le futur par les mots qui disparaissent: «la LIBERTÉ»

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“Liberté”: ce mot qui a longtemps éclairé les esprits et derrière lequel vibrait une belle idée a glissé dans l’archaïsme. Quel sens faut-il donner à ce phénomène?

Pour quelles raisons n’a-t-on plus besoin de ce mot? A-t-il été emporté par la naïveté des divers slogans et formules auxquels il était attaché, tels que “liberté, égalité, fraternité” ou encore “Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits”? Mais pourquoi aurait-il fallu autant de temps pour qu’il le soit?


l’idée de liberté


En première analyse, être libre consisterait à pouvoir accéder à tous les possibles.
Mais en fait… pas tous. La problématique de la liberté oblige en effet à les reconfigurer.

Doivent ainsi être exclus ceux qui apparaissent trop ordinaires ou à l’inverse trop irréalistes. Pour alimenter l’idée de liberté, l’accès à un possible doit présenter une difficulté… prégnante, mais surmontable. La liberté ne se réalise que dans le fait d’aller “au-delà” de quelque chose, en fonction d’une situation donnée. Elle est intimement liée à une forme de transgression. Elle est foncièrement subversive («Qui menace l’ordre établi»).

La liberté se définit donc par rapport à un ordre établi, et ce, dans les différentes dimensions de celui-ci (morale, réglementaire, physique, religieuse…), qu’il s’impose par l’habitude, par le consentement ou par la force.
Vue comme une dynamique, la liberté sollicite en retour l’homéostasie du système social, c’est-à-dire sa capacité à maintenir son propre équilibre par des ajustements internes, dont on peut exprimer trois principes, en dehors de la répression: l’évolution du droit, l’omniprésence du choix et le morcellement du concept.

l’évolution du droit

On ne dit plus «je suis libre de faire…» on dit désormais «j’ai le droit de faire…». Faut-il voir dans ce glissement sémantique une adhésion massive au principe énoncé par Montesquieu «La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent»? Pour ce faire, encore faudrait-il que le droit reste lisible… ce qui est de moins en moins le cas. -> 

Les lois sont devenues un élément central du paysage médiatique.

Tout évènement un tant soit peu dramatique est potentiellement créateur de lois. Les politiques, les associations, les réseaux sociaux en font autant d’opportunités de tribunes. Des microcauses de défense s’y installent avec pour objectif d’obtenir… des lois… qu’elles finissent presque toujours par obtenir. Il devient ensuite rapidement nécessaire d’assurer une compatibilité, au moins approximative, entre cette foule de lois “sectorielles”, mais aussi entre elles et celles produites par les grandes problématiques du moment, et aussi entre elles et les fruits de différentes négociations permanentes, comme le droit du travail… ce qui oblige à des ajustements réglementaires, c’est-à-dire… à d’autres lois… alors que les évènements plus ou moins dramatiques continuent à s’accumuler et que la concurrence entre les politiques pour les exploiter dans les médias continue à faire rage.

la liberté de choix

C’est autour du choix que se révèle tout particulièrement l’ambiguïté fondamentale du concept qui nous occupe. Un large éventail de choix est perçu comme une expression tangible de la liberté, alors même qu’il masque ce qui pourrait exister au-delà de lui-même… à l’image du choix de prétendants offert à Pénélope qui, aussi large qu’il fût, lui interdisait surtout celui de la fidélité à Ulysse. Du choix de consommation à celui d’une représentation politique, le choix est une codification, donc un simulacre de liberté… pour ne pas dire un voile qui dissimule son absence.
L’emprise tentaculaire de la consommation a permis à ce faux semblant de se substituer à l’idée de liberté dans l’idéologie dominante.
  • En économie capitaliste, les produits offerts à la consommation tendent mécaniquement à se rapprocher les uns des autres autour des composants qui maximisent le profit: ordinateurs, smartphones, voitures…etc… tendent ainsi à tous se ressembler. De quoi dépend alors un “libre choix” de consommation?
  • L’idée de choisir ses représentants dans les instances de gouvernement a conduit à la création d’une “classe politique”… qui tend à ne plus défendre que ses propres intérêts (conserver ses statuts… accéder aux médias… se faire réélire). À quoi correspond alors le “libre choix” de nos représentants?

le morcellement du concept: un éventail de liberté”s”

Aujourd’hui, le mot ne s’utilise plus qu’associé à des thématiques particulières telles que “liberté d’expression”, “liberté de la presse” ou “liberté d’entreprise”, dans lesquelles il s’inscrit comme une “modalité de fonctionnement”, qui se pare d’attributs particuliers selon le domaine considéré.
Mais c’est employé seul, que le mot “liberté” représentait réellement une idée.

liberté et identité

Je suis ce que sont mes rêves et mes projets.
En dehors des situations d’oppression, faire comme tout le monde ne nourrit pas véritablement une sensation de liberté. La liberté apparait de façon d’autant plus tangible qu’elle alimente la conscience d’une identité – problématique explorée dans un billet précédent «l’identité: les futurs avatars d’une énigme philosophique», où l’on trouvera différentes voies de dégénérescence possibles de cette idée -. Ce mécanisme admet d’autres formulations, telle que celle-ci :
L’homme devient libre lorsqu’il substitue une attitude active à une situation subie …/… créer quelque chose par soi et pour soi : être à l’origine et à la conséquence de ce qui est produit donc, ne pas être soumis à autre chose que soi-même.
Or, il est devenu quasiment impossible d’emprunter une voie ressentie comme réellement personnelle. Existerait-elle qu’elle aurait alors valeur d’évènement et que les médias s’en empareraient immédiatement pour en faire… une communauté… dans laquelle ne pourrait que se diluer l’identité de l’individu.

en guise de conclusion provisoire


En marge des différents mécanismes par lesquels s’effeuille l’idée de liberté, opére un mouvement plus global qui trouve ses racines dans un précédent billet : “l’ordre de demain sera-t-il simple ou complexe?”. Quand l’ordre établi est simple, il est totalitaire. L’idée de liberté s’y exprime sans équivoque. Plus l’ordre établi devient complexe, plus il devient illisible… plus l’idée de liberté le devient également.


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