Un post-rétrospectif “en attente“
Une nouvelle récemment publiée sur le net se prête bien à l’exploration des principes énoncés dans le billet précédent (voir «Futurs de référence: les scénarios post-rétrospectifs » ) :
Dès la rentrée scolaire 2016, le Conseil National de l’Éducation Finlandais veut privilégier l’apprentissage de l’écriture par l’intermédiaire du clavier au détriment de l’écriture manuscrite
À laquelle s’ajoute (même source)
Cette décision n’est pas une première. Depuis la rentrée 2014, 45 des 50 états américains ont remplacé l’écriture cursive par des cours sur ordinateur.
L’argument de cette révolution est limpide: on n’utilise quasiment plus l’écriture cursive… c’est vrai. La communication par l’écrit passe aujourd’hui par le clavier… c’est vrai aussi. On pourrait surenchérir en soulignant qu’un enfant apprend dans les écoles pas moins de quatre formes d’écriture différentes en tenant compte des minuscules et majuscules… quatre façons d’identifier un sens identique.
Il s’agirait donc de prendre acte d’une évolution “évidente“.
Mais en futurologie, il faut se méfier des évidences (voir « les deux enfants et les jupitériens »). Il y a guère plus de vingt ans (1993), “feu“ le Newton d’Apple se proposait de convertir à la volée l’écriture manuscrite en caractères d’impression. L’évidence qui se dessinait à cette époque n’était rien de moins que… l’opposé de l’évidence d’aujourd’hui… et il n’y a que vingt ans!
Connections & déconnections
La connexion lecture-écriture devrait avoir à composer dans l’avenir avec des transformations à deux niveaux (au moins):
- Les connexions intermodales
- La déconnexion d’usage entre textes longs et textes courtsL’articulation de ces deux familles de paramètres devrait conditionner l’avenir de l’écriture… voire «des» écritures.
Les connexions intermodales renvoient au futur de l’intelligence artificielle. Elle progresse rapidement: lecture automatique de texte écrit, écriture automatique de la parole, transferts bidirectionnels entre l’imprimé (texte) et le scanné (image), traductions simultanées … etc. On y ajoutera les domaines connexes de la reconnaissance gestuelle et surtout ceux de la reconnaissance des images (au point que le captcha, texte intentionnellement altéré destiné à identifier les robots, n’est plus considéré aujourd’hui comme un mode de protection fiable). On se penchera, à ce propos, sur l’exemple du transfert direct entre l’image et le vocal par le Fingerreader concept en cours d’étude au MIT.
En version “aboutie“ (attention voir lien), un message pourrait donc être produit de n’importe quelle manière et reçu de n’importe quelle façon selon les préférences de l’utilisateur ou les données du contexte.
La déconnexion d’usage découle de l’essor très rapide du texte court (réseaux sociaux, pratiques nomades). L’écrit y est en concurrence plus frontale avec le parlé. Ses modalités pourraient devenir de plus en plus spécifiques d’autant qu’on imagine mal que l’on puisse en rester à la frappe au doigt par triple impulsion.
La quête du « VRAI »
Les innovations majeures ont en commun la capacité à stimuler des défenses fondées sur «l’intrinsèque» des choses, autrement dit la recherche d’un «vrai» intemporel (donc évidemment traditionnel). Des arguments de ce type sont légion, par exemple, pour la défense du livre papier face aux liseuses. On va les retrouver sans surprise dans ce domaine. Selon le linguiste Alain Bentolila
La mémoire se construit grâce à l’écriture manuelle et non avec un écran …/… Il faut opposer l’effort, la gratification, la conscience de l’autre que seule permet l’écriture graphique …
On les trouve même, à l’occasion, consolidés par de l’imagerie cérébrale. Tout cela ne prouve vraiment qu’une seule chose, c’est qu’une pratique fortement intériorisée n’implique pas les mêmes connexions cérébrales qu’une activité nouvelle… ce qui n’est pas surprenant. Rouler à droite n’est sans doute pas fondamentalement plus naturel que rouler à gauche, mais les zones excitées du cerveau varieront sans doute dans les deux cas pour un anglais et un français. Bref, les capacités d’adaptation de l’humain sont immenses et la recherche de ce genre de « vrai » ne va pas mener très loin.
La question du « quoi enseigner ? »
La question que l’actualité nous pose est double: quel sera le futur de l’écriture -d’une part- et comment y préparer les enfants -d’autre part-? Elle révèle en outre certaines hypothèses cachées:
- La fin supposée de l’écriture cursive impliquerait “automatiquement“ le triomphe du clavier
- Le triomphe du clavier impliquerait “obligatoirement“ un apprentissage particulier… et précoce
Auxquelles s’ajoutent quelques questions:
- Peut-on laisser sans enseignement un domaine aussi fondamental que l’écriture et si l’on apprend plus l’écriture cursive aux enfants, que peut-on leur apprendre d’autre?
- Si l’apprentissage concerne le clavier, peut-il être orienté vers autre chose que la vitesse d’exécution?
La vitesse d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui. La vitesse de frappe, critère de performance principal des dactylos du siècle dernier, quand celles-ci effectuaient des travaux de “moines copistes“ (mise au propre de pages manuscrites), est devenue quelque peu obsolète quand c’est le plus souvent le créateur du texte qui le tape lui-même. Il ne sert plus a grand chose de taper plus vite que ses pensées ou que ses hésitations.
Le vrai point fort du clavier réside dans la simplicité des modifications, ce qui constitue un avantage considérable, mais peu lié à l’apprentissage.
L’ancien, le moderne et le … très moderne
Dans la durée, le progrès a toujours fini par privilégier deux arguments: la miniaturisation (attention voir lien) et donc… la vitesse, ne serait-ce que sur la base du «chèque en blanc temporel»: le temps gagné pour faire «autre chose».
Or le clavier “ne sera jamais“:
- ni le moyen le plus rapide de transmettre un message (la voix, la sténographie…)
- ni le support le moins encombrant pour effectuer cette opération
Tout le monde est bien conscient de ce problème, spécialement dans l’équipement nomade, et une multitudes de recherches se donnent aujourd’hui pour objectif de pouvoir se passer de cet héritier direct des anciennes machines à écrire… ce périphérique finalement très peu moderne, dont les déclinaisons, même quand elles sont astucieuses, ne semblent pas ouvrir à de nouvelles pratiques.
Peut-on imaginer s’en passer à brève échéance?
De nombreuses marques commercialisent déjà des procédés permettant de numériser l’écriture manuscrite:
Evernote, sur smartphone ou tablette, qui permet en outre d’écrire avec le doigt, IrisNote ou Staedtler sont des stylos associés à un capteur qui stocke les notes manuscrites “écrites sur papier“ puis les restituent, sous forme numérisée, à un ordinateur, un smartphone ou une tablette (… et potentiellement dans le cloud).
… Et bien évidemment l’inévitable Apple… en annonce
… Et orienté dessin, mais en couleur, ce concept en cours d’élaboration, mentionné ici, car un point fort de l’écriture cursive réside dans sa continuité de geste avec le dessin.
Il y a une dizaine d’années, ces principes avaient été explorés, mais en travaillant au niveau du papier, par Clairefontaine et son concept de Paper PC. Dans la même idée, les recherches en nanotechnologies pourraient permettre d’incorporer beaucoup d’intelligence dans le papier.
Des dispositifs tels que ceux d’Iris ou de Staedler, sans doute perfectibles, sont utilisables de façon classique sur une simple feuille de papier et le capteur-convertisseur associé, sans doute très miniaturisable, (voir le dernier né d’Intel) pourrait, à terme, être incorporé dans une montre ou dans le stylo lui-même.
Il serait donc évident que ces avancées technologiques resteront vouées à l’inutilité?
L’écriture manuscrite s’inscrit très bien dans l’absence de technologie et dans les technologies de pointe. Le clavier domine… entre les deux. Ce qui nous donne « une » raison pour qu’il règne aujourd’hui… et « deux » pour qu’il ne règne plus demain.
Revenons à la question initiale: « Le futur de l’écriture passe-t-il de façon « évidente » par le clavier ? »
Probablement pour les professionnels de l’écrit. Mais pour la saisie des notes, des schémas, des messages courts, des annotations, des mails, voire des courriers ordinaires, c’est à dire pour… presque tout le monde… y compris, en accompagnement, pour les professionnels du texte, …?
Et pourquoi ne pas terminer ce billet “post-rétrospectif“ sur une note créative.
La grande idée de la machine à écrire, reprise sous une forme différente par l’informatique, fut de faire défiler la feuille de papier sous la frappe. Un principe similaire appliqué à l’écriture manuscrite permettrait de saisir des SMS… avec un doigt… sans même un regard… sur le cadrant d’une montre.
Laisser un commentaire