reconstruire la complexité du vivant: l’autre robotique

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les deux neurones de l’escargot

 

Les chercheurs en neuroscience ont utilisé des électrodes pour surveiller l’activité neuronale d’escargots d’eau douce en quête de nourriture. Ils ont découvert que ces escargots n’avaient besoin que de deux neurones pour détecter de la nourriture et pour décider de ce qu’il fallait en faire (la consommer en cas de nécessité, l’ignorer dans le cas contraire)
Pourquoi s’intéresser à ce que l’on peut faire avec deux neurones, quand le cerveau humain en compte une petite centaine de milliards et que ceux-ci ne suffisent déjà plus pour vaincre la machine aux échecs et au jeu de Go? Repli frileux de chercheurs-loosers? Effet de mode? Ou au contraire apparition, dans le domaine de l’intelligence artificielle, de ce que les gens savants appellent un changement de paradigme?

 

Répliquer un circuit aussi simple et efficace dans le champ de la robotique pourrait aboutir à un système de prise de décision intelligent et rapide, à une simplification du processus de production et à une amélioration de la gestion énergétique.
On retrouve des motifs du même ordre dans le programme de recherche de l’Union Européenne intitulé MINIMAL  pour “Miniature Insect Model for Active Learning” qui explore notamment les capacités d’apprentissage… de l’asticot.

retrouver le “simple”

Dès l’origine, le robot a présenté deux particularités (voir: combien de temps faudra-t-il à la machine pour tuer le robot?):
  • une forme humanoïde en soutien d’une forte charge idéologique
  • une totale absence de finalité qui en a fait “le contraire d’une machine” fondée, elle, sur une fonction
Fascinée par la chimère de l’humain de synthèse, la robotique est demeurée longtemps une idéologie qui a nié à la fois la logique de l’outil et la spécificité du vivant. Ce péché originel l’a dépourvue de toute capacité à construire un cheminement progressif vers la complexité. Ce qui explique l’émergence d’un nouveau paradigme dans ce domaine qui vise à reconstruire graduellement du complexe en s’appuyant sur des éléments simples.

les concepts de l’autre robotique


le retour de la fonction

Cette modestie retrouvée face à la complexité amène notamment à tenter de répliquer le comportement des espèces vivantes qui “ressemblent le plus à des robots”, par exemple les abeilles

 

Pour produire une livre de miel, les abeilles doivent effectuer plus de 17 000 voyages, visiter 8 700 000 fleurs, le tout représentant plus de 7 000 heures de travail.
…ou les fourmis

 

Dans une société de fourmis, si chaque individu peut être qualifié de relativement primaire, la collectivité parvient à s’organiser de manière exemplaire pour se répartir les tâches et résoudre des problèmes souvent très complexes. Chaque fourmi a un fonctionnement simple et dispose seulement d’une parcelle des informations nécessaires pour résoudre le problème.
Il s’agirait de créer des robots technologiques qui s’apparentent à des “robots vivants”: une démarche a priori beaucoup plus crédible que la robotique humanoïde.

le concept d’émergence

En fait, revenir aux ordres simples – voire simplistes – pour aborder la complexité du vivant révèle implicitement une foi dans le concept “d’émergence” ou de certaines déclinaisons moins controversées de celui-ci.
Dans sa formulation la plus usuelle, l’émergence fait référence au “tout qui est supérieur à la somme de ses parties”. Le concept est controversé parce qu’il veut tout et rien dire. On s’y réfère pour poser des banalités, des approches spiritualistes, le mystère du vivant – voire pour certains celui du divin. D’où la difficulté d’en poser une définition. On lira ici (1) une approche assez complète de cette question .

 

D’un point de vue empirique l’émergence est une façon de désigner la formation d’entités complexes irréductibles
Dit autrement, l’émergence fait référence à des propriétés particulières qui apparaitraient au niveau global d’un système alors qu’elles ne sont pas présentes dans les éléments qui le composent. Il en découle une hypothèse métaphysique…

 

Elle suppose une organisation du monde selon des degrés de complexité croissante
… utile dans la mesure où ce principe métaphysique amène à une méthodologie… qui se rapproche d’ailleurs probablement de la façon dont le vivant lui-même a évolué.
Cependant, si l’émergence semble facilement identifiable “à l’analyse”, elle n’apparait pas simple à “fabriquer” ex nihilo. Créer de l’émergence est un défi et suppose d’avoir recours à des outils théoriques autant qu’à des observations approfondies.

les automates cellulaires & le jeu de la vie

Les automates cellulaires sont sans doute ce qui s’en rapproche le plus.

 

Étudiés en mathématiques et en informatique théorique, les automates cellulaires sont à la fois un modèle de système dynamique discret et un modèle de calcul. Le modèle des automates cellulaires est remarquable par l’écart entre la simplicité de sa définition et la complexité que peuvent atteindre certains comportements macroscopiques: l’évolution dans le temps de l’ensemble des cellules ne se réduit pas (simplement) à la règle locale qui définit le système. À ce titre il constitue un des modèles standards dans l’étude des systèmes complexes.
Les automates cellulaires peuvent pousser leur développement jusqu’à des niveaux de grande complexité comme le jeu de la vie”.

la robotique en essaim

L’approche de l’essaim se fonde sur des éléments simples auto-organisés sur la base de règles simples comme, par exemple, le banc de poissons et la façon dont il passe d’un comportement collectif à un autre. . L’organisation globale d’un banc de poissons en mouvement n’est le produit que des interactions simples entre voisins immédiats et ne nécessite aucune hiérarchie.
vortex_poissons
Bien plus loin sur le chemin vers la complexité, on rencontrera les termites capables de produire quelque chose d’extraordinaire: une termitière, c’est à dire une oeuvre collective structurée selon une architecture complexe, par des animaux aveugles et dotés de capacités individuelles extrêmement réduites. Le fin du fin pouvant être considéré comme ces champs de termitières magnétiques australiens , toutes orientées rigoureusement nord-sud.
termites_org
Selon Sahin (2005) et Dorigo (2013) dans un système robotique en essaim :
  • Chaque robot est autonome
  • les robots sont habituellement capables de se situer par rapport à leurs voisins les plus proches (positionnement relatif) et parfois dans l’environnement global, même si certains systèmes essayent de se passer de cette donnée
  • les robots peuvent agir (ex : pour modifier l’environnement, coopérer avec un autre robot.)
  • Les capacités de détection et de communication des robots entre eux sont locales (latérales) et limitées
  • les robots ne sont pas reliés à un contrôle centralisé
  • ils n’ont pas la connaissance globale du système dans lequel ils coopèrent
  • les robots coopèrent pour effectuer une tâche donnée. Des phénomènes émergents de comportements globaux peuvent ainsi apparaitre.

les perspectives de l’autre robotique


le modèle de l’intelligence collective

L’intelligence collective constitue un modèle plus accessible pour la réplication de l’intelligence, dans la mesure où elle tend à gommer les contradictions, paradoxes, capacités spécifiques et variations circonstancielles de celle de l’individu. Elle obéit à des principes plus systématiques, apparait moins foisonnante, moins créative, moins tributaire des sentiments et pulsions complexes. Elle peut ainsi être supposée plus facilement reproductible. Cette intelligence-là ne permettra pas de gagner aux échecs, mais pourrait accéder à des tâches inaccessibles à l’humain… comme faire du miel.

une autre façon de produire le pire ou le meilleur

L’appellation “d’objets connectés” a été un peu trop hâtivement exploitée à des fins mercantiles par les grandes firmes de l’électronique grand public. Le type de robotique qui vient d’être évoquée ici renvoie aussi à des objets connectés, mais selon une autre approche et d’autres finalités qui en font une “voie plausible”, et peut être même “la plus plausible”, de la robotique de demain.
Ces principes peuvent s’appliquer, en outre, à toutes les échelles et tout spécialement à l’échelle nanométrique

 

Des chercheurs utilisent une seule molécule d’ADN pour créer la plus petite diode du monde
Pour rappel, une diode est un dispositif qui permet la circulation du courant dans un sens, mais pas dans l’autre. Elle constitue ainsi une des bases des circuits logiques… mais transposée ici à l’échelle de la molécule.

 

la miniaturisation continue permettra des applications au niveau nanométrique, cellulaire ou moléculaire, où les méthodes d’analyse et de synthèse développées dans le cadre de la robotique en essaim trouveront leur importance, leurs nouveaux défis et leurs “retrouvailles” avec des systèmes naturels auto-organisés.
Une nouvelle façon de produire la meilleure ou la pire des choses, mais sur des bases beaucoup plus crédibles que la robotique humanoïde. Au rayon du meilleur, de possibles applications dans le domaine de la médecine ou de l’environnement. Au rayon du pire… les mêmes.

(1) JUIGNET Patrick. Le concept d’émergence. Philosophie, science et société [en ligne]. 2015.

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