logement et futurologie
Le logement est une thématique très particulière de la futurologie… tellement particulière d’ailleurs qu’elle en est généralement exclue. Car si l’équipement en smartphones de la planète peut ne prendre que quelques années, la durée d’un renouvellement complet du parc est de l’ordre du siècle (environ 1/3 du parc actuel antérieur à 1949)… et la technologie n’y changera pas grand-chose.
Produit extrêmement réglementé, secteur économique de première importance en terme d’emplois directs et indirects, poste d’endettement et de dépense prépondérant des ménages, intimement lié aux légitimités les plus fondamentales (propriété, famille…), placement financier de référence, déterminant principal des formes urbaines, le logement est un “point dur“ de l’évolution sociale… ce qui le rend peu attractif pour les futurologues.
Pourtant la société évolue… et même rapidement.
logement: quelques caractéristiques structurelles
- Les normes d’habitabilité s’avérant extrêmement rigides, l’évolution principale du logement s’opère donc par une modification des usages à enveloppe constante.
- Cette enveloppe s’envisage aussi dans les relations du logement à son extérieur: en 2010, les maisons individuelles représentaient 57% du parc de logements. Il faut donc prendre ses distances avec la vision très “urbaine“ qui s’insinue facilement dans l’analyse, surtout si l’on tient compte que les petites villes et les grands ensembles de banlieue constituent une partie significative de ce qui reste.
Une troisième caractéristique structurelle mérite un traitement particulier.
De tout temps, les zones où l’offre d’emplois était forte ont attiré les travailleurs, donc augmenté la demande de logements, donc fait monter leurs prix. Par le passé (et de nouveau aujourd’hui – exemple 01 – exemple 02) les cités ouvrières construites par les employeurs ont tenté de réguler ce phénomène qui perturbait à la fois la question salariale et le fonctionnement des entreprises.
La généralisation de l’automobile a fait passer ce phénomène au second plan, mais les contraintes de plus en plus nombreuses et coûteuses qui s’appliquent à son utilisation (aujourd’hui et très probablement demain) vont le faire ressurgir (les loyers pratiqués à Paris sont à cet égard significatifs).
… a côté deux frères ayant chacun leur femme et trois enfants, en tout dix personnes, ont habité une chambre de 3m*5m éclairée par une seule fenêtre. Tout près de là, une chambre assez vaste et assez bien éclairée servait de logement à neuf personnes …
Le retour à des conditions de logement comme celles décrites ici par Jules Simon dans le courant du XIXe est-il possible dans le futur? Avant de répondre à cette question, notons que deux phénomènes s’y révèlent:
- le besoin de travail prédomine sur les besoins du logement… surtout quand le travail est rare
- la réduction de la surface par personne répond automatiquement à la pression sur les loyers.
Nous allons y revenir avec l’émergence actuelle de la colocation.
Une dernière caractéristique doit être formulée pour clore ce chapitre: à la différence du XIXe siècle, la norme de logement est aujourd’hui extrêmement formalisée dans la réglementation et extrêmement imbriquée à de multiples légitimités, donc très sensible politiquement. Sa remise en cause ne pourra s’opérer que par l’émergence de nouveaux concepts “concurrents“ portant d’autres noms.
l’évolution du logement à enveloppe constante
La répartition jour-nuit des espaces prévue dans la formulation initiale de la norme de logement a rapidement explosé. Les chambres des enfants sont devenues des “micro-logements“ intégrant bureau, jeux, salon (réception, musique…). L’évolution familiale a généré une forme de cohabitation qui a amené les jeunes à organiser un espace de vie presque complet dans une surface restreinte.
Les pièces spécialisées (sanitaires, cuisine) liés à des infrastructures de fluides et d’évacuation sont demeurés des “points durs de confort“. Or, ce sont précisément eux qui sont remis en cause par l’approche collaborative.
le logement et l’idéologie collaborative
Le partage, dans une économie globale qui ne partage pas, permet aux prix de demeurer très élevés, voire d’augmenter au-delà des butoirs de la solvabilité du plus grand nombre.
Le covoiturage, la colocation, le coworking permettent de maintenir au plus haut les prix des carburants et des péages d’autoroute, les loyers des logements et des locaux professionnels. Ils dérèglent le rapport offre-demande qui devrait réguler les prix… au bénéfice de l’offre.
Dans le logement, l’évolution vers le collaboratif permet (et même, valorise!) une réduction de la norme, par mutualisation des pièces humides (cuisines, sanitaires, linge…).
Dans ce cadre, les “unités d’habitation“ sont, en outre, séparées par du cloisonnement et plus par du gros-œuvre, d’où dégradation des conditions acoustiques… donc des rapports de voisinage (l’inverse du but recherché).
L’effet global “absolument certain“ du collaboratif: payer de plus en plus cher des espaces de moins en moins équipés. La contrepartie “très incertaine“: une sociabilité supérieure, une entraide possible.
Alors que la “vraie idée“ serait de pouvoir disposer d’espaces communs “en plus“ de logements bien équipés… ce qui, en limitant les sources de conflit, donnerait leurs chances à de meilleurs rapports de voisinage. Mais ce n’est pas la tendance et cela risque fort de ne pas l’être avant longtemps.
La norme de logement pourrait donc être fortement altérée par l’approche collaborative.
Celle-ci ouvre la voie, comme évoqué ci-dessus, à de nouveaux concepts concurrents, qui, quels que soient les noms qu’ils prendront (résidence, centre d’accueil, pension, colocation … etc) et les connotations associées à ces noms (assistance, collaboratif, temporaire…) consisteront à extraire les surfaces spécialisées de l’espace du logement en les mutualisant… soit le retour sur l’acquis principal du mouvement hygiéniste qui avait élaboré la norme initiale.
le logement et l’idéologie numérique
Un second acquis fondamental de la norme d’habitabilité est l’impératif de l’éclairage naturel. Peut-il tomber lui aussi ?… Et comment?
- Par les habitudes prises dans d’autres domaines, notamment les espaces de travail
- bureaux en open-space
- grands équipements
- Par l’usage établi dans le logement
- installation de chambres en alcôve
- profil de logement “en profondeur“ à partir d’une seule façade
- Par l’installation progressive de l’idée
- aménagement de combles sous éclairage zénithal (la lumière… mais plus la vue)
- par le haut: modèle du loft… puis sa réduction progressive
- par le bas: isoler un lit par un écran “temporaire“ (rideau, paravent, simili-cloison)
Mais c’est l’émergence d’une certaine idéologie numérique qui pourrait peser de façon décisive sur cette évolution, celle qui tend à gommer les limites entre le réel et le virtuel, alimentée par de multiples avancées technologiques (visite virtuelle, espaces immersifs, aujourd’hui poussée jusqu’à la présence holographique)
Par elle se trouve légitimée l’idée d’une équivalence entre la matérialité et sa représentation. Elle bénéficie de l’aura de la modernité.
Des systèmes appliquant ce principe au logement existent déjà sous forme de fenêtre et de dômes simulés, intégrant même, pour les plus évolués, du mouvement et des variations de lumière.
Le scénario d’une métamorphose possible apparaît.
L’idée s’installe portée par une demande sur les systèmes perfectionnés… qui se simplifient un peu… puis un peu plus… puis qui disparaissent… laissant des pièces minuscules et aveugles… mais évidemment moins chères.
Il faut considérer que l’élimination de l’éclairage naturel autorise de nouvelles réductions de surface (fractionnement de pièces existantes), mais surtout, que le “petit logement“ est très contraignant en terme de gabarit d’immeuble quand l’éclairage naturel est requis. Faire tomber cette contrainte c’est pouvoir installer des logements dans n’importe quelle configuration… dans n’importe quelle friche immobilière.
le logement et le télétravail
Le péri-urbain pavillonnaire semble voué à une extinction rapide face aux contraintes des déplacements et à son éloignement des zones attractives où se concentrent tous les types d’opportunités. Son salut ne paraît dépendre que du développement du numérique et plus spécialement du télétravail.
Le télétravail correspond actuellement à une demande des salariés, de nombreux sondages le confirment.
Il a potentiellement vocation à jouer le rôle régulateur qu’a joué l’automobile sur la dérive des coûts associée à l’attractivité des zones d’emplois. Il est compatible avec le logement individuel, en moyenne plus grand que son homologue en collectif. Il peut s’inscrire dans une redéfinition de l’habiter, globalement centré sur le numérique (VPC, réseaux sociaux, audio-visuel, visites virtuelles, MOOC … etc), voire sur une forme de “collaboratif de village“, plus particulièrement axé sur l’entraide et l’économie de déplacements.
Mais l’éternelle question du rapport de forces dans le monde du travail va décider de tout. Si l’emploi est rare, l’employeur sera en mesure de n’accepter le télétravail qu’en échange d’un niveau de contrôle très élevé des activités du télé-travailleur.
La localisation n’aurait plus d’importance, mais la vie privée n’existerait plus ainsi peut-être que les limites de la journée de travail.
En guise de conclusion provisoire
L’analyse du futur du logement révèle-t-elle des mécanismes susceptibles d’avoir une portée plus générale?
Les principes évoqués ici (collaboratif, virtuel, télétravail), amènent à postuler qu’une dégradation des conditions de vie dans le futur pourrait ne s’appuyer que sur des mécanismes librement consentis… voire revendiqués… par ceux qui sont voués à les subir.
… et cela a peut-être une portée générale.
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