diplômes: que va-t-il en rester ? Par quoi les remplacer ?

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Il obtient de justesse son diplôme en 1900 …/… Cette période de 1900 à 1902 est marquée par la précarité de sa situation: il postule à de nombreux emplois sans être accepté…/… il se résigne à trouver un emploi dans l’administration.
Nombre d’étudiants d’hier et d’aujourd’hui vont se reconnaitre dans cette rapide évocation… d’Albert Einstein .
Par ailleurs, les diplômes se dévaluent. Ce phénomène fait l’objet d’une abondante littérature depuis la publication du “paradoxe d’Anderson”  qui a souligné, il y a plus d’un demi-siècle (1961), cet effet de la démocratisation – dite aussi “massification” – des études.

 

On a pu reformuler ce paradoxe en précisant que la détention des diplômes, comme moyens d’accès à des positions sociales, apparaît de plus en plus nécessaire, mais de moins en moins suffisante.
Il n’y a jamais eu autant d’étudiants, mais il est tout aussi certain qu’il n’y a jamais eu… autant de diplômes.

diplômes: rapide état des lieux


De fait, aujourd’hui :

 

Les jeunes diplômés peinent de plus en plus à trouver leur premier emploi. Avec un bac+5 “et plus” en poche, ils ne sont que 63% à avoir déniché un job un an après la fin de leur cursus, et à peine plus de la moitié en CDI. Deux ans après leur diplôme, près d’un tiers pointe encore à Pôle emploi.
Selon la même source, parmi les mieux lotis (écoles d’ingénieurs et de commerce), 30% n’ont toujours pas d’emplois au bout d’un an, cette proportion monte à plus de 50% pour les diplômés en physique, biologie, environnement.

 

Qu’ils sortent d’une grande école ou de la fac, les jeunes diplômés envoient de plus en plus de CV pour décrocher un job. Et les périodes de chômage s’allongent.

 

Le poids du réseau est de plus en plus fort : 41% des jeunes diplômés ont trouvé leur emploi actuel grâce à leur réseau.
L’effet statistiquement identifié de l’inflation des diplômes est la suréducation  (le niveau de l’emploi effectivement offert est inférieur aux capacités certifiées du diplômé). Des comportements divergents en découlent, de la course à des diplômes plus élevés à l’abandon désenchanté des études. Ainsi, l’essentiel de la sélection dans le système scolaire n’est plus le fait du diplôme. Près de 90% des postulants obtiennent le baccalauréat et même la sélection à Bac +2, y compris celle des classes préparatoires , résiste peu à l’acharnement de l’élève – des études le prouvent -. Aujourd’hui, la principale sélection dans le système scolaire s’opère entre ceux qui insistent et ceux qui abandonnent. Le système scolaire n’assume plus l’échec, il le délègue aux limites “interdépendantes” des motivations et des possibilités financières de l’étudiant lui-même.

diplômes & dictature de l’économisme


Au niveau le plus général, le diplôme est l’outil d’une évaluation par défaut qui, en l’absence de procédures plus difficiles à mettre en oeuvre, délègue au système scolaire l’appréciation des aptitudes d’une personne… avec les limites que cela suppose. Le diplôme fut longtemps une distinction de type culturel, ce n’est plus aujourd’hui que le “moins mauvais des moyens” pour trouver du travail.
L’économisme a pris possession du système d’enseignement, et ce de plusieurs façons:
    • La valeur du diplôme se mesure de plus en plus exclusivement à l’aune des besoins immédiats de l’entreprise, mais l’entreprise connait de plus en plus mal ses besoins face à toutes les incertitudes qui pèsent sur ses lendemains:
      • rapide évolution des métiers, des techniques, des méthodes
      • scissions, absorptions, délocalisations, développement d’activités ou recentrage sur un “cœur de métier”
      • repli sur l’idée de résoudre ses problèmes en s’appuyant sur ses ressources internes
      • repli sur l’idée de faire une bonne affaire en disposant d’un bac+5 pour assumer ce qui était, hier encore, la tâche d’un bac+2
      • … et pourquoi pas d’un bac+5 “étranger” pour… moins cher… qu’un bac+2 français
    • Le diplôme est la justification implicite de tout ce qui participe au système scolaire en termes de ressources humaines, matérielles ou financières. L’Education Nationale “pèse” la moitié des agents de l’Etat en emplois, et 20% de la population française en élèves. L’enseignement est donc un secteur économique au plein sens du terme, engageant les intérêts de toute nature d’une foule d’acteurs, et balisé par une pléthore d’attestations et de diplômes.
    • L’emprise du privé s’accroit à tous les niveaux de la scolarité, dans la formation initiale comme dans la formation continue. Qu’elle soit d’ores et déjà lisible ou pas, la trajectoire du privé sera sans surprise:
      • Effet de Panurge sur les créneaux les plus prometteurs du moment: 1120 diplômes sont actuellement référencés dans la filière “management-gestion des entreprises”.
      • Hausse des frais de scolarité. Hausse du nombre d’étudiants par école. Remplissage du cursus avec des “enseignements bon marché”. Investissements faibles dans les équipements coûteux, mais élevés dans la publicité et la communication comme le recours “très ponctuel” à des conférenciers prestigieux. À titre d’exemple, l’Ecole de Management de Lyon, pionnière en la matière parmi ses alter ego, vient de se doter (septembre 2018) d’un statut de société anonyme, qui l’habilite à distribuer des dividendes à ses actionnaires.
    • Désormais profondément immergé dans l’univers économique, le diplôme va voir son futur influencé, sinon déterminé, par des “crises”.
La création d’entreprise est aujourd’hui, au moins dans l’idée, la principale alternative à une réussite sociale par le diplôme. De Steve Jobs à Bill Gates en passant par Larry Ellison et Marc Zuckerberg, les plus grandes stars de la Silicon Valley ont pu brandir comme un trophée le fait de ne pas en avoir. En outre, la poursuite de celui-ci n’est le plus souvent perçue, par les créateurs d’entreprises, que comme une perte de temps.

diplômes: vente en gros et vente à la découpe


Peut-on remplacer tous les emplois par de l’intelligence artificielle et des robots? Probablement pas, mais… on essaie… et il est possible que le seul fait d’essayer va influencer le futur du marché du travail. Car si cette démarche impose, dans un premier temps, une simplification généralement excessive dans l’approche des fonctions, elle n’en aboutit pas moins à un découpage des aptitudes suffisamment fin pour amener à la “possibilité” d’une programmation. Il va en découler, pour l’employeur, une connaissance beaucoup plus précise des capacités humaines qui lui seront nécessaires… et qu’il va vouloir trouver chez le diplômé qui se présentera à lui pour un premier emploi.
Le diplôme peut-il répondre à des demandes plus « pointues » de ce type?
En fait, il est depuis toujours une agrégation de modules spécialisés sanctionnés par des certificats, unités de valeurs ou équivalents. Le diplôme a toujours été un menu, une association d’ingrédients qui semblait faire sens du point de vue de l’identité des écoles. Sur un plan pratique, aucun obstacle n’empêche de vendre ce menu à la carte. La “vente à la découpe” s’effectue déjà selon de nombreuses formules, stimulées tantôt par la recherche d’intervenants spécialisés, tantôt par les exigences de la formation continue, ou encore aujourd’hui par la montée en puissance des cours en ligne.
La vente à la découpe des savoirs et des savoir-faire – par ailleurs tout à fait compatible avec la survie des “menus” traditionnels – est susceptible d’être favorisée par plusieurs facteurs:
  • l’adéquation beaucoup plus fine à des besoins d’entreprise mieux identifiés qui les mènerait d’une évaluation globale (le diplôme) à celle d’un panel d’aptitudes
  • l’adéquation beaucoup plus fine aux motivations de l’étudiant
  • une crédibilité croissante des cours en ligne… susceptibles d’être exploités aussi bien “dans les murs” qu’en dehors
  • des saisies d’opportunités plus nombreuses et plus profitables pour l’enseignement privé
  • un investissement stratégique chez les étudiants en matière de choix de profils, des plus “sur-spécialisés” aux plus atypiques… les deux grandes voies du “think different” … qui pourrait faire l’objet d’une demande croissante dans la partie “non-robotisée” des entreprises du futur
  • un coût globalement plus réduit pour les plus défavorisés… donc, pour eux également, une forme d’opportunité

le futur des diplômes des plus défavorisés


Le diplôme est le concept-clé de la classe moyenne. Son influence a grandi avec le développement de celle-ci qu’il collabore à structurer. Le futur de l’un dessine le futur de l’autre. Or, l’avenir de la classe moyenne est annoncé comme plutôt sombre . Les futurs déclassés n’ont sans doute rien à attendre des discours pseudo-égalitaires des plus riches, mais leur situation future pourrait être influencée par une tendance forte exprimée par les prévisions démographiques de l’INSEE pour la France métropolitaine:

 

En 2050, un habitant sur trois serait âgé de 60 ans ou plus, contre un sur cinq en 2005. La part des jeunes diminuerait, ainsi que celle des personnes d’âge actif…/… Ces résultats sont sensibles aux hypothèses retenues, mais aucun scénario ne remet en cause le vieillissement, qui est inéluctable.
La société et son système éducatif pourront-ils encore s’offrir le luxe de la ségrégation?

… et j’allais oublier


Le diplôme joue un rôle particulier dans le verrouillage de l’accès à la classe supérieure, par la création d’une caste adossée à des diplômes incarnant le haut de gamme du genre. Ceux-ci permettent surtout d’être admis dans un réseau d’anciens élèves très solidaire et très puissant comme l’est le Corps des Mines et comme s’efforce de l’être celui de l’ENA. En découlent des emplois réservés et surtout des salaires hors cadre, qui n’auraient aucun sens dans une problématique du mérite ou de la qualification (52000€ “mensuel” pour sous-diriger la SNCF!! ). Ces diplômes sont essentiels pour cette caste qu’ils protègent de la dilution en instaurant un numerus clausus. Ainsi, ce qu’on a dit – ou qu’on pourra dire – du diplôme en général ne s’appliquera pas à ceux-ci.

  1. Alain

    Mon parcours autodidacte a justement été motivé par quelques injustices sociales. Alors que j’avais été 2ème ou 3ème de ma classe durant toute ma primaire, les décideurs du lycée public dans lequel je me suis retrouvé m’ont quand mème relégué en 6ème 5, sur 6 classes de 6ème. S’ils avaient mieux étudié mon dossier, ils auraient pu remarquer aussi que je calculais mes notes pour ne jamais me retrouver 1er de la classe. Ce qui aurait augmenté gravement mon statut de souffre-douleurs en récréation, car non seulement j’étais le plus petit de la classe mais également un des plus pauvres. J’ai rapidement réalisé que les 6ème 1, 2 et 3 étaient privilégiées avec un enseignement supérieur et de meilleurs professeurs. A force d’enquête auprès des autres élèves, j’ai fini par comprendre que ma mise au rebut était moins due à mon dossier qu’aux pressions exercées par les parents des élèves. J’étais élevé par une mère célibataire d’origine paysanne, sachant à peine écrire et compter, qui évitait les rendez-vous par honte de son manque de culture. Même si elle était venue pour défendre ma cause, ce n’est pas sûr que cela aurait été à mon avantage, plutôt l’inverse. Donc face à des parents exigeants, hurlant aux scandales ou tout bonnement généreux en « dons », il est clair que tout mes efforts d’études n’avaient aucune chance. Dès mes 10 ans, en 1978, je ne croyais déjà plus à la propagande de « l’égalité des chances », tant elle était biaisée dans le concret.
    Je n’avais pas les moyens d’accéder aux études m’inspirant comme polytechnique, n’ayant aucun soutien financier ni intellectuel. Il était déjà clair à l’époque que ceux qui travaillent pour payer leurs études, finissaient par abandonner soi l’un, soit l’autre, voire perdaient les deux. Les rares qui réussissaient cet exploit ne faisaient pas le poids face aux élèves bien encadrés, qui n’avaient que leurs études comme soucis. Je pense que c’est toujours valable aujourd’hui, même si des soutiens scolaires sont plus fréquents et qu’Internet permet un semblant de soutien intellectuel. Le soutien financier restent le même problème des parents, si et seulement si, ces derniers sont solvables !!!
    J’ai donc décidé de devenir un autodidacte, apprenant polytechnique en multipliant les différents emplois. Pendant 30 ans, j’ai eu jusqu’à 3 emplois différents par an dans des milieux aussi divers que l’administration, l’industrie, l’agriculture, et j’en passe. Il m’est même arrivé de démissionner d’une entreprise, car je n’avais plus rien à apprendre étant devenu monteur-régleur sur la plupart des machines-outils.
    Malgré mon touche-à-tout, mon expérience pluraliste, je n’ai plus d’emploi depuis la mise en application française de la directive européenne sur les travailleurs détachés, en 2017. Aujourd’hui les français vieillissants ne font plus le poids face à des jeunes et gros diplômés étrangers qui peuvent se permettre de brader les salaires, notamment par le truchement de minimes cotisations sociales versées dans leur pays.
    Dépendant fortement des niveaux financier et intellectuel des parents, les diplômes sont, de fait, des titres de noblesse que des dynasties familiales s’arrachent, souvent au prix même de la santé mentale de l’élève.
    A part quelques employeurs sachant reconnaître la compétence, sans besoin de certificat, il n’y a guère que le milieu associatif qui m’a donné quelques reconnaissances. Le seul dispositif existant, pour valoriser un autodidacte, est la VAE (Valorisation de l’Acquis et de l’Expérience). Or, il aurait fallu pour ce faire que les associations signalent mon engagement, par un « certificat de travail bénévole », ce que je n’ai malheureusement jamais eu !!!
    Pendant des années, j’ai voulu faire fi de la reconnaissance, ma soif inaltérable des études n’en dépendant aucunement. Mais j’ai bien dû reconnaître, après moultes contorsions intellectuelles, que c’est un besoin humain naturel, et surtout légitime, auquel je ne réchappe pas. Le manque de reconnaissance restera toujours une souffrance sourde et profonde, tant que nous n’aurions pas trouvé autre chose que le diplôme. Ce système élitiste qui cache une industrie de l’exclusion.
    D’autant plus que les plus diplômés sont aujourd’hui ceux qui ont le moins d’efforts à faire, leur principale compétence étant dans leur rapidité à copier-coller Internet.
    Mais je garde l’espoir en la sagesse, qui nous montrera que les études de terrain des autodidactes ont bien plus de valeur que les études scolaires et académiques, qui ne restent au final que des simulations d’expériences professionnelles, à fort taux d’évaporation intellectuelle et aux savoirs-faire factices souvent inadaptés.

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