le futur du faux

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Le faux contient l’erreur, mais ne se réduit pas à elle: un mensonge n’est pas une erreur. En outre, celle-ci n’est jamais un besoin alors que le faux peut en être un.

C’est d’ailleurs parce qu’il peut être un besoin qu’il est souvent bien accepté… pour ne pas dire recherché.

le faux comme fatalité


«On ne peut pas ne pas communiquer» fut un mantra de l’école de Palo Alto … dont découle directement la formule: «Communiquer, c’est influencer, et puisqu’on ne peut pas ne pas communiquer, on ne peut pas ne pas influencer… et être influencé!»… ce qui rejoint Aristote: «Comment est-il possible de persuader sans tomber dans la tromperie ou dans la séduction?». Le faux apparait d’autant plus inévitable qu’il n’est pas le contraire du vrai, car comme l’avait déjà souligné Montaigne: «Le revers de la vérité a cent mille figures et un champ indéfini». Ce problème a donc traversé les siècles. On en retrouve une déclinaison dans l’analyse de la dynamique du mensonge:
Le menteur administre souvent la preuve qu’entre le vrai et le faux s’étend le vaste domaine du ni vrai ni faux ou, si l’on préfère, de ce qui échappe tant au jugement de vérité qu’au jugement de fausseté.
Ce principe fut théorisé mathématiquement par Lotfi Zadeh en 1965 sous le concept de “logique floue” .

le faux comme besoin


L’esprit humain a horreur du doute. Il recherche, en toute circonstance, le moyen le plus rapide pour l’évacuer. L’urgence dans ce domaine conduit assez directement vers le faux… dont les capacités de survie sont, en outre, très supérieures à celles du vrai, comme l’exprime la loi de Brandolini:
La quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des idioties est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire.
En tant que besoin, le faux se nourrit cependant moins de mensonge que de fiction: «Comme le mensonge, la fiction se distingue de l’erreur en ce qu’elle est volontaire. Mais, à la différence du mensonge, la fiction ne vise pas, à proprement parler, à tromper». Le faux de la fiction pourrait d’ailleurs en référer à nos origines même:
Le développement du langage au sein de l’espèce humaine s’expliquerait par le rôle fondamental de la fonction narrative: le besoin de “raconter des histoires”.

une dérive de la société de consommation

Dans le “supermarché de l’information” dans lequel nous évoluons quotidiennement, la “liberté de pensée” se conçoit comme un choix … qui, dans ce domaine, consiste à “choisir son faux”, car le vrai – si tenté qu’il existe – ne peut se concevoir que comme étant unique. Le vrai n’est pas un produit de consommation. À sa manière, il est totalitaire. D’ailleurs tous les totalitarismes s’appuient sur un “vrai” officiel dont il n’est pas question de déroger. Choisir son faux aujourd’hui est d’autant plus facile qu’il est rendu disponible sous une infinité de variantes par des médias et des réseaux sociaux guidés par la recherche obsessionnelle de la singularité, de l’événement, voire du scoop. La recherche par l’individu d’une identité passe désormais le plus souvent par l’expression d’une opinion… paradoxale … car à la fois originale et conforme… inscrite dans celle d’un groupe, mais en marge de ce qui peut être associé à la pensée dominante. Le faux permet de conforter ses croyances tout en se construisant une identité… moyennant une dépense minimum d’énergie. La première victime de ce processus est la cohérence globale entre les diverses opinions de l’individu… qui a d’autant moins d’importance qu’elle ne joue aucun rôle social.
Une conséquence inquiétante nous en est donnée par une étude d’envergure  s’appuyant sur 126 000 histoires différentes, qui se sont répandues sur Twitter entre 2004 et 2017:
Les fausses nouvelles sont diffusées plus vite, plus loin, plus profondément et plus largement que les vraies. Les «cascades» de retweets font intervenir plus de personnes, elles entraînent plus de retweets, et sont plus « virales ».
La brièveté des messages dans ces réseaux constitue leurs limites, mais aussi hélas leur redoutable efficacité. (*) Alexis de Toqueville l’avait déjà décrit en son temps, en affirmant qu’une «idée fausse, mais claire et précise aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe». Le message court convient aussi bien aux hyperactifs qu’aux paresseux, alors qu’il est généralement devenu très complexe de se rapprocher du vrai. Le rasoir d’Ockham fonctionne de moins en moins bien.

retour vers la théorie de l’information

(*) Pour Shannon, l’information est la mesure de l’incertitude calculée à partir de la probabilité de l’événement. Dans cet ordre d’idée, plus une information est incertaine, plus elle est intéressante. Un événement certain ne contient aucune information. “Le soleil se lèvera demain” n’est pas une information… le contraire en serait une de grande valeur.
Dans la recherche de l’improbable, le potentiel créatif du faux est quasiment sans limites. En ce sens il est un incomparable producteur d’informations au sens de Shannon… et faire partie des premiers à en relayer une est socialement assimilé à de la créativité… toujours moyennant une dépense minimum d’énergie. En prime, l’information fausse peut s’inscrire dans les fictions les plus surprenantes… donc les plus attractives.

le faux, bras armé de “l’antisystème”

Plus une information est prévisible, moins elle est intéressante: c’est plus particulièrement le cas de “l’information officielle”. Cette logique de l’information favorise “l’antisystème”. Selon Martin Gurri, ancien analyste de la CIA , l’écosystème de l’information, bouleversé par l’avènement des réseaux sociaux, s’est effondré.
Les signaux d’alarme étaient évidents: le rejet des sources d’information autrefois jugées fiables; le contournement des institutions à l’aide des réseaux sociaux; une grogne grandissante et parfois violente envers tout ce qui représente l’autorité.
Ainsi, même une information “dominante” peut être majoritairement acceptée si elle semble mettre le “système” en difficulté. Peu de sources contestent, par exemple, la véracité des révélations des lanceurs d’alerte.

le faux décomplexé

Le ministère des Armées va investir dans la « guerre cognitive » avec le projet MYRIADE.
La « guerre cognitive » consiste à s’adresser à des groupes d’individus pour leur faire prendre des vessies pour des lanternes afin d’obtenir un effet tactique, voire stratégique…/… Les progrès technologiques, en particulier dans les domaines de la cybernétique et des biotechnologies, associés à l’évolution des connaissances en matière de neurosciences, font que, de nos jours, il est plus facile qu’avant d’exploiter les faiblesses du cerveau humain.
Un faux décomplexé peut se nourrir abondamment et impunément d’illicite… ce qui permet l’explosion de l’offre dans ce domaine.

le faux comme produit


La culture du faux a sans doute commencé avec les pseudonymes. On trouvera ici un panorama de technologies du faux d’ores et déjà disponibles… en attendant mieux. Il permet de constater que beaucoup d’énergie s’y dépense, en marge même des métavers . De nouveaux avatars du faux fleurissent quotidiennement… trop pour être mentionnés. Citons, entre mille, l’exemple de ce faux caillou.

le futur du faux


Le futur du faux va donc s’inscrire dans ses caractères structurels:
  • Le vrai est plus incertain, plus complexe, plus inaccessible, moins communicable
  • Le vrai est moins créatif
  • Le vrai est aujourd’hui perçu comme peu démocratique
  • Les autorités de référence du vrai – notamment les sciences – sont plus hésitantes que par le passé (voir ”probabilités, corrélations: quand la science ne sait plus”) et par là, perçues comme plus facilement contestables.
  • La recherche scientifique, en ce qu’elle requiert des moyens financiers croissants, devient forcément suspecte, car condamnée à “ne pas mordre la main qui la nourrit”.
  • Le recueil massif de données et ses jeux de corrélations multiples accumulent les “possiblement vrais”. Le vrai et le faux sont appelés à s’y ressembler, voire à s’y confondre.

La question, qui aurait pu paraître logique au regard du problème posé, à savoir: «quelles sont les manifestations du faux qui vont prévaloir dans le futur», devient caduque par la dissolution des limites du concept.

Le vrai va sans doute tendre à être de moins en moins recherché pour lui-même, désertant les contenus pour devenir un attribut de simple apparence. Le faux ne sera reconnu comme tel que dans la mesure où il apparaitra négligé, bâclé dans sa mise en forme. La recherche du vrai va se muer en celle du “vraisemblable”, qui semble exclure l’information isolée au profit d’une “construction”… qui en appelle aux ressorts de la fiction. Le futur du faux pourrait n’être qu’un futur où l’on ne fera plus… que se contenter… de se raconter des histoires.


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