2040: l’ennui s’est imposé partout, dans l’entreprise comme dans la consommation. Peu de projets. Peu de mouvements. On ne vote plus. On ne manifeste plus.
l’ennui
Souvent associé à l’inaction, voire à la paresse, l’ennui est avant tout lié à une activité de l’esprit. On s’ennuie parce qu’on n’a rien à faire… “d’intéressant”.
Selon Fernando Pessoa, l’ennui n’est pas une maladie due au déplaisir de n’avoir rien à faire, mais c’est la maladie, combien plus grave, de l’homme convaincu que ce n’est pas la peine de faire quoi que ce soit.
On ne persévère dans l’action que par un jugement de valeur
la routine & le quotidien
Habitude de penser ou d’agir selon des schémas invariables, en repoussant à priori toute idée de nouveauté et de progrès.
(*) Pour Shannon, l’information est la mesure de l’incertitude calculée à partir de la probabilité de l’événement. Dans cet ordre d’idée, plus une information est incertaine, plus elle est intéressante. Un événement certain ne contient aucune information.
- les sources exogènes: son l’environnement (ses relations interpersonnelles, ses activités – notamment professionnelles – ses espaces de référence…). Nous allons y revenir dans le chapitre suivant.
- les sources endogènes: ses propres pensées
- tout particulièrement ses idées, assimilables à des informations que l’individu s’adresserait à lui-même.
- mais aussi ses curiosités (voir: “le futur par les mots qui disparaissent: la CURIOSITÉ”)
La fin réelle de la curiosité correspondrait au déclin de la demande d’informations, lequel, face à une offre surabondante, signifierait l’effondrement de sa valeur, très lisible aujourd’hui dans le caractère éphémère et jetable de l’information dans les réseaux sociaux.
l’«impression générale d’impuissance et d’incohérence» que provoquent «trop de surprises, trop de créations, trop de destructions» qui mettent en cause «la stabilité et la solidité de notre monde et de notre existence».
construction & déconstruction de l’ennui
« un seul être vous manque et tout est dépeuplé »
(*) L’addiction se rapporte autant à des conduites telles que le jeu compulsif, la dépendance au jeu vidéo, à Internet, au smartphone, à la pornographie, aux conduites à risques ou à la pratique d’exercices sportifs inadaptés entraînant un syndrome de surentraînement qu’à la dépendance à des produits comme l’alcool, le tabac ou les psychotropes
L’ennui n’est sans doute jamais plus intense que lorsque… disparaît… l’objet de l’addiction, quel qu’il soit. Or, il est très facile d’imaginer les causes susceptibles de provoquer la disparition rapide de la plupart d’entre eux.
trop près des étoiles
(*) la sociologie a mis en évidence deux sources d’ennuis, comme deux sources de décalage : par excès ou par défaut, excès d’idéal et défaut de réalité. L’ennui naît de la déconnexion entre les possibilités que la personne s’attribue et celles que lui offrent véritablement le monde social ou le monde réel.
À l’appui de cette idée, cette image montrant la file d’attente d’un casting pour une émission de télévision (*)
assistance & délégation
(*) L’informatique de producteur (micro-ordinateur) a fait place à l’informatique de spectateur (smartphone), les logiciels complexes aux microapplications. La communication écrite se limite à des messages de plus en plus courts. De moins en moins de gens font des choses difficiles.
(*) La “délégation” se substitue ainsi à la prise en charge autonome des problèmes. Elle ne sollicite plus l’intelligence, ni du consommateur devenu passif ni du prestataire devenu spécialisé. Inaction pour l’un, routine pour l’autre.
2040: comment en est-on arrivé là?
Les machines à produire de l’imprévu dans le quotidien qu’étaient les réseaux sociaux ont accouché de communautés de plus en plus refermées sur des consensus de plus en plus étroits autour de contenus de plus en plus plus… “probables”… consolidant l’appauvrissement de la vie de tous les jours par un “quotidien numérique” plus pauvre encore.
en guise de conclusion provisoire
(*) Dans une enquête menée auprès d’utilisateurs d’une application de smartphone conçue pour mesurer le bonheur présent, les participants étaient interrogés sur ce qu’il faisait au moment où ils recevaient l’enquête et devaient évaluer la joie ressentie (happiness) au cours de cette activité, sur le moment. L’étude montrait que dans 46% du temps, les sujets n’étaient pas occupés à une tâche spécifique (ou s’en était détournés), mais se livraient à… rien… soit du vagabondage mental.
On peut appeler fatigue démocratique cette mélancolie qui mène à l’impuissance. L’histoire n’est pas avare d’exemples où les sociétés politiques renoncent d’elles-mêmes, par découragement, à exercer leurs propres droits et à défendre leurs principes, et l’on sait que les grandes catastrophes se produisent parfois par l’étiolement davantage que par l’effondrement.
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