la pensée du futur est-elle une pensée du temps?

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nous ne savons pas penser le temps

 

comment pensons-nous le passé?

 

L’image plus ou moins floue d’un lieu ou d’une personne… et puis surtout des mots.
Nous n’avons en guise de pensée et de mémoire des instants que celles des mots qui les représentent. La richesse de nos instants “pensés“ n’est fonction que de la subtilité du vocabulaire dont on dispose pour les transmettre. Et ceci n’est probablement valable que pour la première transmission. Ensuite, ce sont de ces mots-là dont nous nous souviendrons, ceux qui ont servi la première fois. Ils se substitueront aux instants eux-mêmes pour les récits futurs. Les instants proprement dits, vus comme les parcelles d’un vécu, seront totalement dissous.

Ainsi, le meilleur vin que nous ayons jamais bu est celui que nous avons la mémoire d’avoir présenté comme tel par le passé. Du point de vue de l’instant, dans sa dimension “sensuelle‘ le meilleur ne peut être que celui que nous sommes en train de boire… pour peu qu’il soit bon et que nous soyons conscients d’être en train de le boire.

La conscience que nous avons des durées est tout aussi lacunaire. Le temps paraît long quand on s’ennuie, court quand on s’amuse. Notre conscience de la durée ne nous apparaît que comme celle d’une suite d’instants actifs dénuée du temps du rêve, de l’hésitation, de la paresse (cf Bachelard: «la dialectique de la durée»).

l’avant-après

 

Dans cette succession d’instants actifs, la seule pensée organisée dont nous serions capables concernerait l’avant-après. Seules cette pensée-là nous permettraient donc d’appréhender le temps, donc éventuellement le temps futur?

 

comment pensons-nous spontanément le futur?

 

la pensée d’exploration

 

La pensée d’exploration constitue a priori l’approche la plus évidente du futur. Une approche par «enchaînement d’après», celle de la découverte ou de l’exploration. Celle où chaque pas dans l’inconnu implique le pas suivant, ou chaque découverte en appelle une autre.

Il suffit néanmoins de souligner que tout effort de prévision part de l’idée d’échapper à cette démarche-là. La prospective, la futurologie, la stratégie, n’existent que pour éviter cette marche en aveugle ou tout peut arriver à chaque instant sans que nous y soyons préparés. Ce n’est d’ailleurs pas de cette façon que nous pensons et même que nous vivons le temps: une certaine dimension d’anticipation fait partie de notre perception même du présent.

la pensée d’agenda

 

Notre approche quotidienne du futur, la plus usuelle, la plus sommaire nous amène à envisager notre futur immédiat par «succession non finalisée “d’après“» -succession et non pas enchaînement- ce que nous appellerons la pensée d’agenda.
J’ai rendez-vous avec un client, puis je vais chercher ma voiture en révision chez le garagiste, puis je repasse par mon bureau vérifier que je n’ai pas de message avant de rentrer chez moi. Ce soir, je vais au cinéma.

Ce qu’il y a d’intéressant dans ce type de pensée c’est précisément le constat qu’elle ne nous sert strictement à rien pour notre propos. L’absence d’objectif en fait une sorte de liste de courses, un simple moyen d’occuper une durée.

Ce qui nous laisse à penser que la finalisation des «instants actifs» ou de leurs équivalents sociaux est plus importante pour la pensée du futur que la pensée du temps elle-même.
Mais comment finaliser le futur?

la pensée de projet

 

Une pensée de projet a cette caractéristique de s’organiser sur la base de la représentation d’un futur état final.
L’enchaînement d’instants actifs va donc se construire rétrospectivement comme une suite de prérequis pour l’obtention de ce résultat.
Je vais faire construire une maison écologique et assez grande pour y inviter beaucoup d’amis à faire la fête. Pour cela, il faut que je fasse faire les plans, que j’obtienne le permis de construire, donc que je trouve un terrain constructible, dans un environnement qui me convienne …etc.

La pensée de projet comporte donc deux types d’éléments

• une représentation d’un état final

• un enchaînement “d’avant(s)“ perçu comme nécessaires pour y parvenir

la pensée d’exécution

 

La pensée d’exécution, liée à la pensée de projet, s’engage dans le futur par rétroformulation de son « enchaînement d’avant(s) ». Elle relie les prérequis précédents selon l’ordre logique de l’action qui correspond à l’ordre inverse de celui de la pensée de projet. Elle commencera par le choix d’un environnement, puis d’un terrain, puis les plans…etc.

la semi-métaphore d’un futur déguisé en projet

 

Le futur peut-il s’assimiler à un projet que nous n’aurions pas élaboré en tant que tel, mais dont on se donnerait une représentation? À partir de cette représentation, deviendrait-il possible de construire une pensée prospective assimilable à une pensée d’exécution?

Mais la pensée sur objectif, projet ou exécution, n’est toujours pas une véritable pensée du temps, seulement une suite de causalités ordonnée selon un principe d’avant-après.

 

le futur, une pensée du rythme

 

retour sur la parabole des deux enfants

 

Dans la parabole des deux enfants, il apparaît nettement que le futur de la taille et du poids ne peut s’interpréter de la même manière que celle des ongles et des cheveux. Pour anticiper la taille et le poids des deux individus étudiés, il aurait fallu disposer de données anciennes les concernant: en partant de ces données à la naissance, on aurait obtenu une estimation plus réaliste de leur évolution jusqu’à l’âge adulte. Ces renseignements n’auraient par contre rien apporté pour une estimation à l’échelle de la semaine ou du mois. Inversement, la méthode d’estimation de la croissance des ongles et des cheveux est pertinente à l’échelle de quelques semaines ou de quelques mois… mais pas à l’échelle de plusieurs années.

On constate ainsi que l’approche du futur peut donner lieu à des approches plus complexes où la référence au temporel existe sous forme de cycles longs et de cycles courts, où différentes chaines de causalités, mettant en jeu des temporalités différentes se superposent et interagissent.

Au futur lointain devraient donc correspondre des racines dans le passé lointain, l’un et l’autre procédant d’un temps historique.

avant d’être imaginé, le futur doit être construit

 

Apparaitraient ainsi deux types de futurs en superposition

• des futurs «projectifs» qui iraient vers le futur à partir du présent.
• des futurs «historiques» qui iraient vers le futur à partir du passé.

Ces deux types de futurs s’appuieraient sur des temporalités différentes dans lesquelles s’inscriraient des systèmes différents de causalités.

Il y aurait donc bien du «temporel» dans la futurologie, mais du temporel caché derrière la notion de rythme.(Maie Gérardot)

Dos Santos est l’auteur d’une phénoménologie rythmique qui propose de voir les objets comme des concrétisations de rythmes et de considérer tous les éléments qui composent le réel comme étant pris dans un travail d’ajustement harmonique.

Tels pourraient se concevoir les composants du futur.

La futurologie pourrait donc s’assimiler à une construction préalable.
Imaginer le futur ne viendrait que dans un second temps.

 

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