remarque préalable
La différence la plus immédiatement lisible entre les deux démarches concerne le rôle de la technologie: force déterminante – voire exclusive – dans la pensée de l’évolution, elle ne joue aucun rôle dans la pensée de l’effondrement. Dans un cas, la technologie est le bras du progrès, dans l’autre elle n’est qu’incorporée à l’ensemble indifférencié des paramètres de la croissance et de ses corrélats (épuisement des ressources, énergie, climat …). Cette opposition radicale de deux extrêmes interpelle à la fois l’une et l’autre. Sciences et techniques ne pourraient donc être que “tout” ou “rien”?
le point fort de la pensée de l’effondrement
Née dans les caricatures d’une pensée écologiste technophobe, la pensée de l’effondrement incorpore aujourd’hui les interactions possibles d’une grande quantité de paramètres et de points de vue (écologique, économique, démographique, politique, financier…). L’indiscutable supériorité de la pensée de l’effondrement réside dans son caractère systémique. En émerge, par exemple, l’idée de piège, qui se referme toujours plus quoi qu’on fasse. On la trouvera très bien déclinée dans cette longue interview de David Korowicz .
les points faibles de la pensée de l’effondrement
- Un premier point faible de la pensée de l’effondrement réside dans son ancrage à l’imaginaire de l’exponentielle: question déjà développée dans un précédent billet (voir « tendances et métamorphose: le modèle du vieillissement »).
- L’effondrement est lié à une attitude déterministe pour qui la logique des mécanismes prévaut sur les choix humains, ce qui n’est pas une faiblesse. Mais dans la mesure où il est supposé dépendre de forces multiples appartenant à des registres différents, ce déterminisme a besoin d’un point de fuite unique qui fonde et représente l’unité de la démarche. L’effondrement joue ce rôle. Il se comporte ainsi comme une exigence de raisonnement, une présence nécessaire, un indispensable imaginaire de référence.
- Il découle du point précédent qu’en admettant, a priori, un final d’effondrement, on pose en prémisse d’une analyse ce qui aurait vocation à en être la conclusion. C’est un vice logique connu sous le terme de “pétition de principe” qui ne peut normalement induire que des raisonnements invalides. Ce vice est cependant de plus en plus fréquent dans tous les domaines, les démarches de recherche s’avérant toutes plus ou moins assujetties aux intérêts de leurs commanditaires.
- La confrontation des deux pensées est aussi celle du “rapidement terminé” face à “l’indéfiniment prolongé”. Le discours de l’effondrement se caractérise ainsi par un “biais d’impatience” qui tend à exclure du raisonnement, comme non pertinentes, toutes les voies qui seraient de nature à “retarder l’échéance”, sous l’argument qu’elles ne la suppriment pas. L’impatience du stade terminal, celui qui autorise le «vous voyez, j’avais raison», se retrouve derrière les mises à jour actuelles des pensées catastrophistes «l’effondrement, nous n’y allons pas, nous y sommes». Dennis Meadows, l’un des auteurs du rapport au club de Rome, l’affirme ainsi sans détour:
Il est trop tard pour le développement durable
- En dehors même de la question des exponentielles, la probabilité de l’effondrement découle d’un système de données chiffrées, de courbes, de mesures, ce qui constitue à la fois une force et une faiblesse, qui font de la pensée de l’effondrement une pensée technocratique. Car envisagée sous l’angle du vécu on pourrait dire que l’effondrement devient… une question de point de vue. Pour les riches l’effondrement restera longtemps une abstraction. À l’opposé, les plus déshérités ont sûrement l’impression d’y baigner depuis un certain temps… voire de n’avoir jamais connu autre chose (1).
- Cette relativité de l’effondrement le montre: en dépit de toutes les références qui peuvent être empruntées à toutes les formes de crises et de dénuements, toute la pensée est conditionnée par une fin qui reste finalement très indéterminée dans ses échéances, sa nature, ses zones d’influence, sa durée, son impact, ses inégalités…. Et aucune des définitions de l’effondrement ne lève cette ambiguité
- Le monde est en cours d’effondrement lorsque, sur le territoire examiné, on n’aperçoit plus aucune possibilité de respect de la loi, aucun contrôle sur les armes, aucune capacité de lever des impôts, pendant une durée continue d’au moins un an.
- L’effondrement est un processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi.
- Un effondrement dans l’économie mondialisée se produira lorsque la chute du flux d’énergie deviendra beaucoup plus forte que la baisse du PIB
en guise de conclusion provisoire
La pensée de l’effondrement offre probablement le meilleur modèle de référence pour appréhender le futur. Il demande un travail d’analyse pour pallier ses plus grosses lacunes, celui qui le rendrait compatible avec l’idée de métamorphose.
(1) Sebastiao Salgado ——–> Allez voir son film “Le sel de la terre” et pas seulement pour cette photo.
Laisser un commentaire