L’idée de fidélité a beaucoup servi depuis Pénélope. On peut s’étonner de la longévité d’une notion aussi paradoxale. Mais pourquoi disparait-elle aujourd’hui?
Qu’est-ce que cela suppose et qu’est-ce que cela implique?
à la recherche de la fidélité
Le paradoxe fondamental de la notion de fidélité est lié au fait qu’elle est une problématique de l’immuable. En cela elle est fondée sur un biais cognitif, car l’immuable n’existe pas. On le présuppose chez soi, on l’escompte chez l’autre… tout en prônant les capacités d’adaptation à un monde qui change. L’autre n’est pas supposé changer. On s’attend à constamment le retrouver tel qu’il était, fidèle aux mêmes personnes, aux mêmes groupes, aux mêmes idées… état dans lequel nous estimons nous trouver nous-mêmes.
Pénélope aurait-elle été perçue comme l’icône de la fidélité si Ulysse l’avait retrouvée acariâtre et en surpoids? Être fidèle consiste à être un invariant de soi-même. La fidélité fonctionne comme une consolidation de l’identité.
C’est une notion tentaculaire. On peut être fidèle à une personne, à un groupe, à des principes, à des idées. Or, une de ces fidélités peut couramment se trouver en contradiction avec une autre. Il y a donc beaucoup de façon d’être fidèle… ou de ne pas l’être.
(*) Un vieillard est-il le même individu que l’enfant, l’adolescent et l’adulte d’âge mûr qu’il fut, quand peu de choses ont survécu de son aspect physique, de son caractère, de ses capacités et de son comportement?
À quoi sommes-nous supposés être fidèles quand nous changeons, quand les objets de nos fidélités changent… et que ces changements ne sont pas sous notre contrôle?
Si l’identité d’une personne est pleine d’incertitudes (voir: « l’identité: les futurs avatars d’une énigme philosophique»), que dire de l’identité d’une idée?
Un immuable, quel qu’il soit, s’apprécie à partir d’un certain état de référence plus ou moins arbitraire. C’est en cela que la fidélité se distingue de la loyauté, qui elle s’applique à un engagement plus formel. Les deux notions s’emploient cependant fréquemment l’une pour l’autre. En l’occurrence, la loyauté – tout comme le devoir – est aussi en voie de disparition.
de la réduction du concept à sa disparition
Ainsi en est-il de la fidélité conjugale (ou assimilée) qui, liée à un engagement à caractère formel, relèverait plutôt de la loyauté. En outre, le contexte conjugal a banalisé une version “réduite” de la fidélité, celle qui n’a trait qu’à la dimension sexuelle de l’engagement.
Or, il se trouve que c’est précisément sous une forme “réduite” que survit la fidélité.
- Les religieux font des références continuelles aux “fidèles” et aux “infidèles”… mais pas à la fidélité.
- Dans le monde du marketing, on s’efforce de “fidéliser”. Mais dire «fidéliser», c’est commencer à parler de tout autre chose que de «fidélité» dans son sens de valeur morale. “Fidéliser” en appelle à une action simple (un achat, un “j’aime”…) susceptible de bénéficier d’une petite récompense.
Tout indique que la profondeur et la complexité de la notion de fidélité ne sont plus tenables aujourd’hui et qu’il soit devenu nécessaire de l’amputer de plusieurs de ses dimensions pour pouvoir continuer à exploiter au moins une partie de ce qu’elle contient… au détriment de ce qu’elle ne contient plus… et qui était probablement l’essentiel.
Mais pourquoi la fidélité n’est-elle plus tenable aujourd’hui?
- Tout d’abord parce que les groupes comme les individus sont tellement sollicités par des avis, des influences, des news fausses ou vraies, des leaders d’opinion plus ou moins autoproclamés, que “l’état de référence destiné à ancrer “l’immuable” est de plus en plus difficile à définir… à l’instar de l’identité elle-même . Du reste, un revirement rapide n’est pas considéré comme de l’infidélité, mais comme de l’instabilité. Il faut qu’un état de référence ait eu le temps de s’installer pour pouvoir parler de fidélité. Or, ce temps, il l’a de moins en moins.
- La fidélité à une idée suppose la possibilité de circonscrire l’identité d’une idée, ce qui, en dehors d’une grave dérive, est difficile.
- La complexité, sous toutes ses formes, est de moins en moins appréhendable (voir: “L’intellect humain est-il voué à l’affaiblissement?”) – (voir aussi “quel est le futur de cet homme ?”)
- L’image de l’immuable, consubstantiel à la fidélité, s’est considérablement dégradée. L’immuable aujourd’hui, c’est la routine… et personne n’en veut plus, alors que dans de nombreux milieux elle fut, par le passé, presque un idéal. Le mirage, surtout chez les jeunes, est de vivre plusieurs vies (voir https://www.deskare.io/lexique/slasher).
les conséquences de la disparition
La fidélité s’inscrit dans une problématique de la confiance. C’est ce qui fondait la confiance d’aujourd’hui sur celle d’hier.
Or, il s’agit sans doute de la seule et unique façon d’ancrer une réelle confiance.
(*) Elle est fondamentale, car, sans confiance, il serait difficile d’envisager l’existence même des relations humaines – des rapports de travail jusqu’à l’amitié ou bien l’amour. Sans confiance, on ne pourrait même pas envisager l’avenir et chercher à bâtir un projet qui se développe dans le temps.
Le présupposé de la fidélité est ce qui permet de travailler dans la durée, voire même de simplement l’appréhender. Sa mise en doute amène à la difficulté – voire l’impossibilité – de raisonner un projet collectif… qui suppose, à la fois, une fidélité aux personnes « et » aux idées.
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