Pourquoi l’Histoire change-t-elle et que sera-t-elle demain? Comment notre présent sera-t-il perçu? Y-aura-t-il d’ailleurs toujours des historiens?
Selon différentes étymologies, “Histoire” renvoie à “
enquête” et à “
récit”: “comprendre” et “raconter” sont demeurés, dans le temps, sa raison d’être.
Comprendre un phénomène historique passe par le replacer dans le contexte de son lieu et de son époque. Le raconter suppose le rendre intéressant pour un lecteur ou auditeur d’aujourd’hui. L’Histoire c’est “comprendre ici” … et “raconter là”.
Mais la confrontation de ces contextes passe par un biais: aujourd’hui “on sait” qui a finalement gagné une guerre… à l’époque, on l’ignorait. L’historien peut-il – et doit-il – s’affranchir de ce qu’il sait au moment de sélectionner des faits… qui dès lors seront qualifiés “d’historiques”?
la notion de “fait historique”
La notion de “fait historique” est d’autant plus fondamentale que ce sont de leurs interrelations que va découler le “déroulé” de causes et d’effets qui va “construire l’Histoire”.
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*) Au siècle des Lumières, l’histoire a commencé à être perçue comme à la fois linéaire et irréversible.
L’Histoire fut alors pensée comme une “mise en ordre”.
Longtemps, les faits historiques ont été posés comme les “indiscutables” du processus historique: guerre, batailles, conquêtes, traités… Ils se définissaient alors par leur capacité à assumer une… “fonction historique”.
Or, au niveau le plus général
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*) La notion de fonction véhicule l’idée d’une fin à réaliser ou d’un objectif à atteindre
Ce qui ne va pas sans poser problème dans le cadre de l’évolution de la recherche dans ce domaine puisque, comme l’affirment les historiens d’aujourd’hui:
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*) Les faits historiques ne sont pas tout faits, il s’agit parfois de les construire.
Peuvent-ils être construits en totale indépendance vis-à-vis de ce qu’ils sont supposés avoir produit? Sans doute pas. L’état ultérieur obtenu aura donc permis de définir, au moins en partie, au moins implicitement, le fait historique qui est supposé l’expliquer. La recherche historique peut-elle échapper à cette “
pétition de principe” où la cause et l’effet s’impliquent mutuellement?
Ainsi, bien que couramment présentée comme l’ennemi de l’historien, la
vision téléologique de l’Histoire n’en est pas moins difficilement contournable dans la construction de ses hypothèses.
la gestion des paradoxes
Qu’est-ce qui nous fait accepter ce paradoxe inhérent à la notion même de fait historique?
Sans doute la correspondance tacite que nous établissons entre “Histoire” et “Histoire de France” telle qu’elle nous a été inculquée par l’enseignement général que nous avons tous subi. C’est elle qui nous permet les positionnements relatifs des grands événements et qui a alimenté les visions que nous attachons à différentes époques.
Or l’histoire d’un pays intègre au minimum celle de ses frontières d’où, comme autant d’évidences, les “faits historiques” qui les ont finalement amenées à ce qu’elles sont devenues. Cet état constitue le socle le mieux partagé de la pensée de l’Histoire, celui à partir duquel peuvent être référencés les “faits historiques”… voire de “nouveaux faits historiques” supposés négligés par la pensée dominante.
Toute la complexité théorique ressurgit dès que l’on prend ses distances avec ce socle.
L’intuition que Jules Michelet exprimait déjà en 1831, «Ce ne serait pas trop de l’histoire du monde pour expliquer la France», est devenue aujourd’hui rien de moins qu’un
nouveau paradigme.
Dès aujourd’hui -et sans doute plus encore demain- l’objet du récit va devenir le “fait historique” lui-même, levant ainsi, d’un coup, l’ensemble de ses paradoxes. On racontera ainsi l’histoire d’un fait de la même manière que celle d’un personnage, d’une ville, d’une oeuvre, d’une technique, d’un tableau… Le fait ne deviendra historique que dans la mesure où un historien aura choisi de le raconter. On peut se référer à l’ouvrage collectif «
Histoire mondiale de la France» pour avoir un aperçu de cette “nouvelle histoire”.
la question des données
Longtemps, les difficultés de la récolte des données pertinentes a fonctionné comme un régulateur de recherche. Est-il désormais possible de relever le défi de la compréhension d’un temps long de l’Histoire étant donné la masse invraisemblable de données “disponibles” qui en composent… chaque minute? Pensons aux Wikileaks.
Une seule voie possible: se rabattre sur une histoire attachée à des “temporalités courtes”… donc des fictions basées sur des faits ou phénomènes isolés… rendus pertinents par la seule foi en des hypothèses de recherche.
Le travail de l’historien se confond dès lors avec celui du journaliste d’investigation.
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*) Nous ne pensons pas que la question fondamentale soit de localiser l’information. Nous pensons que la tâche primordiale, c’est de raconter une histoire …/… Nous employons l’histoire narrative comme le ciment qui lie chaque étape du processus d’investigation, de la conception à la recherche, puis à l’écriture, au contrôle qualité et à la publication… une histoire n’est qu’une hypothèse, jusqu’à ce qu’elle ait été vérifiée. En vérifiant ou en réfutant une hypothèse, un journaliste peut plus facilement voir quelle information il lui faut chercher, et comment l’interpréter.
L’Histoire n’est plus une mise en ordre. Elle n’est plus «linéaire et irréversible», mais atomisée.
en guise de conclusion provisoire
Le vrai va sans doute tendre à être de moins en moins recherché pour lui-même, désertant les contenus pour devenir un attribut de simple apparence. Le faux ne sera reconnu comme tel que dans la mesure où il apparaitra négligé, bâclé dans sa mise en forme. La recherche du vrai va se muer en celle du “vraisemblable”, qui semble exclure l’information isolée au profit d’une “construction”… qui en appelle aux ressorts de la fiction. Le futur du faux pourrait n’être qu’un futur où l’on ne fera plus… que se contenter… de se raconter des histoires.
L’Histoire ne sera alors qu’un ensemble d’histoires… parmi d’autres.
et pour élargir le propos
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