l’idée de proximité: un outil pour analyser l’évolution

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Proximité du “cas contact”… de la téléprésence… de l’afghan tué par un drone piloté depuis le Nevada: qu’est-ce que la proximité aujourd’hui?

Manipulée le plus souvent de manière implicite par les sciences sociales, elle n’en demeure pas moins essentielle dans la mesure où elle renvoie à des concepts fondamentaux de celles-ci tels que l’organisation, le groupe, l’identité, l’ordre social… la ville, l’environnement…
Autour de l’idée de proximité s’articulent un certain nombre de paradoxes.
  • On se réfère ainsi de moins en moins à la notion de voisinage, alors qu’on ne s’est jamais autant préoccupé de localisation.
  • La proximité évoque en première analyse… tout ce qu’elle est de moins en moins … à savoir l’idée d’une distance.
  • La proximité est aujourd’hui de plus en plus fréquemment utilisée comme une métaphore.

anatomie de la proximité


Si la proximité réfère à l’espace, elle n’a jamais été perçue comme découlant d’une approche métrique de la distance. Elle s’apparente plutôt à une sorte de jugement de valeur appuyé sur une approche relative et approximative de celle-ci.
Cette notion présente également la particularité de fortement se différencier selon le point de vue de l’observateur: extérieur ou impliqué, actif ou passif.

pour l’observateur “impliqué” “passif”

Pour l’observateur impliqué “actif”, la proximité renvoie moins à une mesure de la distance qu’à celle d’une durée (être à vingt minutes de son lieu de travail, à cinq minutes à pied, à un quart d’heure de métro…).

Pour l’observateur impliqué “passif” les ressorts sont différents.
Je suis immobile. M’apparait proche ce que je vois ou ce que j’entends. Pour l’observateur impliqué, la proximité découle principalement de ce qu’il perçoit directement de son environnement. Cette relation étroite à la perception la relie à une aptitude, différente pour l’oeil de l’aigle, le flair du loup … ou le niveau d’assistance technologique qui amplifie la nôtre. L’utilisation de simples jumelles modifie notre conscience de ce qui est proche ou lointain.
Or, notre perception de l’environnement n’a sans doute jamais été aussi perturbée. Elle compose aujourd’hui avec ce que lui soumettent les médias. Satellites et câbles sous-marins nous livrent, en quasi temps réel, des proximités avec ce qui peut se dérouler à l’autre bout du monde. Notre perception, désormais totalement assistée, est devenue illimitée. Nous n’avons plus aucune conscience de “l’espace intermédiaire” qui, hier, définissait ce que nous devions considérer comme proche.
La proximité, aujourd’hui dénuée d’échelle, s’est affranchie de tout ancrage spatial.

pour l’observateur extérieur

Sur quelles bases décidons-nous que des personnes ou des objets distants sont proches ou éloignés les uns des autres? Pour l’observateur extérieur, la référence à une proximité dépend totalement de la problématique ou de la situation dans laquelle elle est invoquée. Elle peut s’appliquer à deux villes voisines dans une région ou un pays éloigné aussi bien qu’au contact physique dans un métro bondé. Elle est fondamentalement relative, même si elle peut faire ponctuellement l’objet, comme dans des situations épidémiques, d’une tentative de codification.
Ne prenant son sens que dans le cadre d’une problématique particulière, cette proximité-là devient pilotable par des instances extérieures à l’observateur. Elle devient un concept “médiatique”. Ce sont les médias qui choisissent, qui représentent, qui insistent… qui forcent le regard et l’écoute. Dans le monde qu’ils nous présentent, une princesse ou une reine d’Angleterre est plus proche qu’un voisin de palier. Des proximités peuvent être créées de toute pièce entre tout et n’importe quoi. Il est devenu facile de convaincre l’individu de sa situation de proximité vis-à-vis de… tout ce qui est possible de lui donner à percevoir.

une métaphore de la distance

Ce glissement dans l’abstraction a permis d’ouvrir la proximité à une utilisation comme métaphore. Autour de l’idée de “points communs”, celle-ci est susceptible de s’appliquer aux ensembles et systèmes les plus divers, par exemple au domaine des idées.

que nous suggère l’approche par la proximité?


Quelle influence sur les concepts fondamentaux manipulés par les sciences sociales entrevus en introduction de cet article?

Ce glissement de la proximité du concret vers l’abstraction signale une plus grande facilité de changements d’état et un ordre social de plus en plus versatile. Les organisations, les groupes, les identités se font, se défont, s’atomisent… en d’autres termes s’affaiblissent… sauf…
…pour la classe supérieure, dont l’ancrage spatial demeure envers et contre tout.
Dans tous les sens qu’elle peut prendre, la proximité demeure extrêmement concrète pour ses membres: mêmes lieux, mêmes écoles, mêmes paroisses, mêmes réseaux, mêmes intérêts…

La classe supérieure ne s’atomise pas, ne s’affaiblit pas. Ce qui signifie qu’elle se renforce… si tous le reste s’affaiblit.

Selon le sociologue Talcott Parsons :
(*)  Il existe un problème central en sociologie, celui de l’ordre. Sa sociologie vise donc à expliquer comment peut exister un ordre social, plutôt que le chaos. Si un ordre existe, ce n’est pas parce que les individus le veulent ou parce qu’il apparaît de lui-même, c’est parce que des modèles culturels ont été intériorisés puis reproduits par les individus.

L’approche par la proximité montre que ses modèles culturels ont été profondément intériorisés par la classe dominante et qu’ils se montrent extrêmement stables. Les autres disposent de moins en moins de modèles stables à intérioriser. “Leur société à eux” tend à la dislocation.


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