le traçage des individus: un futur qui se rapproche

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Un article récemment paru dans “the intercept” marque une nouvelle étape dans le cheminement d’une idée évoquée de longue date dans ce blog (en 2013  – en 2018).


le traçage des individus


Pour faire pleinement comprendre à son public l’immense pouvoir de son logiciel, Anomaly Six a fait ce que peu de gens dans le monde peuvent prétendre faire: espionner des espions américains.

Un minimum de prudence est de rigueur dans la mesure où, comme nous l’avons vu, Big Brother fonctionne comme une publicité pour toutes les grandes entreprises technologiques. Mais là, c’est un peu différent… parce que là… c’est de plus en plus plausible. Le principe se dote ici de ce qui manque cruellement aux grands aspirateurs de données personnelles: une finalité explicite. Celle-ci révolutionne le processus en ce qu’elle le rend “évaluable”, “améliorable”, “optimisable”… ce qui ne peut être envisagé sans elle.

La finalité explicite se matérialise par le choix d’un lieu pointé comme “origine”. Dans l’exemple il s’agit des bureaux de la CIA, mais ce pourrait être un centre de recherche, le siège d’une association ou tout autre lieu répertorié comme “intéressant”. Sont identifiées puis tracées par le GPS de leurs smartphones les personnes qui ont été à un moment ou un autre présentes sur ce lieu. On connait ainsi rapidement leurs domiciles probables, leurs déplacements les plus courants comme les plus exceptionnels, leurs fréquentations – appelées à être tracées à leur tour – … etc. Nous y retrouvons, en outre, une notion qui nous est devenue familière: celle de “cas contact”. Anomaly Six, se targue de «surveiller environ 230 millions d’appareils sur une journée moyenne».
Cependant, pour s’inscrire globalement dans une redéfinition des pratiques sociales, le principe doit “changer de nature” en se parant d’une légitimité majoritairement admise. Or, celle-ci progresse également.

une légitimité qui s’installe


Les pratiques sociales dominantes ne basculent pas brutalement d’un état dans un autre. Les émergences se doivent de fonder puis de consolider leur légitimité. Le concept de percolation a déjà été mis en évidence pour la modélisation de ce phénomène.
Un milieu dans lequel progresse un fluide, une information, une certaine influence qui, en atteignant un seuil (dit “seuil de percolation“), modifie radicalement la nature du milieu.
Ce principe issu des sciences dures, s’est progressivement imposé dans beaucoup de domaines, depuis la diffusion des épidémies ou des incendies de forêts jusqu’aux phénomènes socio-économiques.

Appliquée à une “idée”, ce type de progression virale peut prendre différentes formes et emprunter différents chemins (par fragments, par domaines, par analogies… ). Ainsi en va-t-il de l’idée de traçage.

  • On trace dans l’alimentaire, plus spécialement dans le bio
  • On trace les livraisons dans la vente par correspondance
  • On trace les cas contacts dans la gestion des épidémies
  • On trace les détenus en semi-liberté grâce aux bracelets électroniques
  • On trace les enfants et personnes dépendantes grâce à des balises GPS
  • Les romans policiers nous ont familiarisé avec tout ce qui permet de tracer les individus, des caméras de surveillance au smartphones en passant par les cartes bancaires.
  • On trouve quotidiennement dans les pages que nous ouvrons sur internet des demandes de localisation
  • (*) À compter de juillet 2022, tous les nouveaux modèles d’automobiles commercialisés en Europe devront être équipés d’un enregistreur de données.
  • … etc
    On se rapproche d’un basculement plus radical avec l’écho donné aujourd’hui aux utilisations de la blockchain dont le suivi n’est rien de moins que… la raison d’être. On trouvera ici à titre d’exemple «3 Études de cas de la blockchain pour le suivi des actifs et la prévention du vol».
    (*) La technologie blockchain peut être aussi bien utilisée pour lutter contre la contrefaçon de biens physiques, comme pour la traçabilité de bouteilles de vin, qu’en matière d’identification des personnes physiques.

    L’argument fondamental de la blockchain réfère à une légitimité-mère: la sécurité. Or, cette problématique tend, de nos jours, à devenir obsessionnelle.

    Changeons de regard: le suivi généralisé des “trajectoires” des individus peut apparaitre comme l’arme absolue contre toute forme d’agression, de vol … etc. Son acceptation pourrait induire des réductions de primes d’assurance, des accès à certains emplois ou à des privilèges particuliers… jusqu’à ce que l’émergence d’un facteur critique d’insécurité amène à la radicalisation du principe et à diverses formes d’obligation.

    en guise de conclusion provisoire


    Le principe de suivi est redoutable du fait qu’il ne requiert qu’un minimum d’intelligence associée à d’énormes moyens… association extrêmement robuste qu’il est très facile de mobiliser aujourd’hui.
    (*) Un petit détour par la science-fiction pourrait nous donner un comparatif des perspectives possibles de l’IA et de la blockchain.
    Dans le premier cas, nous obtenons le Big Brother “traditionnel”, celui qui voit tout, qui sait tout, et qui devine tout ce qu’il ne sait pas. C’est l’intelligence. C’est complexe, instable et fragile.
    Dans le second cas, nous sommes tous géolocalisés en temps réel. Big Brother ignore ce que l’on dit ou ce que l’on pense, mais il connait tout de nos déplacements et il en déduit très facilement qui a fréquenté plus ou moins souvent un lieu ou une personne donnée et qui se trouvait en un lieu donné à un instant donné. C’est systématique. C’est totalement dénué d’intelligence, mais simple, robuste et efficace.
    Pour quelles perspectives?
    On peut répondre à cette question par une autre question: à combien de “lieux intéressants de départ” un citoyen sera-t-il – en moyenne – directement ou indirectement associé?

    Mais au-delà, une question plus fondamentale doit être abordée. Elle le sera dans le prochain billet.


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