le risque aujourd’hui
Le risque objectif est-il plus présent dans le monde actuel que dans celui d’hier?
Non, pour les mineurs, les marins-pêcheurs, les travailleurs du bâtiment et les militaires. Oui, pour les civils en situation de guerre. Mais la tendance universelle à la concentration se pose en source de risque objectif: concentration d’énergie, de produits chimiques, d’armements, de pollution… de données personnelles… de population… de capitaux, de pouvoir…
La dimension idéologique du risque se révèle quand on l’oppose à l’idée de sécurité, définie comme (CNTRL):
État d’esprit confiant et tranquille qui résulte du sentiment, bien ou mal fondé, que l’on est à l’abri de tout danger.
On y voit un “état d’esprit“ lié à une question de “confiance“. Cette dimension idéologique relie donc la perception du risque à l’activité médiatique, canal par lequel se façonnent les idées.
Par ailleurs, le risque occupe une place particulière dans la hiérarchie des légitimités sociales (voir « le concept de légitimité, une clé pour l’approche du futur»). Au risque est associée une sur-légitimité, celle qui permet l’état d’exception, la suspension des libertés fondamentales, le déplacement de populations et d’une façon générale la reprise en main du fonctionnement social par le pouvoir politique. L’idée de légitimité relie donc le risque aux stratégies de pouvoir … tout particulièrement (voir paragraphe précédent) dans leurs dimensions médiatiques, où le jeu se réduit finalement à convaincre le plus grand nombre que davantage de risques sont attachés à la position de l’adversaire.
Toute action, toute innovation s’évalue à l’aune de ses risques et tout risque est présenté comme étant pris en réaction à un autre risque posé comme supérieur. Cette problématique est devenue centrale.
le risque et le futur technologique
Pour beaucoup, le futur sera le produit direct des possibles technologiques (voir «loi de Moore: les illusions fonctionnelles du futurologue» & «intelligence artificielle: le crépuscule d’une idée»). Le risque attaché à ces technologies peut cependant conditionner leur exploitation maximum, limiter leur champ d’application et donc leur impact sur le devenir des pratiques.
“marche en avant“ contre “principe de précaution“
Principe de précaution ou marche en avant? À peine éteint sur l’amiante, toujours actif sur le nucléaire, le débat sur le risque a gagné les nouveaux domaines de la génétique et des nanotechnologies. Comme on le voit dans cette vidéo, les technologies changent, mais les arguments du débat demeurent à peu près invariables.
“Produire de la richesse“, “créer des emplois“: aujourd’hui la légitimité de l’économique est totale. Elle s’appuie sur l’idéologie libérale. Elle constitue le soutien de la “marche en avant“ sur la base d’une argumentation désormais classique:
• toute entrave fait prendre du retard dans la conquête de nouveaux marchés
• toute entrave empêche de produire d’autres richesses et de créer d’autres emplois
• toute technologie présente des risques et cela est vrai depuis la conquête du feu
• la plupart des produits chimiques courants actuels n’ont jamais fait l’objet d’étude de risque
• le libre jeu de la démarche essai-erreur est indispensable au progrès de l’humanité
• on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs
• la science saura résoudre les problèmes qu’aura posés la science
• le principe de précaution peut tout bloquer. Il mènerait à ne plus sortir de chez soi.
Les partisans du “principe de précaution“, se réfèrent à l’approche environnementale et s’appuient, sur une interminable liste de catastrophes: Minamata, Seveso, Bhopal, Tchernobyl, AZF, Fukushima, les marées noires, l’amiante …etc. Ils mettent en avant la triple dimension du risque (au niveaux de la production, de la consommation, des déchets) à différentes échéances (court et long terme) et soutiennent qu’il est monstrueux de faire des essais avec des vies humaines -fussent-ils ou non suivis d’erreurs-.
Les catastrophes avérées et la relative indifférence avec laquelle elles sont considérées par leurs opposants justifient largement l’absence de confiance des seconds vis-à-vis des premiers. La dérive mentionnée dans le billet précédent («l’irrésistible ascension de l’économie de l’interdit») ne fait que renforcer la certitude qu’il n’y a rien à attendre, en matière d’éthique, d’une société cotée en Bourse.
Mais il ne faut pas minimiser pour autant les difficultés de mise en œuvre, dans la durée, du principe de précaution:
• Il se nourrit principalement du passé: “ne pas reproduire les erreurs commises…“. On notera dans la vidéo citée ci-dessus la référence à l’amiante à propos des nanotechnologies. Mais l’amiante ne reproduisait rien d’antérieur et les nanotechnologies poseront probablement aussi des problèmes spécifiques jamais vus auparavant. Comment les appréhender? L’amiante n’a été pris en compte que quand il a posé un problème avéré de santé publique… c’est-à-dire en marge de tout principe de précaution.
• Le plus haut niveau de compétence dans les nouvelles technologies appartient à ceux qui les mettent en œuvre. Comment leurs feuilles de route pourraient-elles être rédigées par ceux qui ne les connaissent pas… ou moins bien… et est-il acceptable, dans ces conditions, que la charge de l’anticipation incombe à ces derniers?
• À chaque dommage commis malgré sa mise en oeuvre, il n’a que la possibilité de durcir encore ses précautions, ce qui le rend vulnérable aux critiques de “marche en arrière“ que ses opposants ne manquent pas de lui adresser.
• Fondamentalement et en dehors de l’interdiction absolue, le principe de précaution ne peut rien valider (ou seulement en passant par une forme de renoncement), car le risque nul n’existe pas.
• Et surtout, il consiste à prendre des mesures préventives, c’est-à-dire, finalement, à alimenter l’économie de l’interdit, car ses prescriptions ne seront pas appliquées partout… et on le sait. (voir «l’irrésistible ascension de l’économie de l’interdit»).
un contexte particulier
Dans l’optique d’un pronostic sur l’issue de cette confrontation, une évidence s’impose: jamais dans l’Histoire, les opposants à la marche en avant ont bénéficié d’une telle audience et d’une telle influence, car l’approche environnementale a acquis une très forte légitimité sur le thème du réchauffement climatique. L’esprit actuel des lois va dans son sens, la sensibilité dominante du public également.
S’agit-il d’une tendance… et laquelle? (voir «combien de futurs y-a-t-il derrière une tendance?»).
Faut-il y voir la mise en échec d’un économisme pourtant au sommet de sa puissance? Peut-on en déduire le déclin de cette idéologie et une promesse pour des jours meilleurs?
Ou bien, à l’inverse, faut-il considérer que le réchauffement climatique n’a été aussi bien admis que parce qu’il s’est trouvé en phase avec les grands intérêts économiques du moment et qu’il a permis une relance de l’offre quand celle-ci, pas encore portée par l’électronique et les réseaux, piétinait dans tous les secteurs? Grâce au réchauffement, se sont développées les productions de nouveaux équipements, de nouveaux bâtiments, de nouvelles voitures, de nouveaux avions… de nouvelles politiques urbaines. Dans le domaine clé du logement, le consommateur n’y a trouvé un intérêt financier que grâce à la hausse du prix de l’énergie qui, au passage, a fait le bonheur de ses grands fournisseurs. Même les compagnies pétrolières n’ont jamais gagné autant d’argent que depuis dix ans.
La conclusion serait alors inverse. L’économisme serait roi, plus que jamais, et pourrait à sa guise utiliser n’importe quelle idéologie, puis s’en débarrasser après usage. Toute alternative ne serait tolérée que dans la mesure où elle s’avérerait compatible… et qu’importent les risques.
D’autant que sur l’échiquier du réchauffement, l’écologiste avait avancé sa reine, mais le capitaliste avance maintenant son fou, comme l’évoque Mediapart à propos du dernier rapport du GIEC
Ce document introduit une rupture concernant la géo-ingénierie, c’est-à-dire l’action à une grande échelle dans le système climatique pour stopper ou ralentir le réchauffement.
Mesurons bien ce que cela signifie. Soit les tenants du réchauffement s’adoucissent et celui-ci perd alors beaucoup de son influence, soit ils persistent dans la voie de la radicalisation et de la dramatisation et ils ouvrent alors la porte à la géo-ingénierie, approche radicale est sans doute peu maitrisée, où on voit mal comment pourrait s’envisager le principe de précaution, mais qui se présenterait comme seule réponse possible à court terme.
Par analogie, faut-il poser que toutes les technologies susceptibles de rapporter de l’argent seront développées dans le futur… sans aucun garde-fou?
A l’instar du principe de précaution, toute régulation va surtout dépendre du poids relatif du politique.
le risque et le futur du politique
Le Forum Economique Mondial de Davos – janvier 2014
La question des risques apparaît tellement fondamentale que le WEF (World Economic Forum de Davos 2014) en a fait un de ses thèmes centraux. Notons en passant qu’ils insistent particulièrement sur les risques liés aux inégalités de revenus, ce qui ne manque pas de sel dans un rassemblement de milliardaires. Mais laissons cela pour l’instant. Ils évoquent les risques et le font bien… de façon exhaustive… selon une problématique de gouvernance mondiale… et sur la base de la remarquable carte conceptuelle ci-dessous (source WEF – cité par les Echos)
Cette démarche appelle 2 remarques… +1
Si l’on ne vous parle que de cancer, vous allez progressivement acquérir la quasi-certitude de mourir de cette maladie. Si on vous place le cancer dans l’ensemble de toutes les causes possibles de décès, il ne vous fera plus peur du tout. Accumuler les risques revient à minimiser chacun d’eux.
Mais Jennifer Blanke, économiste en chef au Forum économique mondial, va plus loin et présente son rapport en ces termes
Chacun des risques examinés pourrait provoquer une défaillance à l’échelle mondiale, mais c’est leur interconnexion qui présente le plus grand danger»
Ériger l’ensemble des risques en système, c’est rendre… volontairement… le problème insoluble.
Or quel est le problème à résoudre? Explicitement (cf au centre de la carte) celui de la gouvernance mondiale (rien de moins), c’est-à-dire un problème politique où le rôle du politique se retrouve cantonné dans la résolution… d’un problème insoluble… cette tâche apparaissant suffisamment lourde pour que ses services ne soient pas requis ailleurs.
On voit bien l’idée et l’on voit aussi que, pour exister dans le cadre de cette incompétence programmée, il ne restera plus au politique que l’action a posteriori et au coup par coup.
Mais la partie d’échecs n’est peut-être pas terminée…
Quels scénarios pour le futur?
Soit le capitalisme va orienter sa recherche de profit vers la réduction des risques comme il l’a fait avec le réchauffement (c’est imaginable), soit le rapport de forces avec le politique va évoluer (pour l’instant on voit mal comment), soit le risque est appelé à se réguler de lui-même à partir de l’impact, pas forcément prévisible, de futures catastrophes financières, militaires ou sanitaires… de dimension planétaire.
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