qui seront les réfugiés environnementaux et où iront-ils?

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De la conquête initiale de la planète à l’Histoire contemporaine et jusqu’aux grands classiques de la science-fiction, un invariant: les migrations humaines.

Dans ce domaine, les migrations environnementales s’annoncent comme le phénomène le plus probable, le plus systémique et le plus persistant des prochaines décennies. Quelles vont être les spécificités de ces nouvelles “principales” migrations?

caractériser les migrations environnementales du futur


une approche typologique

Les migrations environnementales seront-elles des migrations d’attraction ou de répulsion.
  • Quand l’attraction est dominante, l’émigration découle d’un choix “mûri”, débouchant sur une stratégie. Elle implique une programmation – donc un certain laps de temps – pour la mobilisation de moyens logistiques et financiers. Elle suppose une vision généralement idéalisée du lieu de destination. Actuellement, il s’agit essentiellement de migrations économiques. La variante “environnementale” supposerait, à priori, la foi ( à tort ou à raison) en l’existence de lieux hospitaliers protégés des rigueurs du changement climatique.
  • Dans le second cas, elle est liée à une urgence, un “réflexe” de survie et s’assimile à une fuite. On la retrouve aujourd’hui sur une palette de motifs allant de la guerre à diverses catastrophes naturelles. La variante “environnementale” supposerait, à priori, l’émergence “rapide” de conditions de vie inacceptables.
Cette esquisse de typologie, bien que grossière, pourrait permettre de raccorder les principaux flux migratoires aux manifestations les plus probables du changement climatique.

une approche spatiale

La question-titre nous amène, par ailleurs, à imaginer l’occupation future de la planète dans vingt ans, cinquante ans, voire davantage, à partir de cette représentation de la situation actuelle. Cette carte amène deux constatations immédiates:
  • La planète est aujourd’hui principalement occupée par des déserts.
  • Les “déserts froids” sont actuellement les plus étendus du monde: l’Antarctique et l’Arctique représentent, à eux deux, environ 28 millions de km2, soit trois fois la superficie du Sahara. Leurs réchauffements particulièrement rapides pourraient progressivement les rendre en grande partie habitables… voire même climatiquement accueillants.
Conclusion apparemment logique: à terme, le changement climatique va ouvrir de nouvelles immensités à l’occupation humaine. Même la démographie pourrait ne plus être un problème. Les choses risquent cependant d’être plus complexes.

remarques & questions sur les relations habitats-environnements


où vont se situer les environnements invivables?

Un préjugé bien installé dans la pensée occidentale est que ce sont les régions les plus difficiles à vivre aujourd’hui qui vont devenir les plus invivables demain. Cette idée nourrit le fantasme de flux migratoires ininterrompus en direction des régions vouées à demeurer “les moins inhospitalières”, c’est-à-dire… les nôtres. L’origine comme la destination des flux seraient d’ores et déjà parfaitement établies. Or, si les régions actuellement les plus déshéritées vont sans doute se retrouver en première ligne, il serait risqué d’en tirer trop vite ce genre de conclusions.
(*) Les événements météorologiques extrêmes récents seraient liés à des modifications des oscillations du courant Jet …/… Des inondations dévastatrices ont détruit des villes en Allemagne et en Belgique. Une vague de chaleur impitoyable a grillé l’ouest des États-Unis et le Canada. De fortes pluies ont paralysé un pôle industriel chinois abritant 10 millions de personnes. Ces récents phénomènes météorologiques sont intensifiés par le changement climatique qui selon certaines études influencerait les oscillations du jet-stream.
Les transformations des courants-jets (vents planétaires de très haute altitude) impliquent des conséquences complexes et pour l’instant difficiles à prévoir, dont on trouvera une excellente présentation ici. Encore faut-il ajouter à ces indéterminations celles qui sont induites par les phénomènes ENSO (connus sous les noms d’El Niño et El Niña)… et encore bien d’autres comme les effets locaux de l’élévation du niveau de la mer, le ralentissement des courants marins ou la salinisation des sols . Les futures catastrophes d’origines climatiques ne sont donc pas si faciles à circonscrire dans leurs localisations.
Elles ne le sont pas non plus dans leurs durées critiques.
Même au Qatar, où les températures d’été peuvent dépasser assez couramment les 45°, on bénéficie de nuits… un peu moins chaudes et de conditions plus douces plusieurs mois par an. Dans nombre de régions, le réchauffement climatique pourrait n’induire “directement” que de “l’invivable temporaire”: les autochtones pourraient ainsi se persuader qu’il faut “seulement”… “tenir le coup”… pendant des périodes de durées variables. Des méthodes, équipements et bricolages divers et variés pourraient ainsi voir le jour, à l’instar d’immenses régions actuelles paralysées par la neige plusieurs mois par an. À partir de quand se déclencherait alors la décision de migration… et d’ailleurs se déclencherait-elle?

quand l’environnement hostile… ne dissuade pas

Au Congo, la ville de Goma s’étale au pied du Nyiragongo, un des volcans les plus actifs et les plus imprévisibles du globe, qui la détruit d’ailleurs en partie périodiquement (2002 – 2021). Pourquoi ses habitants n’émigrent-ils pas? («En 2020, la population soumise au risque a plus que doublé, dépassant 1,5 million d’habitants»).

quand l’environnement difficile… attire

Une interprétation un peu hâtive des projections climatiques amènerait à penser que les classes les plus favorisées auraient vocation à occuper les régions demeurées les plus hospitalières. Cela pourrait cependant ne pas être le cas.
(*)La combinaison d’humidité et de température qui se produit en été dans les pays du golfe Persique est l’une des pires au monde.
Dubaï:
(*) Les étrangers particulièrement fortunés font leur retour dans l’émirat depuis quelques mois, attirés par de nouveaux avantages. Rarement, les agences immobilières de luxe n’avaient connu une telle demande …/… À la différence des précédentes, cette nouvelle vague d’expatriés arriverait, selon lui, aux Émirats arabes unis pour du long terme: les gens veulent “y vivre réellement, avec leur famille”. Ils viendraient en grande majorité des pays les plus riches d’Europe – la Suisse, le Royaume-Uni et l’Allemagne en tête –, mais aussi des États-Unis et, dans une plus petite proportion, de Singapour et de Hong Kong.

de l’environnemental à l’économique: la question foncière

Les régions en voie de désertification “climatique” vont voir le prix du foncier s’effondrer. Aubaine pour les pauvres? Pas du tout, comme le montre l’exemple de la Patagonie.
(*) Dans les provinces de Santiago del Estero et du Chaco (nord), l’hectare vaut le prix d’un hamburger.
(*) Grande comme deux fois la France, très peu peuplée (à peine 4 habitants au km2) et longtemps difficile d’accès, cette terre lointaine …/… est devenue le nouveau refuge des grandes fortunes internationales. Ils y ont acheté, à très bas prix, d’immenses propriétés (des dizaines de milliers d’hectares) pour développer des projets uniques: des stations de ski privées, sans remontées mécaniques, juste avec des hélicoptères et de grands hôtels.
Ces immensités existantes – ou en devenir (voir plus haut) – intéresseront aussi, et même surtout, les grandes entreprises agricoles ou forestières à l’instar de l’Amazonie actuellement.

l’artificialisation de l’environnement

L’environnement de demain pourrait ne plus être une donnée, mais un produit… ce qui est, en outre, déjà une réalité.
(*) Au Qatar, les températures de plus en plus chaudes mettent en danger l’intégrité physique de ses habitants. En réponse, le pays a pris une décision radicale : installer des climatiseurs partout… même à l’extérieur.
(*) Un hôtel de Dubaï a prévu de construire en 2010 une plage… climatisée
Plus radical encore:
(*) Des milliardaires de la Silicon Valley rêvent de créer des îles artificielles indépendantes des États, leur permettant d’échapper aux conséquences du changement climatique.
Encore plus près de la SF (*):
Et l’on ne parle même pas du recours à la géo-ingénierie. En outre, ces îles de milliardaires conçues en environnements totalement artificiels, verdoyants et rafraîchis, ne seraient même plus tenues d’être implantées au milieu de l’eau. Elles seraient sans doute rendues inaccessibles dans les environnements les plus hostiles afin de protéger les occupants des tumultes et révoltes qui feraient rage dans le reste du monde.

On assiste aujourd’hui à une confiscation progressive de la haute technologie par les hyper-riches, phénomène que l’on retrouve, en dehors des évocations ci-dessus, dans le tourisme spatial, par exemple. Ceci pourrait être le prélude à une révolution économique où la grande consommation de masse que l’on connait serait remplacée par la petite consommation de riches (sociétés ou particuliers), constituée de produits à très forte marge, débités en séries restreintes. (voir «La société de consommation: une parenthèse historique?»)

une quasi-certitude concernant les migrations de demain


Qu’elle soit celle des riches ou celle des pauvres, l’occupation de la planète sera sans doute moins conditionnée par l’élévation des températures que par un de ses effets induits les plus directs: la disponibilité en eau. Que celle-ci soit plus ou moins due à des conditions naturelles, technologiques ou … hyper-technologiques, c’est l’eau, celle qu’on s’évertue à chercher sur Mars comme condition du vivant, qui dessinera les pleins et les vides possibles de la répartition humaine sur la planète. Ce qui est de nature à tout changer dans le futur des migrations.

question posée et développée dans un précédent billet

Imaginez, une ville à sec…sans eau… du tout.
Boisson, nourriture, hygiène personnelle… évacuation des eaux grasses, nettoyage des rues… puanteur…ambiance de guerre civile… émeutes… incendies … ultimes réserves mises à sac… trafic d’eau non traitée… maladies …marées humaines en direction des campagnes …

On trouvera dans le billet les raisons qui rendent ce scénario tout à fait crédible … un peu partout sur la planète… et ce dès maintenant… à plus forte raison, dans le futur.

L’immense majorité des migrations actuelles (les 3/4 du milliard de migrants actuellement estimé) sont de type “exode rural”. Elles sont locales et dirigées, non pas vers des espaces libres, mais vers des espaces déjà saturés: les grandes villes les plus proches (l’agglomération de Lagos, au Nigéria, comptant environ 23 millions d’habitants, voit sa population augmenter chaque année de presque 300 000 habitants).
Il est probable que les villes vont tendre à s’accaparer les réserves d’eau disponibles au détriment des campagnes environnantes radicalisant le phénomène. Il est tout aussi probable que les plus riches tendront aussi à s’approprier l’eau des villes lorsque celle-ci deviendra plus rare.
Que se passera-t-il lorsque c’est la ville elle-même qui ne disposera plus de réserves d’eau suffisantes: paniques collectives, émeutes, fuite… de millions de personnes asséchant tout sur son passage … etc
Ce qui sera de nature à accélérer l’émigration des très riches… vers les déserts les plus hostiles où ils remplaceront… les plus pauvres.

l’eau et les autres affrontements de demain

(*) Le Moyen-Orient, une région globalement aride, mais non dépourvue d’eau, ce qui fait de son accès un enjeu.
Conflits inter-pays
(*) Les eaux venues des plateaux éthiopiens représentent 86 % de l’eau consommée en Égypte et 95 % en période de crue…/… Le projet de barrage de la Renaissance a donc engendré de vives tensions avec le gouvernement du Caire.
Conflits inter-régions: l’Iran
(*) Des milliers de personnes d’Ispahan, des agriculteurs de l’est et de l’ouest de la province, se sont rassemblées (…) avec une revendication principale : faire couler l’eau dans la rivière.

en guise de conclusion provisoire


Les migrations environnementales du futur sont envisagées aujourd’hui selon une logique d’observateur: la nôtre. Elles sont perçues comme les conséquences “directes” d’un réchauffement de la planète que l’on peut lire à partir des courbes de température et de leurs extrapolations. Les populations les plus menacées sont ainsi supposées se livrer au même type d’analyse et ainsi décider de partir une fois atteint un certain point de la courbe. D’où l’idée d’une migration réfléchie… d’une migration d’attraction… et vue d’ici, d’une migration prévisible.
Mais contrairement à une élévation progressive des températures, le manque d’eau – conséquence indirecte du réchauffement – est une menace immédiate pour la vie. La résilience de la population à ce type d’agression sera extrêmement faible. On peut en attendre des migrations de fuite… soudaines et massives, car issues des villes.
  • Le monde est désormais urbain, construit sur une concentration autour de l’idée, plus ou moins fictive, d’abondance. La ville est très peu adaptée à la pénurie.
  • L’eau est stockable donc susceptible d’appropriation, voire de destructions accidentelles ou volontaires.
  • L’eau va multiplier les urgences aux quatre coins du monde. L’instabilité va tendre à devenir globale. Les solidarités vont partout s’éroder.
  • Les migrations environnementales vont elles-mêmes être assimilées à des catastrophes, et ce, dès le voisinage immédiat de leurs points de départ.

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