errances idéologiques: le salut par la décroissance

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la décroissance, nouvelle évidence


Tout commence par un virage idéologique spectaculaire  du côté de l’écologie:
  • Rejet de “l’économie durable” devenue une façon de faire perdurer un système socialement injuste, inégalitaire et écologiquement destructeur (analyse on ne peut plus juste… à ceci près qu’on voit mal ce qui, dans le rejet du durable, pourrait rendre plus vertueux le système… ni ce à quoi pourrait mener l’accélération de son effondrement, supposé par là plus rapide). Cette approche présente aussi -et peut-être surtout- pour les écologistes, l’inconvénient beaucoup plus prosaïque, de gêner la mobilisation contre l’implantation de centrales solaires  ou éoliennes… à côté de chez eux.
  • Recentrage explicite sur le concept, jusque là seulement latent, de “décroissance”. On trouvera ici  un long catalogue d’arguments bien-pensants en faveur de cette idée, que résume bien la première citation, celle de l’ex-ministre Delphine Batho:

 

La décroissance va s’imposer, car les limites planétaires ne peuvent être niées indéfiniment. (…) Il faut bien comprendre que de toute façon, il y aura une décroissance. Soit on la subit et cela va entraîner un certain nombre de chocs violents, soit on l’organise de façon méthodique, pacifique, démocratique, juste et sociale.
Ne le cachons pas, on serait rassuré par un exemple existant, ou ayant existé, “d’organisation méthodique, pacifique, démocratique, juste et sociale”.
  • Tout d’abord, posée comme “inverse de la croissance”, la décroissance consisterait en un affaiblissement du Produit Intérieur Brut. Or, le PIB n’est pas un curseur que l’on actionne et qui produirait un effet, à l’image d’un taux directeur de banque centrale. C’est un indicateur d’activité économique. Son statut est celui d’un résultat, pas d’un levier. Vue comme remède, une fois éliminés quelques gadgets et augmentée la durée de vie des smartphones, la décroissance ne pourra s’entendre au stade final, que comme la “conséquence” d’un “appauvrissement collectif volontaire”.
  • En tout état de cause, cette décroissance ne pourra être qu’une tendance statistique globale, en cela compatible… avec les plus extrêmes inégalités.
Parmi le flot de questions qui en découle:
  • On peut s’interroger sur l’idée d’un accord global débouchant sur une action commune, dont chacun peut quotidiennement mesurer la difficulté à l’échelle d’une salle de réunions, mais qui deviendrait évidente à l’échelle de la planète, et ce, en faveur… d’un appauvrissement volontaire (?!)
  • Que peuvent entendre par appauvrissement volontaire ceux dont les gains s’échelonnent entre le RMI et 600 à 1400 fois le SMIC annuel par an? On profitera de l’occasion pour incorporer les pays pauvres dans la question.
  • Peut-on, aujourd’hui, mettre en oeuvre une décroissance “méthodique, pacifique, démocratique, juste et sociale” à l’échelle d’un pays quand les autres ne le font pas?… Et pour quel effet sur la planète?
  • Les riches vont-ils souscrire en masse à l’ivresse collective d’une pauvreté mère de lendemains qui chantent? On rappellera à ce propos que la pléonexie  était déjà dénoncée par Platon… avec les résultats que l’on sait 2500 ans plus tard.
  • Faut-il appauvrir les plus pauvres? Ce sera sans doute le plus facile – surtout les vieux – mais est-ce que ce sera suffisant?
  • Une part croissante des classes moyennes peut-elle “choisir” de s’appauvrir quand le phénomène le plus clairement établi dans le budget des ménages est celui de l’accroissement continu des dépenses obligatoires, dites aussi “préengagées”. L’appauvrissement volontaire va-t-il consister à ne plus payer son loyer, ses assurances, son électricité, ses télécommunications, ses déplacements (dont l’usager ne maitrise pas les montants)… ou à ne plus payer que cela… et rien d’autre?
  • Combien de temps va-t-on mettre à convaincre les 1.5 milliard de touristes actuels de rester chez eux?
  • Les dépenses dans le domaine de la culture ou de la santé doivent-elles être considérées comme superflues ou seulement réservées à une minorité de… modérément appauvris?

 


la décroissance: voeux pieux ou anticipation


On ne peut qu’être troublé par l’évidente convergence entre ce raisonnement écologiste et celui de l’ultralibéralisme, qui se fait fort de mettre en oeuvre l’appauvrissement des masses en contestant toute forme d’aide aux plus démunis, cet enrichissement sans cause dont bénéficient abusivement ces profiteurs trop flemmards pour aller chercher du travail de l’autre côté de la rue (vouée à devenir de plus en plus large avec la décroissance) et à qui l’on consacre des trésors d’ingéniosité pour rogner l’APL et le remboursement des soins de santé, alors qu’il serait tellement simple de laisser les écologistes les convaincre qu’ils représentent les femmes et les hommes de demain.
Et le meilleur comme dessert: la décroissance nous est vendue comme… une idée de gauche!! (voir: Mélenchon: la décroissance est une nécessité ). Résumons là: le gâteau étant partagé de façon inégalitaire, pour réduire les inégalités… réduisons le gâteau. Bel exemple de logique Shadok, mais qui serait, à la base, plutôt une idée de riches (c’est d’ailleurs ce qu’ils font de longue date avec les paradis fiscaux). Quant au gâteau, il en restera toujours assez pour eux.
Le théoricien de la décroissance qu’est Serge Latouche présente ici  son raisonnement, dont le préalable incontournable consisterait en une “décolonisation des imaginaires” qu’il appuie par l’affirmation suivante:

 

Le bonheur est désormais assimilé à la consommation
Là, une mise à jour s’impose: çà c’était hier.
Aujourd’hui, à l’exception des nouveaux riches qui découvrent l’univers du luxe, la consommation n’est plus le bonheur pour personne. Peut-être plutôt une routine, une sorte d’évidence, une des parures de l’ennui, au moins dans les pays dits développés. C’est au contraire vers la décroissance que l’imaginaire collectif a basculé, qu’il s’agisse d’y voir des univers miraculeusement dénués de tous les oripeaux malfaisants de la croissance (compétition, aliénation, stress, incertitudes…etc), ou éclairés par des images d’Epinal de petites maisons dans la prairie, représentations idéalisées d’harmonies groupusculaires coupées du monde… et par là très peu “planétaires” (voir: «que signifiera demain le mot “progrès” ?»).
Faut-il plutôt voir une prémonition dans cette nouvelle idéologie? Va-t-on vers la décroissance? De nombreux scénarios issus de tous bords alimentent cette conviction (un exemple ici ). Ce qui est douteux c’est que cela amène le bonheur dans le pré.
En relation avec le billet précédent (voir “le cynisme, chaînon manquant de la pensée globale”), ces quelques remarques nous rendent néanmoins l’avenir plus lisible.

que va-t-il se passer?


Rien.
En tout cas rien d’autre que ce qui se passe déjà, car même “aller dans le mur” doit se lire comme modulé par les inégalités. Il importe peu que coule le Titanic, si les canots de sauvetage sont en nombre suffisant… pour les pilotes… et la “business class”. En cela, la décroissance risque de beaucoup ressembler… à la croissance… avec seulement beaucoup plus de monde dans l’eau.

  1. Laurent

    Vous semblez pessimiste. Il me semble que sa mort certaine est ce qui fait redouter à l’égo son futur.
    La décroissance est avant tout épicurienne : « les besoins naturels et nécessaires sont faciles à satisfaire » et « quand la mort sera nous ne serons plus ».
    Il n’y a de remède que par le cynisme aux méfaits de l’instinct grégaire qui a permis aux états et aux firmes d’étendre l’aliénation en faisant croire à chacun que son progrès hiérarchique lui permettra de se libérer en aliénant d’autres au pouvoir qui l’a séduit.
    Mais je parle de celui de Diogène qui se masturbait en public , pas de celui de nos bonimenteurs financés par l’argent qui ruisselle vers ceux qui le font remonter.

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