À la recherche d’un concept d’utopie capitaliste
Souscrire à une utopie “traditionnelle” consiste à adhérer à des principes, des règles de vie, une organisation humaine – voire spatiale -, à une manière “programmée” de ressentir, d’exprimer et de satisfaire ses besoins. L’autosuffisance lui est consubstantielle. En fait, toute utopie structurée peut s’exprimer comme un ensemble insécable, un “tout-en-un”. La traduction en terme capitaliste de ce principe serait une “consommation globale”.
- devrait pouvoir faire l’objet d’une “consommation de masse”
- existerait sous le sceau de différentes marques
- supporterait donc des contenus variables susceptibles d’alimenter une concurrence
- serait également évalué par les contreparties qu’il exigerait de ses adhérents
- devrait être perçu comme “force du bien” même de l’extérieur, c’est à dire appuyé sur des concepts à très forte légitimité – dont l’environnemental –
- n’étant pas fondé sur des “rêves sociaux” (égalité, fraternité …) puisque capitaliste, se devrait d’offrir à tous, du “rêve individuel”… ou à défaut, des loups déguisés en grand-mères comme l’économie collaborative
- Le capitalisme doit reproduire ses profits. Le produit-utopie se devrait donc d’être évolutif, à l’inverse de l’utopie classique qui se pose en état idéal et définitif. Cette nécessaire évolutivité supposerait très probablement un rôle-clé donné à la technologie.
- L’utopie classique constitue un monde fermé. La connexion généralisée serait supposée l’empêcher… sauf si les réseaux eux-mêmes, devenus privés, faisaient partie de l’offre. On rappellera à ce propos que Google, Facebook et d’autres construisent actuellement des réseaux privés dans l’espace.
- L’utopie est un totalitarisme parmi d’autres (voir lien). Or, aujourd’hui, l’idéologie du recueil massif de données aidant, les grandes firmes entrevoient la possibilité de s’approprier la totalité de l’individu – ce qu’il est, ce qu’il fait, ce qu’il veut – par l’entremise de ses données personnelles. Cette idéologie du contrôle total de l’individu est de même nature que celle qui préside à l’élaboration des utopies.
- Les grandes marques se vendent pour elles-mêmes indépendamment des produits et services qu’elles proposent. De ce point de vue la base publicitaire de l’offre globale est déjà une réalité.
- Partout on nous demande d’ouvrir des “comptes”, d’acquérir des cartes de fidélité… Cela nous est présenté comme offrant la possibilité de bénéficier de palettes de services de plus en plus larges. Il ne s’agit que d’une amorce, mais c’est exactement cette dynamique-là qui serait à l’oeuvre dans la consommation globale.
- Toutes les grandes firmes tendent à élargir la palette de leurs activités. Tout le monde veut devenir une banque, depuis les compagnies d’assurances, jusqu’aux constructeurs automobiles (PSA), en passant par les fournisseurs d’accès (Orange). Les banques font le trajet inverse et s’efforcent de proposer des services extra-bancaires. Les GAFA (Google-Apple-Facebook-Amazon) investissent dans les robots, les automobiles, la médecine, les moyens de paiement, et bien d’autres choses encore. La tendance à la globalisation semble s’affirmer. Chez les mastodontes, tout le monde veut tout.
- Les plus grandes firmes pèsent davantage que le PIB de certains pays ou de certaines régions des pays les plus développés: elles ont acquis un “pouvoir de faire” sans précédent. Quelles seraient les limites de l’offre d’une firme obtenue par fusion de Google et Amazon ou de Facebook et Walmart?
- Les offres pourraient concerner la mise on-line du travail, de l’enseignement, des soins …en passant “par dessus la tête” de toutes les organisations (généralement publiques) existantes.
La question spatiale
Historiquement, la mise en place des utopies s’est toujours heurtée au problème immobilier. La seule façon “concrète” de matérialiser l’utopie traditionnelle consistait en l’implantation d’une “organisation spatiale identifiable” … spécifique, mais aussi malheureusement “préalable”… et évidemment coûteuse (villes idéales, familistère …). En d’autres termes, un investissement important et difficilement reconvertible devait être consenti comme préalable à une “immense incertitude”.
- d’une part le principe d’une consommation globale progressive constituerait un signe tangible d’efficience indépendamment de toute référence matérielle
- d’autre part, l’accès possible à des mondes virtuels (un substitut à l’immobilier tout à fait crédible et beaucoup moins coûteux)
- En outre, l’accès à des “mondes inédits” auraient vocation à devenir des arguments de l’offre
- des lieux physiques permettant l’accès collectif à des lieux virtuels: quelque chose entre l’hypermarché, l’église et le parc d’attractions.
- des lieux physiques d’accueil permanents, des cités, beaucoup plus proches de l’espace utopique traditionnel, fonctionnant comme des récompenses, dans la lignée des campus d’entreprise.
- l’accès individuel ou micro-collectif à des mondes virtuels selon différents types de procédés, plus ou moins évolués, susceptibles également de correspondre à une hiérarchie de récompenses
La question des contreparties
Le glissement vers le religieux amènerait à l’idée qu’il pourrait ne pas s’agir de travail… ou en tout cas pas “que” de cela. De nombreux systèmes de contreparties peuvent être imaginés. Ils constitueraient le second grand volet de la mise en concurrence des offres.
l’ultime argument du scénario
La grande consommation donne des signes évidents d’essoufflement (voir lien). Or, les grandes multinationales technologiques sont bâties sur des produits de grande consommation et un certain désarroi devient lisible dans la dispersion actuelle de leurs recherches. En un mot comme en cent, les GAFA commencent à ne plus savoir quoi nous vendre de suffisamment élaboré pour en extraire des profits qui soient à leur échelle. Nous vendre du “tout” pourrait rapidement leur apparaitre comme la façon la plus stimulante, mais aussi la plus profitable, de nous vendre du “rien”.
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