Pourtant…
… rien ne semblait plus facile à exploiter en numérique que du texte… et rien ne semblait plus inadapté à notre époque que le livre traditionnel.
(*) Outre la déforestation, la pollution est un sérieux problème. Des agents de blanchiment à base de chlore sont utilisés. Ces derniers libèrent des matières toxiques dans l’air, l’eau et le sol, ce qui fait de la papeterie la troisième industrie la plus polluante …/… La production demande aussi une quantité considérable d’eau pour l’extraction des fibres de bois …/… L’industrie papetière est aussi une grande consommatrice d’énergie.
Coûts environnementaux auxquels il convient d’ajouter ceux liés à l’impression, au façonnage, à l’emballage et aux multiples séquences de transport. (source)
Coûts environnementaux auxquels il faut encore ajouter ceux de l’encre utilisée pour l’impression qui est une pâte épaisse qui contient des colorants, des huiles, des essences, des alcools, des résines. Même l’encre végétale «contient des résines alkyle et phénoliques» (*)
Sur la base de ces éléments, quel prospectiviste aurait misé sur la pérennité du livre “traditionnel” … au moment des premières émergences d’alternatives numériques… il y a 50 ans (*)?
quelques postulats pour la prévision?
Le futur ne va pas se construire de façon homogène autour d’une idéologie qui se voudrait globale.
Il s’agit ici de “l’idéologie numérique”. “L’intelligence artificielle” ou “l’écologisme” pourraient, par exemple, jouer un rôle similaire. Ainsi, le glissement vers le numérique perçu comme une fatalité, annonçait le futur du livre sans qu’il parût nécessaire de se pencher sur les modalités de cette évolution. Or, que s’est-il passé? Personne n’a eu tout simplement intérêt à passer au livre numérique, ni au niveau de la production ni au niveau de la consommation.
Derrière le futur d’un produit, celui d’un écosystème
- une évolution ne se construit qu’à l’intérieur d’un écosystème existant. Dans le cas du passage du disque vinyle au disque compact… on reste à l’intérieur des murs du distributeur… qui n’aurait trouvé aucun intérêt à vendre de la musique en téléchargement. L’écosystème existant se protège et ne va pas lâcher la proie pour l’ombre par la promotion de ce qui met en péril sa propre rentabilité. C’est toute une chaîne d’acteurs qui se trouvent condamnés à rester solidaires pour préserver l’existant.
- une révolution ne peut, par contre, s’opérer que par la création d’un écosystème nouveau: comme dans le cas du passage au numérique. Apple remplace le distributeur traditionnel… et tout ce qui va avec. Cette concurrence frontale élimine la question difficile de la transition, essentielle dans le premier cas.
Ne verra le jour que ce qui sera envisageable… soit selon la première voie… soit selon la seconde.
Pour le livre, des évolutions telles que la vente par correspondance ou le marché de l’occasion étaient compatibles avec l’écosystème existant – y compris avec de nouveaux entrants tels qu’Amazon – mais celui-ci interdisait toute révolution. Prédire un futur numérique pour le livre suppose imaginer un écosystème nouveau qui lui soit dédié… et ce n’est pas facile.
La question des usages
- soit le passage au numérique offre un usage “haut de gamme” appuyé sur tout ce qui peut s’imaginer en matière d’intelligence artificielle, de personnalisation ou d’ergonomie… ce qui peut supposer un coût élevé pour le contenu… peu compatible avec la modestie du support
- soit ce contenu haut de gamme s’inscrit dans des liseuses également haut de gamme… mais coûteuse… ce qui pourrait ne pas être rédhibitoire en “allure de croisière”, mais qui a de fortes chances de l’être en phase initiale quand l’offre de contenu est encore faible
- soit le coût du contenu reste homogène avec le prix de la liseuse low cost, mais l’avantage pour l’utilisateur devient dès lors tout à fait discutable.
La question de la “logique nouvelle”
(*) Après un calcul savant, nous pouvons parler au minimum de 6 millions d’ebooks…/… Ce chiffre est encore plus impressionnant si on inclut les boutiques américaines. Il faut savoir que pour Amazon, un nouvel ebook sort toutes les cinq minutes dans le monde.
Pour mémoire, 6 millions d’ebooks représentent presque la moitié du catalogue livres et recueils de la Bibliothèque Nationale de France … et il s’en ajoute un toutes les cinq minutes uniquement sur Amazon.
Si l’offre d’écrit est disproportionnée par rapport au temps moyen susceptible d’être consacré à la lecture, le lecteur dispose d’un choix, mais la plus grande partie de ce qui va être écrit ne sera pas lue. En économie libérale, une offre excédentaire d’écrit est donc supposée produire sa propre dévalorisation (difficulté de la presse, moindre rémunération des écrivains, des journalistes, des traducteurs… impact sur les tarifs publicitaires…).
Se couper de l’écosystème existant revient à se couper des professionnels d’un secteur. Dans la logique du numérique pur, le tri ne s’opère plus. Le livre lu (déclinaison possible) n’est plus pris en charge par un comédien, mais par un robot. La traduction est gérée automatiquement sans aucun rapport avec la localisation par un professionnel. Se couper de l’écosystème existant peut signifier convertir une foule de grands lecteurs à la consommation… d’une “sous-littérature”.
On le voit, cette nouvelle réalité nous emmène très loin de ce qu’aurait pu imaginer un futurologue autour des “possibles” du numérique dans ce domaine. Mais la partie est-elle terminée et d’ailleurs qu’aurait pu imaginer un futurologue?
Changer les contenus
Je pose un doigt sur l’écran de ma liseuse (ultra légère bien que de grand format): si je pointe sur un mot, apparaît en bas de page sa signification. Si c’est un personnage du roman et que celui-ci en compte beaucoup, il m’est rappelé de qui il s’agit, pour un personnage historique, un descriptif rapide et un lien me sont fournis. Une IA m’ouvre les possibles d’une “lecture augmentée”: son détecteur automatique de descriptions me propose, des images apparentées (décors, paysages, visages …). Lorsque je reprends une lecture interrompue, un rappel des derniers faits significatifs m’est fourni. Un détecteur automatique de fatigue visuel (comme dans l’automobile) modifie automatiquement le zoom et le contraste du texte. Un passage fluide au livre lu par des professionnels est disponible d’un simple clic pour me permettre de poursuivre ma lecture tout en accomplissant une tâche quelconque … etc
en guise de conclusion provisoire
(*) Tous les livres pour chaque lecteur, où qu’il soit: le rêve est magnifique, promettant un accès universel aux savoirs et à la beauté.
Cette utopie a au moins le mérite de poser explicitement la question fondamentale propre à TOUS LES DOMAINES… celui de L’ÉVALUATION, tout spécialement dans les sociétés d’aujourd’hui où tous les processus de production sont potentiellement inflationnistes et où les “perles” sont de plus en plus rares dans des parcs à huitres de plus en plus grands.
Ce qui amène à un ultime enseignement: L’approche futurologique tend à être “conceptuelle” … ce qui signifie qu’elle tend à ne pas prendre en compte les dimensions quantitatives des phénomènes… dans lesquelles malheureusement tendent à se dissoudre… les concepts.
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