associé au corps, comme les montres ou les kits mains libres. Les enceintes de salon sont devenues des oreillettes en attendant que les écrans de télévision deviennent peut-être de simples lunettes. Ce qui relevait du vêtement tend à se coller à la peau. Ce qui colle à la peau tend à s’y incorporer.

la question des contraintes

Les révolutions technologiques du futur pourront-elles ignorer le problème de la disponibilité des ressources, en énergie et en matières?
Sans doute pas, même si l’on admet qu’il en reste probablement encore beaucoup à découvrir (dégel de l’Arctique … de l’Antarctique, immensité des océans…) … et ce pour deux grandes catégories de raisons:
  • Une certaine conscience collective dans ce domaine se développe dans les opinions publiques un peu partout dans le monde… même si l’impact reste, pour l’instant, encore très léger auprès des multinationales de ces secteurs.
  • Le monde tend à se refermer autour des logiques d’États (voir: “fragmentation, clôture & entre-soi: la planète comme idéologie”). La disponibilité des ressources pourrait alors s’envisager en des termes géopolitiques… ce qui signifierait que l’indépendance de nombreux pays passerait par… leurs capacités à faire des économies dans ce domaine. Or, ces pays pourraient être les mêmes que ceux qui pilotent les avancées technologiques… qu’ils seraient alors fondés à réorienter sur la base de ce type de contraintes.
L’exploitation des nanotechnologies amènerait à réinterpréter les contraintes environnementales (*) en marché de grande consommation: l’adaptation au changement climatique pourrait être individualisée (adaptation aux variations de températures et de taux d’humidité, aux nouveaux parasites, aux nouvelles allergies…). Divers systèmes de purification (ils existent déjà pour l’eau potable) pourraient être étendus à la diététique en général en permettant d’obtenir l’équivalent du “bio” à partir d’à peu près n’importe quoi. L’auto-entretien pourrait devenir le nouvel eldorado de la grande consommation (mix de l’automédication, des compléments alimentaires, de l’anti-vieillissement, du maquillage…).
Le recours aux nanotechnologies pourrait même devenir l’unique voie permettant aux individus de résister aux agressions… des nanoparticules qu’elles auront disséminées un peu partout.

en guise de conclusion provisoire


Ce pourrait donc être autour des points focaux de cette révolution qu’il faudrait rechercher “le” … ou “les” mots nouveaux qui n’existent pas encore.
Entendons-nous bien, il s’agit-là d’une lecture possible du futur… pas d’une recommandation. Il y a certaines promesses derrière ces technologies et l’essor d’un marché de grande consommation peut se satisfaire de promesses… le plus souvent peu ou mal tenues, car la recherche hystérique du profit est rarement compatible avec la complétude scientifique ou technique (voir: “pourquoi des promesses technologiques ne sont-elles pas tenues?”).

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