Déduction, induction, abduction: telles sont les trois grands modes d’argumentation. Quel sens faudrait-il donner à une possible évolution du poids de chacun?
Car si un régime totalitaire soumet par la contrainte, une démocratie soumet principalement par la persuasion. L’idée d’un futur démocratique amène donc à s’interroger sur le futur… de l’argumentation.
délimiter le champ de l’argumentation
Celle-ci n’est mobilisée que dans “l’incertain”. Un argument est potentiellement discutable et n’existe qu’en l’absence de preuve. Or, de nombreux billets ont été consacrés aux différents mécanismes qui aboutissent à la corruption du “vrai” . Le naufrage de “la preuve” qui en découle devrait donc amener à une consolidation des argumentaires dans tous les domaines. Or, comme nous allons le voir, tel n’est pas le cas.
Il y aurait donc toujours quelque chose “au-dessus” de l’argumentation qui en délimiterait le champ “vers le haut” . Dans le domaine des sciences, ce serait, selon Thomas Kuhn, le paradigme dominant de la pensée scientifique à une époque donnée.
déduction, induction, abduction
La déduction est ce qui se rapproche le plus de la preuve. En ce sens, elle correspond à une position limite en matière d’argumentation dans la mesure où elle n’est pas contestable. “En logique”, il y a déduction lorsque la vérité de la conclusion découle directement de celle des prémisses. Étant constituée d’un enchaînement de propositions qui respectent des règles définies et sans recours à l’expérience (*), elle s’apparente à un raisonnement mathématique. Le mot s’est progressivement banalisé pour désigner n’importe quel type d’enchaînement rigoureux de propositions. Dans son sens “authentique”, on en trouve peu d’exemples dans la pratique courante.
- soit l’accumulation des données disponibles (vraies ou fausses) autorisera d’autres lectures et donc… la contestation des prémisses – cas devenu le plus fréquent –
- soit la tendance sera majoritairement admise et dans ce cas les données qui lui sont liées fonctionneront comme des preuves, éliminant par là tout recours à une argumentation (voir plus haut). Dans ce cas les controverses s’appliqueront aux effets attendus de ladite tendance et s’opéreront sur le modèle de l’abduction (voir ci-après)
les dérives de l’argumentation
- Les données furent “les prémisses fondamentales” de l’argumentation. L’accumulation leur a fait perdre une grande partie de leur valeur.
- Traditionnellement, elles représentaient “les faits”. Aujourd’hui, les données peuvent être choisies – voire recueillies – sur la base d’un préjugé. Elles occupaient, dans l’argumentaire, une position déterminante en amont. Elles occupent désormais une position surtout formelle… en aval. Mais, dès lors, où trouver des prémisses fiables?
- Le culte actuel de l’événement ne donne une réelle capacité d’attraction qu’aux données inattendues… et aux arguments potentiellement inédits qui peuvent en découler. Ceux-ci sont perçus – au moins temporairement – comme plus vrais.
- Le recueil massif de données produit … «un grand nombre d’arguments hétéroclites et de faibles valeurs donnant une impression trompeuse de solidité globale» (voir abduction ci-dessus). Cette tendance est consolidée par le biais dit de “corrélation illusoire”
Le biais de la tache aveugle est un métabiais puisqu’il se rapporte à un mode de raisonnement erroné dans l’examen des biais cognitifs …/… Les individus ont tendance à penser que leurs propres croyances sont justes et que leurs sources sont sûres, mais que ceux qui tiennent des positions différentes sont affectés par des biais et que leurs sources ne sont pas fiables.
en guise de conclusion provisoire
- Le recueil massif de données tel que vu plus haut.
- Les termes des controverses étaient par le passé davantage “préformées” (croyants contre incroyants, catholiques contre protestants, gauche contre droite … etc). Aujourd’hui, les individus veulent exister au travers d’une cause originale et de la communauté qui s’y rattache. D’où une suraccumulation de microcauses qui, portées par les réseaux sociaux, “tirent” les croyances et les prémisses dans toutes les directions.
- L’ancrage souvent faible de ces microcauses amène leurs adhérents à privilégier les “questions de principe” et la nécessité d’un bannissement de certains mots et formules s’y rapportant. La liberté d’expression, fondement de la démocratie, est plus que jamais utilisée pour exiger des sanctions contre… les expressions des autres … jugées inacceptables… sur la base d’une quelconque microcause. Ainsi, quoi qu’on dise aujourd’hui, on est presque toujours l’illégitime de quelqu’un.
- L’omniprésence et le savoir-faire dans la fabrication du “prêt à penser” de médias constamment à l’affût d’un … événement de communication… à amplifier.
Toute controverse tend à être remplacée par des affrontements entre des croyances… sur le modèle des guerres de religion.
Pour répondre à cette question, il suffit de constater que les mouvements qui entravent l’acte difficile et exigeant de l’argumentation découlent… tous… de la paresse intellectuelle: croire – ou ne pas croire – est plus facile que tenter de démontrer. Or, le glissement vers le moindre effort est très difficile à contrarier.
La corruption du vrai évoquée en introduction n’amène donc pas un renforcement des argumentaires, mais au contraire un amoncellement de “vérités alternatives” prêtes à consommer. Quant à l’argumentation, elle n’évolue pas. Elle disparaît.
Quentin Ladetto
Bonjour M. Vignali,
Très pertinent comme sujet que j’ai beaucoup apprécié! Seriez-vous d’accord de republier ce billet sur le site de l’atelier des futurs afin de continuer et ouvrir le débat ?
Avec mes plus cordiales salutations,
Quentin Ladetto
gv
Tout a fait d’accord.
gv