l’urgence climatique et “l’après” de la géo-ingénierie

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Rien n’est moins écologique que le concept d’urgence, car là devrait régner l’évolution lente. Le terme “d’urgence climatique” exprime à lui seul le piège mis en place par ceux-là mêmes qui luttaient contre l’idée d’y tomber: ne pas évoquer l’urgence appelle le laxisme, l’évoquer appelle une solution rapide, radicale et économiquement viable. Ce profil exigeant n’en laisse qu’une: la géo-ingénierie (lien). Celle-ci est en train d’accéder tranquillement à la légitimité, poussée explicitement par les uns, implicitement par les autres. Le dernier rapport du GIEC, lui-même, l’introduit parmi les solutions possibles (lien). Ainsi s’installe ce qui pourrait être le pire des scénarios pour l’environnement.


Comment la légitimité de la géo-ingénierie a-t-elle pu s’installer aussi rapidement?


Tout d’abord, en dehors de l’adoption d’instruments ou d’outils, il faut poser qu’une légitimité ne s’installe pas rapidement, mais selon un principe de percolation (voir aussi) :

processus physique critique qui décrit, pour un système, une transition d’un état vers un autre associée à un phénomène de seuil

Seule la phase finale de ce type de progression (le seuil) donne une impression de vitesse.

En quoi a consisté cette phase ultime pour la géo-ingénierie? Dans le bouclage d’une chaine de 3 arguments (lien)

À la base, un phénomène naturel.

Les partisans de la géo-ingénerie s’inspirent d’un phénomène naturel constaté en 1991 suite à l’éruption du mont Pinatubo. Le volcan avait rejeté dans l’atmosphère un immense nuage de particules sulfurées (10 millions de tonnes de sulfates projetées à 35 km d’altitude). La masse nuageuse avait fait le tour du globe, provoquant un abaissement d’un demi-degré de la température terrestre pendant deux à trois ans.

Puis un raisonnement économique intégrant la référence environnementale

Les trois scientifiques …/… montrent que la technologie de base est opérationnelle et qu’elle pourrait être mise en oeuvre pour environ 5 milliards de dollars par an. En comparaison, le coût des politiques de réduction des gaz à effet de serre (GES), et notamment des émissions de dioxyde de carbone (CO2) est évalué entre 200 et 2000 milliards de dollars, soit de 0,2 à 2,5 % du produit intérieur brut mondial en 2030.

Puis le verrouillage final par l’absence d’alternative

Si rien n’était rapidement engagé à l’échelle planétaire contre l’effet de serre : le produit intérieur brut mondial (PIB) pourrait baisser de 5 à 20 % d’ici à 2100, entraînant un coût dépassant 5 500 milliards d’euros.

En outre:

  • Lâcher des composés chimiques dans l’atmosphère, n’est-ce pas ce que nous faisons quotidiennement pour des composés non choisis alors que dans le cas de la géo-ingénierie, ils le seraient.
  • On fertilise les sols depuis longtemps, pourquoi s’interdirait-on de fertiliser les océans? … ou, d’une certaine façon, l’atmosphère?
  • N’a-t-on pas appris à valoriser de longue date le biomimétisme, alors pourquoi ne pas chercher son salut dans l’imitation des volcans? (voir lien)
  • Ne sommes-nous pas aujourd’hui familiarisés avec les canons à neige sur les pistes de ski ou les canons anti-grêle sur les vignobles?
  • Utiliser les engrais, planter sous serre, n’est-ce pas une façon de changer la terre et le climat à toute petite échelle?
  • N’a-t-on pas pris l’habitude que des solutions techniques nous préservent de tous les inconforts voire de tous les maux?

Petit à petit tout cela façonne l’esprit, l’ouvre à des principes auxquels il était fermé, lui permet d’accepter ce qui hier encore lui semblait inacceptable, insensiblement, sans réelle prise de conscience. C’est çà la percolation.

 


 

en fait, nous y sommes


L’accès à cette légitimité va-t-il changer les pratiques? Dans un premier temps, elle va surtout permettre à des pratiques désormais courantes de se faire accepter par l’opinion et en cela permettre l’expansion très rapide d’un marché et même de plusieurs.

On trouve sur le site de l’organisation Weather Modification Association, la carte des projets (avoués) de ses membres actuellement en cours aux USA.

MapGeoIngUSA

Sur celui de Weather Modification Inc, une liste d’environ 70 projets répartis sur une vingtaine de pays .

Et ici encore, les prestations détaillées proposées par North American Weather Consultants, Inc

Comme on le voit, la géo-ingénierie ne se cache plus du tout. L’heure n’est déjà plus à l’approuver ou pas, mais à essayer de comprendre à quoi elle nous mène.


 

la géo-ingénierie: une problématique tentaculaire


Le site d’“Atmospheric and Environmental Research” présente ses activités de recherche sur le climat selon 5 axes: Defense – Energie – Assurances – Environnement – Investissement. Un rapide survol suffit pour se rendre compte que la problématique environnementale n’y est ni unique ni même centrale.

  • Les applications militaires sont les plus anciennes à avoir été utilisées, notamment au Viet-Nam. La “réflexion” sur le sujet a progressé depuis: le climat comme arme de destruction massive (nous y revenons un peu plus loin).
  • Les applications dans le domaine de l’énergie concernent à la fois la demande en chauffage ou refroidissement, l’offre notamment bioclimatique, et également l’“Identification des risques et des nouvelles opportunités commerciales” (sic)
  • Le secteur de l’assurance concerne pour l’instant les actions d’anticipations susceptibles d’être engagées par les compagnies: là encore il est question d’opportunités commerciales.
  • L’environnement est une boite à peu près vide, au sens où il ne renvoie qu’à des prestations de type Big Datas , évidemment déjà présentes dans les autres secteurs. Elle rappelle néanmoins que le recueil des données (à défaut de leur exploitation) pourrait relever de financements publics… grâce à l’alibi de l’environnement. En dernière analyse, la cause environnementale pourrait ne servir qu’à çà.
  • Enfin, l’investissement qui mérite un chapitre à part, bien que déjà entrevu sous d’autres postes.

Ajoutons à cela les demandes plus circonstancielles (avoir beau temps pour les coupes du monde de foot, de la neige pour les Jeux Olympiques d’hiver …etc). Les occasions de manipuler le climat ne vont pas manquer.

 


 

l’économie du climat


Le facteur climatique joue un rôle déterminant dans la plupart des secteurs de l’économie “matérielle”. Il conditionne l’offre de produits alimentaires, l’eau, le tourisme… la demande d’énergie, de vêtements, de médicaments… Il pèse sur la valeur du foncier…

Agir sur l’offre et sur la demande, c’est agir sur les prix… c’est à dire sur le chiffre d’affaires des sociétés… et donc, le cas échéant, sur leur valorisation boursière. Posé comme problématique économique, le climat devient le centre d’un système d’activités hautement spéculatives… surtout si l’on dispose des moyens techniques permettant de le modifier rapidement… et des algorithmes susceptibles de gérer les données d’un jeu très complexe d’interactions.

Militairement et économiquement, les données climatiques vont devenir de plus en plus stratégiques et le propos environnemental risque de ne plus concerner que le marketing, la bonne conscience et comme nous l’avons vu le financement.

Car le climat de demain donne lieu à des préparatifs de type militaire.

L’agence russe Roscosmos s’appuie d’ores et déjà sur son satellite Electro-L pour un suivi climatique impressionnant de précision (lien). Le programme américain GOES-R, qui a coûté dix milliards de dollars en 20 ans, sera lancé dans un an; la nouvelle génération du satellite japonais Himawari-8 est déjà opérationnel; la deuxième génération du satellite météo européen MetOp, sera lancé à partir de 2021; European Space Agency (ESA) est développé par Airbus Defence and Space pour 2 milliards $. Ces programmes vont analyser les variations climatiques “toutes les trente secondes”, avec une “résolution d’image de 500m” (lien)

satellites_meteo

  • De telles performances sont-elles vraiment requises par la lutte contre le réchauffement de la planète?
  • Une concurrence aussi coûteuse et aussi féroce a-t-elle vocation à “mieux servir l’environnement”?
  • N’évoque-t-elle pas au contraire la nécessité unanimement ressentie d’une surveillance quasi-militaire de possibles activités hostiles des voisins dans ce domaine?… qui pourraient l’être pour des raisons… évidemment économiques.

Faut-il revenir à cette prophétie du mathématicien et physicien John von Neumann, compétent s’il en est, puisqu’antérieurement déjà très impliqué dans la bombe d’Hiroshima, qui déclarait en 1955

L’intervention dans le domaine atmosphérique et climatique (…) se déploiera à une échelle aujourd’hui difficile à imaginer. Cela interférera dans chaque relation de pays avec tous les autres, plus fortement que la menace de l’arme nucléaire ou que toute autre guerre pourrait le faire


 

et la géo-ingénierie environnementale dans tout cela?


Comme dit plus haut, la régulation du réchauffement de la planète par la géo-ingénierie pourrait constituer le pire des scénarios pour l’environnement. Pourtant, de la façon dont on l’imagine aujourd’hui, il est douteux qu’il devienne une réalité. Possible techniquement et économiquement, il ne l’est sans doute pas politiquement. Quand les nations ne parviennent pas à un accord sur un thème aussi “évident” que la suppression des mines antipersonnelles, on peut douter qu’elles le fassent dans la modification planétaire du climat, quand toutes ne sont pas concernées au même titre, n’ont pas à espérer les mêmes améliorations, n’ont pas à subir les mêmes rétroactions et n’ont pas les mêmes… arrière-pensées économiques.

Localement, le relâchement des pratiques promet d’être d’autant plus probable que les efforts que chacun pourrait consentir pour réduire ses nuisances environnementales pourront être remplacés ou à l’inverse réduits à néant par quelques passages de drones et une brumisation d’un quelconque nanomatériau.

À l’instar des OGM ou du Trading High Frequency, on peut débattre pour savoir si l’on est pour ou contre, mais pendant qu’on débat… ils progressent. L’effet le plus probable de cette évolution va consister en la banalisation de la géo-ingénierie et en sa régionalisation.

  • La faisabilité technique et le coût relativement bas vont stimuler les initiatives régionales (qui correspondent – elles – à un niveau de décision politique effectif)
  • Cercle vicieux: plus l’approche planétaire va apparaitre impossible, plus les actions locales vont tendre à s’y substituer. Et plus les modifications locales vont se banaliser, moins sera éprouvé par les populations le besoin d’une action planétaire.
  • D’où le refus croissant de la fatalité climatique, une amplification des revendications locales à ce sujet, la responsabilisation du politique dans la pluie et le beau temps… et un nouveau terrain de jeu pour les démagogues.

 

en guise de conclusion provisoire


 

Toutes ces modifications climatiques, plus ou moins compatibles, engagées pour les motifs les plus divers exprimés ci-dessus vont se superposer et rendre l’ensemble tout à fait ingérable, au moins au niveau du “penser global”. Le réchauffement climatique avait au moins le mérite (si l’on ose dire) d’avoir une direction, le chaos climatique n’en aura plus.


 

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