retour sur l’anatomie du futur: poids, registres & statuts

Classé dans : 1/ anatomie du futur | 0

Tout ce qui existe, tout ce qui “peut” exister, tout ce qui “a “existé”… existera. La question est celle du poids, du registre, et du statut de ces présences futures.

Les skis, les trottinettes, les châteaux de la Loire ou les peintures rupestres font toujours partie de notre époque, mais dans des registres qui ne sont plus ceux de leurs origines. Même les futurs non advenus existeront, dans une certaine mesure, en hibernation dans les pensées, dans l’attente d’éventuels réveils. Paul Ricoeur insiste sur cette idée:
Nul ne commence rien à partir de rien …/… Les gens d’autrefois ont eu des rêves, des désirs, des utopies, qui constituent une réserve de sens non réalisé …/… Le passé est un cimetière de promesses non tenues.
Certains mécanismes provoquent d’ailleurs le retour, sous différentes formes, de certains objets ou principes anciens qui ont tenu un rôle tangible à leurs époques (voir).
Ainsi, à l’instar du robot humanoïde déjà en voie de rejoindre les peintures rupestres dans les curiosités du passé, nombre de présences fortes de notre environnement actuel sont appelées à glisser dans d’autres registres.
Ce phénomène a déjà été évoqué, avec d’autres mots, dans un ancien billet: “approcher l’inédit à partir de la «théorie des prototypes»”.

retour sur la théorie des prototypes

Lorsqu’il catégorise un objet ou une expérience du quotidien, l’être humain s’appuie moins sur des définitions abstraites des catégories que sur une comparaison entre l’objet en question et ce qu’il juge être le meilleur représentant d’une catégorie.
Il en découle:
Des tendances lourdes de l’évolution pourront se lire à partir des déplacements de prototypes à l’intérieur d’une catégorie. Ainsi, les glissements opérés depuis les espèces sonnantes… billets, chèques, carte bancaire, chacun inédit puis progressivement prototype du moyen de paiement, révèlent les métamorphoses de l’économie elle-même.
Autre exemple: le devenir d’un prototype d’hier dans le domaine du divertissement… la télévision.
Imaginons à partir d’un exemple de futur envisagé… “à l’envers”.
Nos grands échangeurs d’autoroutes actuels seront sans doute à jamais trop coûteux à démolir. À partir d’une disparition imaginée des automobiles, que pourraient-ils devenir d’ici quelques décennies? … Des noeuds ferroviaires?… Des stations de ski? … Des surfaces agricoles hors-sol? … Des parcs de loisirs?… Des camps de concentration?… Quelles métamorphoses socio-économiques pourraient amener à ces différents glissements?
Mais, on le voit, appréhender le changement de registre ne suffit pas. Encore faut-il estimer:
  • le statut de ce registre c’est-à-dire son importance dans les pratiques sociales du moment. Exemple: la mobilité et les transports, essentiels aujourd’hui, pourraient l’être beaucoup moins demain.
  • le poids de l’objet par rapport à d’éventuels concurrents à l’intérieur du registre considéré. Dans l’exemple, le poids de l’automobile par rapport aux autres moyens de transport.
Chacun de ces paramètres peut évoluer seul ou en liaison avec d’autres.
Mais cela ne suffit toujours pas, car la société de référence reste ici une société “homogène”. Dans le cas d’une société duale, celle ou une profonde fracture ne fait que s’élargir entre “ceux du haut” et “ceux du bas”, poids et statuts seraient appelés à se dédoubler à l’intérieur des registres: (enseignement, transport, santé, alimentation, habitat, emploi… etc ). Or le glissement vers une société de ce type est aujourd’hui aussi difficilement contestable que le réchauffement climatique. (voir: “qui seront les réfugiés environnementaux et où iront-ils?”)
La “tendance” – concept clé de la futurologie – est donc beaucoup plus complexe que ne le laisserait supposer l’image de trajectoire qui lui est généralement associée.

retour sur l’idée de “tendance”

Commençons par revenir sur certaines conclusions ébauchées dans des billets précédents.
  • Concernant la nature de la notion de tendance:
La tendance aurait donc une structure combinatoire. Elle s’apparenterait à un système. (voir: “combien de futurs y a-t-il derrière une tendance?”)
  • Concernant les dynamiques qui lui correspondent:
Les tendances les plus évidentes d’aujourd’hui vont donc s’appliquer à des concepts voués à se dissoudre, à se recomposer, à changer de nature (voir: “tu ne sais pas vraiment ce que tu entends par futur” )
  • Ou encore:
Passer des “tendances de l’évolution” à “l’évolution des tendances” (voir: “cybernétique & futurologie: le futur comme un effet sans cause” )
Car si une tendance n’est pas vue comme une simple “trajectoire”, mais comme un système de composants, il apparait logique – et même inévitable – que sa nature même évolue dans le temps.
Le futur est aujourd’hui pensé au travers des innovations technologiques. Celles qui sont sur le point d’arriver se substituent à celles qui prévalaient. L’IA à submergé dans les pensées tout ce qui préexistait, et ce, en quelques années seulement. Sous cette hégémonie de l’innovation technologique, les tendances sont perçues comme dessinant le futur tout en gommant le passé (voir: “l’irrésistible attraction des tendances courtes”).

L’idéologie dominante de la prévision est entachée d’un malentendu temporel. Inspirée par celle de la consommation, elle envisage le passé comme jetable, mais paradoxalement les ressorts supposés émergents du futur sont perçus comme engageant celui-ci de façon définitive… tels que l’IA aujourd’hui .


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *