nouveau paradigme: une notion usée qui peut encore servir

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« paradigme »: petit rappel


Initialement proche de la notion “d’exemple-type” ou de “modèle”, le mot “paradigme” a servi à désigner, au cours des siècles et selon les domaines dans lesquels il était employé, tout ce qui s’assimile à un schéma de pensée, à une manière de poser les problèmes et de les résoudre.
Le mot «paradigme» a été utilisé de façon surabondante de la fin des années 1980 à la fin des années 1990 en entreprise. On parlait de «nouveau paradigme» ou de «changer de paradigme», notamment pour donner un aspect fortement novateur à un projet. Dans ce contexte, «paradigme» peut être considéré comme un buzzword, c’est-à-dire un mot prestigieux visant à intimider l’interlocuteur.
Les définitions du terme vont désormais dans le sens que leur a donné Thomas Kuhn dans son ouvrage de référence “La structure des révolutions scientifiques”  :
Conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d’explication envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée
Restons-en là pour les définitions, celles-ci ont déjà fait l’objet d’un ancien billet «nouveau paradigme: quand «tout» devient autre chose».
Thomas Kuhn a eu besoin de ce concept pour avancer que l’Histoire des sciences n’est pas celle d’une simple accumulation de connaissances, mais celle… des changements de points de vue. Si tel est le cas, le futur devrait se construire de la même façon. Cependant, les changements de points de vue à venir ne vont pas s’appliquer brutalement. Ils vont sans doute s’annoncer. Il reste à savoir comment.
Cette question va nous ramener vers un propos récent (voir «tu ne sais pas vraiment ce que tu entends par “ futur ”») et deux billets plus anciens, en dehors de celui déjà cité plus haut, «approcher l’inédit à partir de la théorie des prototypes» et «penser le futur comme si c’était un oiseau».
Mais cette fois, nous allons explorer l’idée de changement de paradigme à partir d’un exemple, celui du vêtement.

identifier un nouveau paradigme: l’exemple du vêtement


les textiles synthétiques

L’incorporation de “haute technologie” dans un type de produit qui en était dépourvu, l’optimisation d’un processus, une innovation même assez radicale constituent-elles automatiquement un changement de paradigme? (lien)
Immédiatement après la soie artificielle de 1890 apparaissent la soie au cuivre, la viscose, l’acétate de cellulose. Viendront, par la suite, les matières de synthèse dérivées de la chimie macromoléculaire…/… Pour donner la mesure de l’importance de ces fibres artificielles et synthétiques, prenons comme exemple une usine moderne qui produit quotidiennement 150 tonnes de fibres chimiques. Pour produire la même quantité de laine, il faudrait un troupeau d’au moins 12 millions de moutons et un pâturage grand comme la Belgique.
Du point de vue de la “production textile”, dont dépend le vêtement, il s’agit à l’évidence d’un changement de paradigme, alors que du point de vue de l’usage, cela n’en est pas un: le vêtement n’est pas “pensé” autrement.

vêtement et textiles “intelligents”

L’avenir du vêtement est d’être l’interface entre la personne et le monde qui l’entoure. Ce sera l’interface entre son porteur et ses autres objets connectés, le web, le cloud, sa maison et même son avatar sur le web. La future ambition du textile électronique est qu’il n’y ait plus de composants électroniques et que le textile lui-même devienne électronique.
En dehors de toute opinion sur l’intérêt pratique de cette transformation, il pourrait effectivement s’agir d’une nouvelle façon de “penser le vêtement”.
Pourtant, nous n’y sommes pas encore, car cette évolution négligerait les fonctions de base du vêtement au profit de l’adjonction de fonctions d’un autre ordre qui étaient, jusque là, assumées par d’autres dispositifs. Ce serait comme une manière high-tech d’ajouter un porte-bagage à un vélo. Retenons cette possibilité d’y “greffer de l’intelligence”, mais revenons au vêtement proprement dit.

vêtement: du goretex au graphène

Répondant aux exigences de légèreté et de coupe-vent, le goretex offre surtout une perméabilité “orientée” à l’eau (imperméable à la pluie, perméable à l’eau produite par le corps), ce qui est… nouveau. Il s’inscrit également dans d’autres applications (implants corporels, fibres électroniques…), ce qui pourrait indirectement offrir à la recherche de nouvelles perspectives dans le domaine du vêtement.
Que trouve-t-on si l’on se projette encore plus loin dans cette direction?
Une veste en graphène.
On se souvient des extraordinaires propriétés de ce matériau (voir «graphène & aérogels: les chemins sinueux de la rupture»). Cette veste existe, mais en l’état, elle relève encore de la recherche.
On trouvera ici le descriptif du fabricant et ici une analyse en français
Nous pensons que la capacité du graphène à conduire la chaleur et l’énergie et à résister à des forces insensées, tout en ajoutant une masse nulle, devrait le rendre essentiel dans l’histoire.
Cette veste ne conduira pas seulement la chaleur de votre corps pour égaliser et augmenter la température de votre peau, elle peut théoriquement emmagasiner une quantité de chaleur illimitée, ce qui signifie qu’elle peut fonctionner comme un radiateur
Là, c’est bien le vêtement lui-même qui devient autre chose.
Ajoutons-lui une “intelligence”, puisque cela parait possible, nous obtenons alors un vêtement – voire un sous-vêtement – technique potentiellement capable “d’individualiser l’environnement” de celui qui le porte: produire du chaud – voire du froid – et en quantité ajustée à des besoins variables et personnalisés. Dans la mesure où il dispenserait d’avoir à chauffer ou rafraîchir les espaces, il pourrait même présenter un intérêt économique pour le consommateur.

“l’outil paradigme” dans la prévision


On peut postuler qu’un changement de paradigme va également se signaler en émergeant dans des démarches issues d’horizons différents… ce qui serait le cas.
  • Un premier exemple a été évoqué dans un ancien billet (voir “robotique & nanotechnologies: deux visions du robot du futur”) à propos de fenêtres qui pourraient adopter un fonctionnement du même type.
  • Des principes similaires sont également à l’œuvre dans ce “textile 3D” conçu par la NASA . C’est un tissu réversible qui reflète la lumière et la chaleur d’un côté et les absorbe de l’autre.
Des chercheurs américains ont mis au point un matériau à conductivité thermique commutable, qui peut notamment être intégré dans des textiles. Le biopolymère de base provient des dents ou crochets tranchants qui ornent les anneaux des ventouses de certaines espèces de calmars.
L’intégration de tout cela dans les usages courantes n’est pas pour tout de suite… ce qui a peu d’importance pour notre propos, car un nouveau paradigme est là quand on commence à penser autrement, que l’on se pose des questions qu’on ne se posait pas, dans le cadre de possibles qu’on n’envisageait pas.

petit retour sur le futur du vêtement


L’aptitude à s’adapter en temps réel aux données de son environnement constitue l’essence même du robot (voir “un robot ne saura jamais participer à une réunion inutile… ou il le fera très mal”). C’est cela qui le distingue d’une machine ou d’un automate. Il est amusant de constater que la convergence entre le robot et l’humain, objet de tant d’extrapolations futuristes, pourrait finalement se réduire… à une simple question vestimentaire.

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