Considérons ces nouvelles technologies mises aujourd’hui à la disposition du plus grand nombre, ces objets “magiques” librement produits et librement consommés qui ouvrent à chacun un univers de possibles sans cesse renouvelé. Existe-t-il une meilleure représentation d’épanouissement collectif et de liberté? Considérons le chômage des uns, le stress des autres, le viol des vies privées alors que s’amplifie la confiscation des richesses collectives par quelques-uns (source “Observatoire des inégalités« )
Les patrons les mieux rémunérés de France touchent entre 400 et 1 110 années de SMIC par an. Et encore, sans tenir compte de tous leurs avantages.
Peut-on voir là autre chose qu’une radicalisation absurde des pires dérives?
Le “mot totalitarisme” est à l’image de ce qu’il désigne. Il n’admet ni adjectif, ni synonyme, ni déclinaison, ni nuance. Il est un tout. Il est à la société civile ce que Satan est à la religion. Selon les mots que l’on choisit pour le définir “on en est” ou “on n’en est pas”. Or, qui s’oppose au “totalitarisme” défend “la liberté”. À ce titre, tous les coups lui sont permis. La définition du terme constitue donc un enjeu idéologique majeur.
La définition suivante paraitrait satisfaisante en première analyse
On peut définir le totalitarisme comme une idéologie qui nie toute autonomie à l’individu et à la société civile et s’emploie à les supprimer autoritairement au profit d’une vision moniste du pouvoir et du monde recouvrant tous les aspects de la vie humaine …
mais la mention suivante y est immédiatement accolée
… cette idéologie fonde et justifie la domination absolue de l’État
Ces quelques mots supplémentaires évitent l’extrapolation non souhaitée au totalitarisme religieux (bien que la tendance soit à le réintégrer pour des raisons d’actualité évidentes) et… à un éventuel totalitarisme économique. Ni l’un ni l’autre ne se fondent, en effet, sur un pouvoir de l’État. Ces quelques mots supplémentaires les excluent de la problématique et suffisent à rendre à la notion son vrai rôle originel : contenir “à la fois” le nazisme et le communisme et “uniquement eux”. Ces quelques mots suffisent donc à placer l’étendard de la liberté entre les mains de qui les a combattus “et l’un” “et l’autre”.
Une recherche sur le terme conduit inévitablement à Hanna Arendt et à son ouvrage de référence “Les Origines du totalitarisme” . Bien que suspecte, pour avoir bénéficié du soutien des services de propagande américains, (voir l’étude de Frances Stonor Saunders: “La CIA et la guerre froide culturelle”), elle n’en explique pas moins que:
Le totalitarisme est avant tout un mouvement, une dynamique de destruction de la réalité et des structures sociales plus qu’un régime fixe …International dans son organisation, universel dans sa visée idéologique, planétaire dans ses aspirations politiques … il recherche la domination totale, sans limites.
Cette formulation, bien reçue à son époque, car perçue comme une allusion transparente au communisme, demande-t-elle des modifications pour s’appliquer à ce qui pourrait être aujourd’hui, voire demain, un totalitarisme économique?
Le mot est trop chargé de connotations pour pouvoir se dispenser de se pencher sur les principaux non-dits qu’il véhicule. Il est notamment essentiel de faire la part de ce que sont ses principes fondamentaux et de ce que sont les outils au service de ces principes, ainsi que d’opérer les distinctions avec les notions proches, notamment celle de dictature.
Les totalitarismes de référence étaient des dictatures, alors que les dictatures “classiques” ne sont généralement pas assimilées à du totalitarisme, dans la mesure où celui-ci recouvre un sens plus large en occupant également le “terrain intellectuel”. Cette intellectualisation de la dictature se voulant collective, elle ne peut fonctionner qu’à partir de principes très simples et peu nombreux. La structure du totalitarisme renverrait donc plutôt au modèle de la secte: le pouvoir y est soutenu par ses dominés, son fonctionnement intérieur “normal” n’exige pas le recours à la force.
La dictature c’est le pouvoir du fort, le totalitarisme c’est le pouvoir du simple.
Ainsi, les deux n’ont pas tout à fait les mêmes ennemis: celui de la dictature c’est surtout une force supérieure, celui du totalitarisme c’est surtout la complexité. D’ailleurs il ne s’y trompe pas, qu’il “sorte son révolver quand il entend le mot Culture” ou qu’il impose aux scientifiques de son époque d’affirmer que la Terre est au centre de l’univers, qu’elle est plate et qu’elle ne tourne pas. Confondre dictature et totalitarisme c’est s’opposer au second par la force, c’est-à-dire positionner l’affrontement sur le terrain du simple, ce qui au bout du compte… le renforce.
Une compétition économique loyale prenant en compte les multiples aspects (court, moyen, long terme, dimension sociale, dimension environnementale… etc) ouvrirait au doute, aux analyses et stratégies multiples, dont aucune ne pourrait compter sur l’adhésion massive et inconditionnelle des dominés. Une économie complexe ne pourrait pas être le support d’un totalitarisme.
Mais l’économie tend à obéir à des ressorts de moins en moins nombreux et de plus en plus simples.
La définition du totalitarisme amène également à évoquer l’utopie (voir “de nouvelles utopies sont-elles possibles?”). Cette notion représente l’exemple même d’une façon simpliste, mais efficace d’occuper le terrain intellectuel autour de l’image d’un monde parfait, perfection généralement réservée aux “élus” du système (croyants, aryens … etc).
Or, l’économie d’aujourd’hui présente la particularité de ne plus s’appuyer sur une quelconque utopie. Ce qui en tient lieu c’est le droit de rester dans la chaloupe quand d’autres passent par-dessus bord, qu’il s’agisse de la chaloupe de la survie, de celle de la consommation, de celle des “riches”. C’est l’existence de ces 3 types de situations qui apporte à l’économie actuelle le soutien de ses dominés. Le terrain intellectuel est donc effectivement occupé, mais par ce qui est présenté comme “la pression d’une logique”, celle d’une “absence d’alternative”, qui “s’applique à tous”. C’est un peu comme si c’était l’ordre économique lui-même qui subissait, à son corps défendant, un totalitarisme venu d’ailleurs.
La pensée unique en économie libérale se réfère à la liberté, soit le “contraire” du totalitarisme. Elle ne saurait donc en être un. Pour contredire ou consolider cette affirmation, on peut explorer différentes voies:
- S’engager dans le labyrinthe d’une définition abstraite de la liberté, très complexe quand on aborde celle du poisson rouge dans l’aquarium. Savoir si le “ferme ta gueule” est plus ou moins totalitaire que le “cause toujours”. Vastes débats en perspective.
- Adopter une posture plus sociale et admettre avec Montesquieu que “la liberté est le pouvoir de faire tout ce que les lois permettent”
- … ou poser que “la liberté est le pouvoir de faire tout ce que les lois ne permettent pas” (c’est indiscutablement la tendance dans l’économie actuelle – voir “ici”).
Sous ces différents éclairages peuvent être considérées les négociations en cours autour du “Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement”, connu également sous les noms de “Traité de Libre-échange Transatlantique” , ainsi que sous les sigles PTCI, TTIP ou TAFTA. Les verrous anti-retours qui constituent la raison d’être de cet accord touchent notamment à la possibilité pour les multinationales de se faire dédommager par les États (tribunaux à l’appui) des clauses de droit local qui limiteraient leurs profits escomptés (droit du travail, normes de qualité … etc).
Un nouveau pouvoir exogène s’imposant aux rois, à l’image de ce que fut la “Sainte Inquisition”.
Dit autrement, le politique serait désormais voué à gérer la circulation routière… et encore, à condition que les limitations de vitesse ne soient pas considérées comme un obstacle à la vente des grosses cylindrées.
Rappelons que l’équivalent du PTCI a déjà été signé pour la zone Pacifique (l’ensemble concerne ainsi 45% du PIB mondial en attendant les autres), puis revenons aux définitions du totalitarisme évoquées au début de ce billet:
International dans son organisation, universel dans sa visée idéologique, planétaire dans ses aspirations politiques … il recherche la domination totale, sans limites.
Ajoutons que les deux billets précédents (ici et là) nous amenaient, par des voies différentes, a des conclusions du même ordre.
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