La génétique va-t-elle permettre d’améliorer l’intelligence?

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L’amélioration de l’intelligence constitue le défi principal de l’amélioration de l’humain et l’amélioration génétique s’y présente comme l’alternative écologique, si l’on ose dire, au principe transhumaniste de greffes de composants électroniques dans le cerveau. Il en découle deux niveaux de faisabilité: la faisabilité “ génétique ” proprement dite, mais auparavant, une faisabilité “ conceptuelle ”, condition de la première, qui reposerait sur la question de savoir en quoi pourrait consister une intelligence “ améliorée ”. L’approche est d’autant plus délicate que la moyenne – l’intelligence courante – semble plus difficile à définir que les extrêmes – la bêtise et le génie -. D’où l’idée d’utiliser les secondes pour accéder à la première.


 l’intelligence vue à partir du génie


Posons tout d’abord que le génie, s’il existait, ne pourrait être que la rencontre d’une forme d’intelligence et d’un domaine.

Genies_Exemples

Turing et Picasso sont peut-être des génies, mais le génie de l’un ne se serait jamais révélé s’il avait été confronté au domaine de l’autre. On retrouve là le caractère de l’intuition à laquelle le génie est souvent associé. On ne peut être supérieurement intelligent que “ dans un domaine donné ”.
En recherchant les éventuels points communs qui pourraient exister entre des “ génies ” intervenant dans des domaines différents, une neuropsychiatre américaine a ainsi essayé “ d’objectiver le génie ”.

J’ai sélectionné des personnalités exceptionnelles qui ont réalisé des œuvres majeures dans leur domaine et ont reçu des prix prestigieux

Le génie y est associé à la créativité

Le génie est une capacité à produire quelque chose de hautement original

La créativité des génies réfèrerait à un certain nombre de déterminants qui seraient indépendants de leur domaine

Les Big C — comme les appellent les spécialistes — partagent des traits psychologiques: audace, esprit de révolte, individualisme, absence de présupposés, persévérance, concentration, simplicité, aptitude au jeu, curiosité intense, humilité et désintéressement

Peut-on raisonnablement imaginer que des modifications agissant sur chacun de ces “ paramètres du génie ” soient sans action sur la stabilité des psychismes et des comportements (par exemple: audace, esprit de révolte, individualisme, absence de présupposés, aptitude au jeu …)? Peut-on également imaginer qu’elles ne soient pas incorporées à des “ chaines ” multiples de corrélations génétiques qui demanderaient au final à certains paramètres d’être à la fois “ noirs ” et “ blancs ”? Et la créativité n’est qu’une partie de “ l’intelligence ”. Celle-ci s’appréhenderait également à partir d’autres principes d’évaluation: le QI par exemple. Or, à ce niveau l’avenir de l’amélioration génétique ne se présente pas comme très souriant (lien)

une vaste étude publiée par deux collaborateurs du BGI, Robert Plomin, du King’s College London, et Steven Pinker, de Harvard, obtient un bien maigre résultat. Sur 24.189 génomes d’individus séquencés, trois mutations ont été corrélées à un gain de… 0,3 point de QI seulement !

Fabriquer génétiquement des génies n’est sans doute pas pour demain. S’ils existent, ils sont vraisemblablement le produit d’une convergence accidentelle inaccessible aux corrélations statistiques… et génétiques.


Le “ dopage ” partiel de l’intelligence


Peut-on imaginer alors que l’intelligence d’un individu ne soit améliorée que par le “ dopage ” d’une aptitude particulière, jugée centrale, l’exemple de la mémoire venant immédiatement à l’esprit? On pense alors à la mémoire “ eidétique ” ( dite aussi “ photographique ” ). Il parait que Mozart en était pourvu. Notons à l’appui du chapitre précédent que les manifestations les plus convaincantes de cette capacité, par ailleurs discutée, se retrouvent…

… chez les autistes et apparentés, comme les personnes souffrant du syndrome d’Asperger

… syndrome notamment évoqué à propos du champion d’échecs Bobby Fischer.

Dans le domaine génétique, le bon grain pourrait être suffisamment mélangé à l’ivraie pour que le tri ne s’y avère jamais ni facile ni définitivement acquis. D’autant que l’on imagine les interactions selon une logique courante, comme ci-dessus, alors que les correspondances génétiques sont infiniment plus incohérentes et contre-intuitives (lien)

Le gène agouti est impliqué dans la détermination de la couleur du pelage chez la souris : dans un groupe d’animaux portant tous la même version de ce gène, certains ont un pelage brun chiné et d’autre un pelage jaune. Ces derniers ont en outre une susceptibilité accrue à l’obésité, au diabète et à certains cancers.

Choisir d’être blond ou brun peut, non seulement aboutir à une toison rousse ou tachetée, mais aussi avoir les implications les plus inattendues dans d’autres domaines. Cette complexité commence à apparaitre dans le domaine du sport où le dopage génétique est considéré par beaucoup comme un classique du futur: il serait efficace, indétectable et concernerait des aptitudes assez simples à identifier, bref… que des qualités. On trouvera ici  une assez large présentation du dopage génétique. On y verra, en outre, que même dans le domaine de la force brutale, les choses ne sont pas aussi simples.

La science ne cesse de découvrir de nouveaux gènes importants pour la performance physique (ex : des gènes déterminant la structure des fibres musculaires, synthétisant les facteurs de croissance ou les hormones telles que l’hormone responsable de la formation sanguine, régulant l’équilibre énergétique de l’organisme,…). En 2000, 29 de ces gènes sportifs étaient connus. En 2011, on en comptait déjà 221 et la liste continue de s’allonger.

Avec combien d’autres domaines, totalement étrangers à la performance sportive, sont susceptibles d’interagir ces 221 gènes ?

Combien de gênes seraient impliqués dans le dopage de l’intelligence?


 et si l’intelligence… c’était autre chose


La dictature actuelle de l’idée de performance amène à une logique additive. L’intelligence serait … à l’image de tout le reste. On pourrait booster et ajouter, pour obtenir plus, donc mieux, et ce, sans nécessité de contreparties d’aucune sorte. On rejoint, par là, la logique informatique et robotique où l’on peut en permanence ajouter des composants, des fonctions, de la mémoire, de la puissance… faire une version 2, 3…

Mais l’intelligence humaine pourrait ne pas être un lego.
Mobile_Calder

Si l’intelligence humaine c’était çà: “ un équilibre complexe ”. Un équilibre qui bien que susceptible d’être obtenu de multiples façons n’en serait pas moins un jeu subtil d’aptitudes et d’inaptitudes, qu’un rien suffirait à déstabiliser. Un équilibre où l’intelligence sectorielle correspondrait à des concentrations particulières d’éléments, mais contrebalancées par une dispersion atypique de beaucoup d’autres. Si l’intelligence c’était çà, qu’obtiendrait-on en “ gonflant ” une partie des éléments… voire même un seul? Et dans ce modèle, la génétique ne serait-elle pas ce qui remplace chacun des éléments de ce mobile, par autant de “ sous- mobiles ”, tous encore plus larges que celui-ci, et incorporant des éléments totalement étrangers au domaine considéré ?

Si l’intelligence c’était çà, le gros problème que nous aurions alors, à l’instar de celui que nous avons dans tous les autres domaines, c’est que la pensée unique qui pilote aujourd’hui la dictature de l’économie, ne se préoccupe pas… du tout… d’équilibre… ce qui pourrait donner lieu aux dérives que nous pouvons observer dans … tous les autres domaines.


 en guise de conclusion: petit détour par l’homéostasie


L’extrême capacité d’adaptation du vivant en général et de l’humain en particulier impose, dans ce domaine, de considérer aussi les capacités homéostatiques de l’intelligence (voir “ homéostasie: penser les rétroactions & contre-tendances ”)

L’homéostasie s’est révélée utile à l’étude de toutes sortes d’organismes et systèmes en biologie, sociologie, politique, automatismes, et plus généralement dans les sciences des systèmes. William Ross Ashby, l’un des pères de la cybernétique, en a donné une illustration purement physique par la construction d’un « homéostat » composé d’éléments mobiles qui retrouvent leur position de stabilité après avoir été perturbés. Dans les neurosciences, l’homéostasie joue un rôle clé dans une théorie spéculative de la conscience et du sentiment d’unité du Soi.

Cette autorégulation ne répond qu’à des perturbations d’amplitudes limitées. Mais n’est-ce pas, précisément cette forme de rééquilibrage permanent qu’opère l’intelligence dans l’intégration de nouvelles expériences et de nouveaux apprentissages?

Sans aucun doute. Mais cela s’appelle… l’acquis.

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