la tyrannie du stockage: le futur d’un invariant de l’histoire

Classé dans : à partir de l'économique | 0

Guerres et crises ramènent aujourd’hui au premier plan la problématique multimillénaire du stockage, qui pourrait bien réorienter notre futur de façon inattendue.

À l’articulation du besoin, de la propriété, du risque et du pouvoir, le stockage a de tout temps déterminé les échanges et les pratiques sociales. C’est par lui que les chasseurs-cueilleurs sont devenus sédentaires. Des richesses, des inégalités, des conflits en ont découlé jusqu’à ses déclinaisons modernes où nous le retrouvons derrière les notions de “marché” et de “monopole”. Nous associons ainsi assez spontanément diverses déclinaisons du stockage aux grands problèmes de notre époque.

Pourtant c’est de façon indirecte qu’il pourrait déterminer encore plus profondément notre avenir.

le stockage et ses métamorphoses


À l’exception sans doute du pouvoir religieux, pour lequel celle-ci finit généralement par exister, mais comme une dérive, aucun pouvoir n’a jamais pu s’exercer sans être lié à une forme d’accumulation, qui en est à la fois la finalité et le moyen, qu’il s’agisse de ressources humaines, minérales, technologiques ou financières. Dans ce registre, certaines évolutions se révèlent aujourd’hui très brutalement au travers de diverses crises: gaz de Russie, microprocesseurs asiatiques, Big Data, céréales, terres rares, et même… migrants.

Tout est en voie d’être pensé comme objet possible d’un stockage. Tout stockage est raisonné comme source potentielle d’un pouvoir, ce qui l’amène – naturellement oserait-on dire – à se vouloir international et monopoliste.

Quelques remarques préalables:
  • Les grands stockages internationaux concernent de façon croissante des produits non périssables. Ils échappent ainsi aux vieux principes économiques d’autorégulation des prix qui leur étaient associés.
  • Les stockages d’origines naturelles – dits “ressources” – construisent de façon croissante leur valeur à partir de technologies de plus en plus élaborées et spécialisées, dont les exigences en matières premières sont de plus en plus spécifiques. (terres rares, silicium de qualité électronique …)… ce qui amène mécaniquement à une raréfaction des ressources “effectivement demandées” et par là d’autant plus faciles à monopoliser. La Chine produit ainsi les deux tiers du silicium consommé dans le monde et 85% des terres rares.
    (*) Bien qu’il existe de nombreux gisements de terres rares dans le monde, ils ne sont pas (encore) exploités, ce qui explique la mainmise de la Chine sur ces ressources. Or, il faut environ 25 ans entre le début d’un projet de mine et le début de son exploitation.
  • Les monopoles sont alimentés par leurs futures victimes en ce sens que celles-ci leur délèguent très généreusement les consommations de ressources et les productions de nuisances environnementales associées aux phases préalables des processus, comme dans le cas des terres rares ou du silicium.
(*) Produire du silicium de qualité électronique consomme 160 fois plus d’énergie que du silicium de qualité métallique

implications possibles de cette tendance


Que peut-on faire “sans stockage”? Finalement pas grand-chose… au moins dans la durée. Ce qui donne des accents de fatalité aux dérives monopolistes actuelles.
(*) Les difficultés pour s’approvisionner en lithium, nickel, manganèse ou cobalt pourraient ralentir le passage à la voiture électrique, rendre les véhicules plus chers et menacer les marges bénéficiaires des entreprises …/… En un an, le prix du carbonate de lithium, qui provient principalement d’Australie et du Chili, a plus que doublé …/… et pour le cobalt, dont les plus grands gisements se trouvent en République démocratique du Congo, une augmentation du prix est également attendue.
Mais souvenons-nous: faire prendre du retard à une innovation, même initialement très probable, peut déboucher sur sa liquidation pure et simple.
La tyrannie d’un monopole induit, presque automatiquement, des stratégies de contournement. Mais en accédant au niveau planétaire, le monopole change de nature au sens où il est supposé asservir des consommateurs… eux-mêmes puissants… en tout cas suffisamment pour orchestrer l’émergence d’authentiques alternatives. La logique monopoliste pourrait ainsi se retourner contre elle-même, transformant profondément les mécanismes dominants de l’économie actuelle.

Ce qui pourrait rendre plausible un glissement mondial très progressif – et ainsi peu lisible dans un premier temps – vers des produits de substitution et une valorisation de technologies moins optimisées, s’appuyant sur des ressources moins rares et une attitude plus distanciée vis-à-vis des approches classiques de la “performance”. Ce qu’il advint du vol commercial supersonique (mentionné ci-dessus) en constitue un bon exemple.

En marge du stockage de produits essentiels tels que l’eau, cette problématique pourrait amener une révolution dans la pensée du futur qui s’appuie de longue date sur les possibles de laboratoire les plus avancés.

un rêve d’écologiste?… peut-être…


Mais seulement “peut-être”… car “les possibles de laboratoire les plus avancés” concernent également les alternatives aux sources d’énergie non renouvelables et polluantes. Appuyées sur des principes technologiques plus “faibles”, les possibilités de substitution à grande échelle, déjà discutables et discutées, pourraient s’avérer de moins en moins crédibles.

Autour du stockage pourraient bien être renvoyées dos à dos les grandes pensées du futur actuelles … pensée technophile des uns et pensée technophobe des autres au profit de … quelque chose de nouveau, qui émergerait sans doute… “tout seul”… dans les failles du paradigme actuel… à la manière des révolutions scientifiques.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *