le futur par les mots qui disparaissent: «le RESPECT»

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Il n’y a plus de respect! Les incivilités se multiplient! On a même tagué mon image d’en-tête!… Ah les salauds!


comment aborder le respect ?


Les philosophes proposent de nombreuses visions du respect. Elles convergent sur l’idée d’une distance, que celle-ci découle d’un statut social, de la richesse d’un vécu ou de qualités morales particulièrement élevées. Il relève d’un “ressenti” et se manifeste par un comportement codifié. … deux faces d’une même pièce qui ont pourtant le plus grand mal à cohabiter.

 

Devant un grand seigneur, je m’incline, mais mon esprit ne s’incline pas.
Cette phrase de Fontenelle (*) résume bien les tensions qui sont à l’œuvre au cœur de la notion de respect, d’autant que les comportements respectueux peuvent aller de l’attente discrète à la soumission ostentatoire.
Il est certes un sentiment, mais particulier selon Kant, car inspiré par la raison. On peut lui trouver deux autres particularités:
  • Il gère des rapports de domination, en principe de façon feutrée, et constitue ainsi un régulateur “non-violent” de rapports sociaux “hiérarchisés”… qu’il collabore donc à reproduire… évidemment au bénéfice du dominant.
  • Il se distingue par la multiplicité des contextes dans lesquels on a pris l’habitude de l’invoquer: (*) respect des Droits de l’Homme, de la dignité humaine, de l’environnement, des pelouses, des consignes de sécurité, des feux rouges, de l’opinion d’autrui, des usages, des bonnes moeurs, du grand âge… du respect dû à vous… dû à moi. La liste de ce qui est susceptible d’être respecté pourrait ne jamais se terminer… ce qui appelle une définition s’appuyant sur ce que sous-tend ce catalogue.
Cette définition pourrait s’éloigner du “faire” (comportement codifié) et se rapprocher du “ne pas faire”: ne pas ignorer, ne pas dégrader, ne pas gêner ni contraindre sans raison, ne pas “tirer vers le bas”. Parmi les intérêts de cette approche, la possibilité de donner un sens à ce qui se présente comme un idéal dans ce domaine: le “respect mutuel”. La disparition du respect pourrait ainsi être liée à la fin d’une certaine façon de le manifester. Mais, bien sûr, il n’y a pas que ça.

pourquoi voir le respect comme étant en voie de disparition?


  • Beaucoup de notions entretenant une proximité avec le respect comme la politesse, la courtoisie, la discipline, la dignité, l’honorabilité ont en commun… une odeur de vieux livre.
  • La disparition, d’ores et déjà effective, de cette cousine du respect qu’est la «respectabilité». Elle s’appliquait à certains membres de la petite ou moyenne bourgeoisie, affichant une forme de réussite qui n’allait pas jusqu’à susciter l’admiration, qui n’était cependant entachée d’aucun vice ou déviance morale connus et associée par ailleurs à un comportement fait de bienséance et de pondération. Quand elle n’était pas assimilée à une simple façade, elle l’était à un “modèle de conformité” dénué de tout dynamisme, de toute créativité, ancré dans l’immobilisme d’une hiérarchie sociale reconnue et de valeurs collectives supposées intemporelles. On y retrouve, sans surprise, un certain nombre d’attributs “contestables” du respect lui-même.
  • Alors que le respect n’est pas supposé se discuter, tout l’est aujourd’hui abondamment.
    • Les politiques ne se nourrissent plus que de controverses, les médias plus que de polémiques.
    • Tout point de vue exprimé dans l’anonymat relatif des réseaux sociaux provoque immédiatement une contradiction, puis une dérive, telle qu’énoncée par la loi de Godwin: «Plus une discussion en ligne dure, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1». Ainsi, ouvrir une discussion revient à “commencer” à manquer de respect à quelque chose ou à quelqu’un.
    • Le militant mobilise plus facilement “contre” quelque chose… c’est-à-dire, plus ou moins directement, par “l’irrespect”. Or, dans l’explosion de controverses que nous vivons aujourd’hui, le militant donne le ton de la communication dominante… où chacun aime se donner l’impression d’en être un.
  • À l’instar du militantisme, le communautarisme se nourrit d’irrespect vis-à-vis… des autres… comme d’ailleurs l’individualisme… exacerbé par la concurrence de tous contre tous, dans l’air du temps d’aujourd’hui.
  • Parce que sondages et statistiques règnent sur la pensée et qu’un “pourcentage” n’appelle pas le respect. Or ce n’est qu’à travers lui que s’appréhendent désormais “les masses”, les électeurs, les groupes… les individus.
  • Contrebalançant les incivilités de “la racaille des banlieues”, phénomène emblématique de la fin du respect, Richard Sennett, auteur du livre, «Respect: de la dignité de l’homme dans un monde d’inégalité» souligne , en une phrase qui trouve un écho particulier sous le règne de notre actuel président:

 

L’absence de respect pour autrui semble un des traits qui caractérisent “l’élite”. Pouvoir se permettre de ne pas témoigner de respect aux autres, c’est un signe d’appartenance à la classe des privilégiés. Où l’on retrouve la morgue des aristocrates.
  • L’égoïsme fanatique des dominants ainsi que leurs malversations tendent à les priver de ces valeurs morales essentielles qui auraient pu susciter le respect, alors même que leur position sociale est progressivement perçue comme davantage due au népotisme qu’à un réel mérite. Élite et dominés tendent aujourd’hui à se mépriser mutuellement.
  • Parce que la légitimité du conflit tend à s’imposer dans la plupart des domaines, ce qui s’oppose à l’idée de “régulation douce”.
  • Parce que le respect qu’on accorde de moins en moins aux autres, on le revendique de plus en plus pour soi. Il est alors davantage source de conflit que régulateur non violent des rapports sociaux.
  • Parce que l’humain lui-même tend “globalement” à ne plus susciter le respect (voir «les inquiétants progrès de l’idéologie anti-humaine»).

que nous annonce la disparition du respect?


Il est difficile, voire pathologique, de ne rien respecter. En ce sens le respect ne peut sans doute pas totalement disparaitre, à l’instar par exemple de la confiance, un autre “sentiment” participant à la régulation sociale.
Réorientées dans le sens du “ne pas faire”, ses manifestations, quand elles existent, se font cependant plus furtives et se différencient moins de l’indifférence ou du mépris. Mais surtout, la disparition du respect correspond à celle d’un code unique, unanimement reconnu par l’ensemble de la société. Le respect se “communautarise”, consolidant la progression de l’entre-soi. La remise en cause de la “régulation douce des rapports sociaux” à l’échelle de la société pourrait se transformer en une confrontation plus agressive entre groupes constitués en communautés… et d’un retour de la régulation par la force… celle de la police pour les dominants… celles des rues pour les dominés… dont le mouvement des gilets jaunes pourrait n’être qu’un préambule.

Hier, l’irrespect comme valeur émanait de mouvements ou de courants de pensée tels le dandysme ou l’anarchisme. Il visait le conformisme, l’immoralité, les idées dominantes, en un mot “la société”, dont ils admettaient, bien que de façon paradoxale, la globalité. L’irrespect d’aujourd’hui, et plus encore de demain, pourrait devenir le miroir d’une société de plus en plus fragmentée.


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