la démocratie peut-elle évoluer en direction de son idéal?

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démocratie & futur: niveau 01


la démocratie est «le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple»

Cet idéal démocratique exprimé par Abraham Lincoln aurait dû faire de lui le premier propagandiste de… l’autogestion. À ceci près que la démocratie se donne des allures d’évidence pour la gouvernance des états, quand l’autogestion est présentée comme irréaliste à la simple échelle de l’entreprise et que les apôtres de la première comptent parmi les opposants les plus résolus à la seconde. La clé de cette incohérence apparente réside dans le principe de la “représentation”, cette délégation qu’un groupe octroie à un individu.
  • pour les uns il est impossible de gérer une structure, quelle qu’elle soit, sans passer par ce mode opératoire
  • pour les autres, la représentation crée une “classe de représentants” qui tendra obligatoirement, sur la durée, à ne plus défendre que ses propres intérêts.
Jean-Jacques Rousseau l’affirme:
À l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre… il n’est plus.
Or, c’est précisément l’existence d’une classe politique, c’est-à-dire cette fameuse “classe de représentants”, qui constitue la condition nécessaire et suffisante pour bénéficier aujourd’hui du label de “démocratie”. Et c’est en cela que la démocratie devient l’antithèse de ce dont elle devrait être le synonyme.
Cependant, et c’est au progrès technologique qu’on le doit, la représentation – donc l’homme politique – pourrait à terme ne plus être nécessaire. On sait détecter aujourd’hui, à peu près en temps réel, ce que veut le peuple, et même les différents groupes qui le constituent. Sans entrer dans les différents débats suscités par ces techniques, nous pouvons poser cette “connaissance” comme étant crédible à court ou moyen terme. D’où la question: les groupes sociaux ont-ils encore besoin d’être représentés si leurs opinions et leurs souhaits peuvent être connus “en direct” par des algorithmes? Une intelligence artificielle ne défend pas ses propres intérêts puisqu’elle n’en a pas, elle n’est pas supposée être corruptible, elle serait plus “professionnelle” que n’importe quel homme politique. La technologie nous offrirait ainsi une troisième voie qui ne serait ni celle de nos élites autoproclamées qui ont suffisamment failli pour mériter une disqualification ni celle des braillards racistes et démagogues qui rêvent de s’installer à leur place.
Par là, la démocratie évoluerait en direction de son idéal.
Premier niveau d’analyse, premier niveau de conclusion.


démocratie & futur: niveau 02


Demos – Kratos (peuple – pouvoir). Les citations reproduites ci-dessus sont cohérentes avec l’étymologie du terme “démocratie” par la position centrale qu’elles accordent au “peuple”. Ce qui rend la première notion très sensible aux ambiguïtés de la seconde. Car force est de constater que la notion de peuple, présentée comme ensemble homogène et cohérent, véhicule des valeurs suspectes (culture, religion, race…), qu’elle est associée à des mobiles rarement innocents (le peuple au-delà des frontières pour justifier les conquêtes, le peuple en deçà des frontières pour justifier l’exclusion). Tout est à craindre quand un pouvoir en appelle au peuple. On s’en souvient: «ein Volk, ein Reich, ein Führer». Au moment où un pouvoir en appelle au “peuple”, une démocratie commence peut-être à ne plus en être une.

Se trouve ainsi mise en cause la notion de majorité qui doit sa légitimité au fait qu’elle représente “ce qui se rapproche le plus du peuple”, au moins sur un plan quantitatif. Revenons alors au processus par lequel un représentant le devient: le vote.
Il constitue le coeur même de la démocratie. La notion de majorité fonde sa légitimité. Or, si la mise en cause de ses procédures est fréquente lors des élections américaines, on sait moins que celles-ci sont tout aussi arbitraires ailleurs. On suivra ainsi cette vidéo , à la fois amusante et instructive, qui montre comment le choix entre cinq modes de calcul, tous parfaitement légitimes, peut désigner tour à tour cinq élus différents sur une liste de cinq candidats. On est loin de l’évidence mathématique qui était censée fonder … la majorité… et par là, la représentation du peuple… et par là, la démocratie.
Et ce n’est pas tout.
L’autre question attachée à la notion de majorité est relative aux relations que celle-ci est supposée entretenir, dans une démocratie, avec les différentes minorités. Ces minorités se répartissent en deux grandes catégories: celles qui dirigent et celles qui sont dirigées.
  • On est toujours gouverné par une minorité, quel que soit le système. La démocratie n’est qu’un principe parmi d’autres de légitimation de cette minorité
  • quant à la majorité, peut-elle être autre chose – surtout dans une démocratie – qu’un “conglomérat instable et provisoire de minorités”?
La minorité est ce qu’il y a de plus naturel et de plus spontané dans une population, la minorité ultime étant l’individu. La logique est la même chez les dominants: communauté d’opinion sur l’essentiel et concurrence acharnée au quotidien pour la conquête ou la préservation des pouvoirs.
Le nettoyage idéologique du débat doit commencer par poser que c’est la notion de minorité qui fonde la démocratie… pas celle de majorité.
Le philosophe Paul Ricoeur ne dit pas autre chose:
Par rapport à la notion de conflit, est démocratique un état qui ne se propose pas d’éliminer les conflits, mais d’inventer les procédures leur permettant de s’exprimer et de rester négociables.
La démocratie se définit alors comme un mode de résolution des conflits. Le conflit lui est nécessaire pour exister. Du «1984» de George Orwell au «Meilleur des mondes» d’Aldous Huxley, toutes les grandes dystopies, toutes les dictatures, ont en commun l’impossibilité du conflit. Or, accorder à celui-ci une place central, c’est bien mettre en avant le rôle déterminant des minorités: c’est toujours d’une minorité que nait le conflit.
Mais si la majorité n’est plus centrale, cela implique:
  • d’une part, que c’est la minorité dominante, jusque là bien cachée derrière son alibi, qui se révèle comme l’étant
  • d’autre part, que l’idée de “peuple” disparait et avec lui «le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple»
Ce qui signifie que les deux ennemis mortels de la démocratie sont ceux qui tendent à laminer les minorités, à savoir:
  • la pensée unique, dans la mesure où elle nie par avance toute expression minoritaire
  • l’intolérance, dans la mesure où elle rend impossible toute cohabitation de minorités.
Soigner les maux dont souffre la démocratie consisterait en tout premier lieu à “comprendre la maladie”, c’est-à-dire à comprendre comment se construisent la “pensée unique” (les médias, bien sûr… mais pas que) et l’intolérance (les attitudes et comportements de l’intolérant … et de l’intoléré). Travailler à la survie et à l’amélioration de la démocratie pourrait consister à observer et comprendre les cheminements par lesquels s’installe ce qui les produit et les explique l’une comme l’autre: la simplification.
L’intelligence artificielle pourrait offrir de remarquables moyens pour approfondir la connaissance de ces dérives. Ce faisant, elle pourrait là encore – cette fois par l’étude des mécanismes – aider la démocratie à évoluer en direction de son idéal.
Deuxième niveau d’analyse, deuxième niveau de conclusion.


démocratie & futur: niveau 03


Le progrès technique pourrait donc, de plusieurs manières, aider la démocratie à évoluer en direction de son idéal. Les chances que cela se produise sont liées à la probabilité que l’intelligence artificielle soit mise au service de l’humanisme, ce qui signifie qu’elles sont … à peu près nulles.

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