Neom, la ville nouvelle voulue par le prince héritier d’Arabie Saoudite, est-elle une révolution au regard des principes avancés dans le billet précédent ?
Neom & le concept de “The Line”
les ambiguïtés du concept
- La ville linéaire “The Line” est le fer de lance médiatique du projet Neom, auquel elle emprunte fréquemment son nom. La ville nouvelle, celle qui va plus particulièrement nous intéresser ici, c’est elle.
- Neom serait, en fait, un futur état situé au nord-ouest de l’Arabie Saoudite (voir cartes ci-dessous), un état indépendant éditant ses propres lois, dont on peut penser qu’elles viseraient à “l’occidentaliser”, afin de ne gêner ni le tourisme mer-montagne (voir les iles de Sindala et la station de ski de Trojena), ni surtout les implantations d’entreprises étrangères (voir la zone d’activités flottante d’Oxagon).
- L’ensemble appartient à une thématique globale dite “Vision 2030” aux objectifs plus particulièrement économiques, et qui intègre d’autres projets.
la ville linéaire
L’idée de ville linéaire fut proposée à la fin du XIXe siècle par l’urbaniste espagnol Arturo Soria.
- La ville linéaire c’est l’urbain dans un sens, la proximité ville-campagne dans l’autre
- La possibilité d’un système de transport collectif simple, rationnel… éventuellement souterrain, éliminant l’ennemi d’aujourd’hui: l’automobile. (ci-dessous le schéma de principe (*) de la zone centrale prévue pour Neom).
“The Line” et les mécanismes habituels de l’utopie urbaine
la droite vue comme l’élément d’un langage: optimisation de l’espace-temps, parti fort, absence de compromis…
Les circulations internes s’inscriront dans un maillage délimitant des zones. Celles-ci seront affectées à des fonctions urbaines (logements, bureaux, équipements…) et généralement modélisées (densité, hauteur…) selon des configurations répétitives.
- S’approprier, en sus des arguments de la “ville longue”, ceux de la “ville haute” (voir le discours de Le Corbusier, le plan Voisin et autres projets notamment pour Paris). Mais, radicaliser dans les deux dimensions impose de raisonner la ville à une échelle considérable.
- Déjà peu explicite dans ses configurations horizontales (voir billet précédent), la dimension de l’usage est totalement escamotée lorsque le zonage classique, “basculé verticalement”, est absorbé dans le gigantisme du construit, boite noire à l’intérieur de laquelle tout est supposé possible, même si rien ne peut être représenté, même grossièrement, avant les plans d’architecte.
Sur le plan médiatique, la ville haute est autosuffisante. Elle ne réclame même pas de véritable représentation.
Et au cas où ces différents niveaux d’imprécision alimenteraient un certain scepticisme, il est précisé que la ville sera globalement gérée par l’intelligence artificielle (??). On est utopique ou on ne l’est pas.
Neom & “The Line”: que peut-on comprendre de ce projet?
la question du moteur et des locomotives
Or, Neom n’est pas annoncée comme la future capitale de l’Arabie Saoudite. Quelle sera alors sa “locomotive”?
La volonté d’un pouvoir fort est-elle suffisante pour en assurer la réussite? A priori non, si l’on se réfère à certains précédents tels que Nay Pyi Taw, au Myanmar (2005)
(*) Surgie il y a quelques années dans un coin perdu du pays, la nouvelle capitale du Myanmar baigne dans une atmosphère quelque peu mystérieuse. Cette ville étrange, dotée d’autoroutes à six voies, de statues colossales et de palais grandioses, a été bâtie au milieu de nulle part par les dictateurs birmans …/… Elle est peu visitée par les étrangers – ceux qui ont pu s’y rendre sont surtout frappés par son gigantisme et par le silence de ses rues vides.
The Line sera construite par étapes…/… module par module, de manière à répondre à la demande
Bien. Mais la demande de quoi? Les arguments touristiques semblent faibles pour alimenter une ville prévue pour accueillir un million de personnes. La demande pourrait concerner les industries de haute technologie… propres. Mais celles-là… tout le monde les veut.
Le terme de “demande” fait directement référence aux moteurs de l’économie libérale, ce que confirme une introduction en bourse, pilotée par la banque Lazard, prévue pour Neom dès 2024 (source Bloomberg).
(*) Ben Salmane, a dévoilé les plans de Trojena, la toute première station de ski en plein air de la région du Golfe qui, contrairement aux Alpes européennes, peut être atteinte par près de 40% de la population mondiale en quatre heures.
… qui pourrait donc s’en retirer… toujours en quatre heures… sans s’être beaucoup préoccupée des immeubles miroirs de “The Line”. En outre, 40% de la population mondiale… n’est-ce pas beaucoup pour une seule station de ski ?
les dérives les plus probables
En 2015 la communauté accueille 2 500 personnes sur les 50 000 prévues initialement
(*) Ces dernières années, les pays du Golfe ont multiplié les projets de villes nouvelles ultra-technologiques. Beaucoup ont peiné à trouver des financements et se sont retrouvés au point mort après le début des chantiers, c’est le cas de Masdar City à Dubaï, l’île Saadiyat à Abu Dhabi, la Blue City à Oman ou la Pearl City au Barhein. « Nombre de ces projets sont minés dès le départ par des logiques de spéculation et de volonté de gain à court terme », confie au Monde Diplomatique un architecte français établi à Dubaï.
Car “la demande” dans l’économie mondialisée actuelle implique gain rapide et spéculation… ce qui n’est pas directement compatible avec l’échelle-temps de “l’immobilier lourd” d’une ville nouvelle.
Aujourd’hui le mètre carré à Chandigarh est un des fonciers les plus chers de l’Inde
- Astana (Kazakstan)
L’arrivée massive et soutenue de nouveaux habitants (fonctionnaires et cadres d’entreprises privées originaires d’Almaty et mutés à Astana mais aussi citoyens d’origine modeste attirés par les opportunités d’emploi créées par le développement de la ville) a entraîné une hausse fulgurante des loyers et du prix de l’immobilier.
Brasilia est maintenant la quatrième plus grande ville du pays et abrite plus de 2,5 millions d’habitants, mais moins de 10% sont des résidents de Brasilia. La majorité vit dans 27 villes satellites qui se sont développées de façon biologique au fil du temps, voyageant dans la ville pour travailler et rentrant chez elle la nuit.
créer une ville aujourd’hui
(*) Une ville nouvelle est liée à une impatience
Ainsi, les travaux de The Line “auraient” déjà débuté , bien que rien n’y soit vraiment défini … sauf l’aéroport… et les grandes idées. En l’état actuel, elle demeure surtout un objet de communication appuyé sur une vidéo promotionnelle.
En fait, Neom pourrait servir à banaliser un discours empreint de modernité, susceptible de changer l’image de l’Arabie Saoudite elle-même… même en cas d’échec de la ville nouvelle sous sa forme annoncée.
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