l’ordre de demain sera-t-il simple ou complexe?

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futurologie classique et futurologie complexe


Une société postulée n’existe qu’au travers d’un discours, ce qui signifie que son contenu est en partie déterminé par des mécanismes propres à la communication (simplicité, séduction… etc.). Ainsi, la futurologie classique n’appréhende que des futurs “simples”, c’est à dire des futurs totalitaires (voir lien), car outre leur puissance émotionnelle, ce sont les seuls susceptibles d’être construits et communiqués facilement. À l’inverse, un futur complexe renverrait à l’idée d’une société plurielle et en perpétuelle transformation. Mais cette société-là, comment la décrire sans la trahir, sachant que nous ne savons connaitre et communiquer une réalité que par référence à un ordre?

Cette complexité ne semble accessible qu’à partir de la superposition d’ordres simples dont on rechercherait les interactions possibles, au lieu de les extrapoler individuellement en “états” futurs. Ce qui signifie que, dans tous les cas, tout commencerait par l’expression d’ordres simples. Seul le traitement ultérieur différencierait les deux démarches. Mais, le choix du traitement à appliquer à ces ordres fait partie d’une attitude initiale, d’un à priori de futurologue qui choisit, en amont, de s’engager dans une démarche simple ou complexe. Un travail de rationalisation est-il possible au niveau de cet a priori?

Cependant, simplicité et facilité peuvent être aussi séduisantes pour les uns, que complexité et difficulté peuvent l’être pour les autres: image d’évidence dans le premier cas, défi de chercheur dans le second.

Le totalitarisme constitue une facilité de communication, mais il a cependant déjà été… et même trop fréquemment… une réalité sociale tangible que ce soit sous la botte d’un pouvoir religieux ou politique.

Se pose alors la question de savoir si un futur totalitaire n’est pas tout aussi inaccessible à la “futurologie complexe” qu’un futur de société plurielle peut l’être à la “futurologie classique”. L’a priori du complexe ne va-t-il pas tendre à toujours privilégier l’interaction et la transformation mutuelle des tendances et atténuer ainsi le caractère radical de certaines d’entre elles?

Un argument pourrait plaider pour l’approche complexe.

Avant Hitler et Staline, qui aurait pu imaginer les régimes qu’ils ont imposés? De même, peut-on postuler d’autres formes de totalitarismes et d’autres formes de démocratie que celles qui ont eu cours jusqu’ici ?… Des formes d’ordre qui ne réfèreraient clairement ni à l’un ni à l’autre?

La question de l’ordre futur s’imposerait alors comme “LA” première à se poser dans la démarche de prévision.


la complexité, principe d’évolution sociale?


Certaines périodes de l’Histoire, celles des guerres et des régimes totalitaires, nous apparaissent socialement plus “simples” à appréhender et à communiquer. La première moitié du XXème siècle est de celles-ci. La phase antérieure nous apparait comme une période de mutation sociale profonde : l’École, les vaccins, l’émergence des médias, inventions, boum technologique et expositions universelles… etc. La seconde moitié du XXème siècle (nous y revenons ci-après) serait également celle d’une démocratisation sans précédent de la complexité.

Est-ce suffisant pour émettre l’idée d’une évolution des sociétés selon des cycles complexité – simplicité?

De fait, on retrouve un processus cyclique du même ordre dans les techno-sciences

Concepts et principes scientifiques ne se laissent percevoir par le plus grand nombre que par les technologies qu’ils induisent. La “magie” initiale des objets inventés révèle, dans un premier temps, un monde plus complexe où se bousculent une multitude de possibles. L’accès à ces nouvelles ressources exige un effort de la part du plus grand nombre. Mais ce faisant, la technologie “domestique” la science (l’éléctricité, les télécommunications, les vaccins… etc.), la banalise, la simplifie. C’est alors que de nouveaux paradigmes scientifiques “relancent” la complexité (voir Thomas Kuhn : La structure des révolutions scientifiques) qui va induire de nouveaux objets technologiques qui vont à leur tour banaliser cette nouvelle complexité… etc.


et demain dans tout çà?


La société des années 70/80 a vu une expansion rapide et continue de sa “complexité” : maniement par le plus grand nombre d’objets de consommation de plus en plus élaborés, particulièrement l’automobile, gestion plus complexe des ressources découlant d’une amélioration des niveaux de vie et du temps disponible, augmentation de la durée des études, démocratisation de la culture, accès aux médias…etc. Puis vint la sensibilisation collective à l’écologie. Puis le micro-ordinateur. Puis le réseau. Jamais autant de gens n’avaient manipulé autant de concepts et d’outils aussi complexes.

Où en sommes-nous arrivés?

L’informatique de producteur (le micro-ordinateur) semble laisser rapidement la place à l’informatique de spectateur (la tablette et le smartphone), les logiciels complexes sont progressivement remplacés par des micro-applications, la communication écrite se limite à des messages de plus en plus courts, de moins en moins de gens font des choses difficiles, on apprend aux voitures à se conduire toute seules. L’extrême droite progresse ici, avec ses “il n’y a qu’à” et ses “boucs émissaires”, la religion progresse ailleurs avec ses guerres saintes et ses suicides. Tout semble indiquer que nous entrons dans une phase de simplification globale… dit autrement, une époque assez sombre.

Tel pourrait apparaitre l’ordre à court ou moyen terme.

Si le retour de la complexité et de ses possibles intervenait à plus long terme, serait-ce pour autant imprévisible? La dictature des ordres simples pourrait-elle n’agir que comme un “gel” de l’évolution, le renouveau reprenant simplement les choses, à peu près où elles en étaient auparavant?

Mais le totalitarisme de demain ne sera pas celui d’hier. Trente ans plus tard, Hitler n’aurait plus été un braillard de brasseries, mais une star de la télévision. Il aurait ajusté son faciès et sa tenue vestimentaire en conséquence. Il se serait exprimé avec douceur en regardant la caméra au fond des yeux. Comme dit plus haut, penser que nous allons vers une forme de totalitarisme ne suffit pas à nous représenter la nature qu’il aura ni la façon dont il étouffera les possibles. Peut-on postuler qu’à des totalitarismes religieux, puis politiques, va succéder un totalitarisme économique? Ce serait conforme à l’évolution des rapports de forces observables entre les pouvoirs. Peut-on penser que nous y sommes déjà et que nous ne l’avons pas reconnu, occupés que nous étions à guetter le retour de… ses ancêtres? Nous allons y revenir dans le prochain billet.


 

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